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Saint-Germain ou la paix « boiteuse » et « mal assise »

2.1 PORTRAIT D’UNE DÉCENNIE DE GUERRES

2.1.5 Saint-Germain ou la paix « boiteuse » et « mal assise »

Coligny en fuite après sa défaite à Moncontour s’engage dans une longue pérégrination dévastatrice dans le Midi et remonte graduellement jusqu’à Paris sans être trop inquiété. Malgré l’avis de mort émis par le Parlement, le conseil royal est réticent à agir avec vigueur à l’encontre de Coligny. La noblesse, désormais plus encline à la négociation et à la modération, sonne le glas de l’ultra-catholicisme des Guise incapable d’en finir avec la guerre. C’est finalement le 8 août 1570 à Saint-Germain-en-Laye qu’est conclue la paix mettant un terme à la troisième guerre de religion. Par ce nouvel édit de paix, Charles IX souhaite le

45 Pierre de Ronsard, Hymne du roy Henry III, Roy de France, pour la victoire de Moncontour, dans Œuvres complètes de Ronsard,

Gustave Cohen (éd.), t. 2, 1950, p. 193.

rétablissement en France d’une tolérance civile ainsi qu’un droit de culte pour les hauts justiciers comme l’avait déjà établi l’édit d’Amboise. Pour les sujets ordinaires, seulement le culte privé est permis, mais peut être élargi exceptionnellement lors d’un baptême sans rassembler plus de dix fidèles (art. V et VI). De plus, l’édit prévoit le rétablissement des réformés dans leurs biens et offices desquels ils avaient été dépossédés durant les conflits (art. III). L’article XXIX inscrit une nouveauté qui choque beaucoup les catholiques puisque le roi rend aux réformés quatre villes (La Rochelle, Montauban, Cognac et La Charité) pour deux ans après quoi elles devaient réintégrer le giron royal tout en conservant leurs privilèges de culte. De plus, les articles XI et XII reprennent les dispositions des édits d’Amboise et de Moulins quant à l’interdiction du culte protestant autant à Paris que dans un rayon de dix lieux autour du monarque. Du côté catholique, l’incompréhension est grande. Pourquoi le roi est-il aussi conciliant à l’égard des huguenots ? En fait, suite aux nombreuses tentatives de paix infructueuses, les protestants français, davantage soucieux de leur sécurité, exigent du roi plus de pouvoir et de liberté.47 L’insatisfaction autant des Parlementaires que de la milice locale48, sympathique au parti catholique, face à la politique conciliante du roi ne fait que rendre le climat parisien explosif49.

La particularité de l’édit de Saint-Germain tient toutefois dans ses premiers articles qui font état de l’importance de la mémoire dans le processus de paix.

ARTICLE I.50 Que la mémoire de toutes choses passées d’une part et d’autres, dès et depuis les troubles advenus en nostre dit royaume, et à l’occasion d’iceux demeure estainte et assoupie, comme de chose non advenue. Et ne sera loisible ni permis à nos procureurs généraux, ni autre personne publique ou privée quelconques, en quelque temps, ni pour quelque occasion que ce soit en faire mention, procez, ou poursuite en aucunes court ou jurisdiction.

II. Defendons à tous nos sujets de quelque estat ou qualité qu’ils soient, qu’ils n’ayent à en renouveller la mémoire, s’attaquer, injurier, ne provoquer l’un l’autre par reproche de ce qui s’est passé. En disputer, contester, quereler, ne s’outrager ou offenser, de fait ou de parole ; mais se soutenir et vivre paisiblement ensemble,

47 Jouanna, La France..., p. 457.

48 La milice parisienne, que Jouanna compare à une « véritable police urbaine » est d’obédience ultra-catholique.

Relevant directement du corps de ville, la milice est donc dirigée par le prévôt des marchands Claude Marcel. Jouanna, La France..., p. 467.

49 Jouanna, La France..., p. 466.

comme frères, amis concitoyens ; sur peine aux contrevenants d’estre punis comme infracteurs de paix et perturbateurs du repos public51.

À la lumière de ces deux articles, on comprend l’importance que Charles IX accorde à la question de la mémoire ou plutôt à interdire l’expression de réminiscence, qui puisse alimenter la zizanie. Les articles étonnent par leur objectif d’effacer complètement près d’une décennie de conflits religieux, mais ils étonnent surtout par l’absence de dispositions pour appliquer lesdits articles. Que doit-on considérer comme un outrage ou une offense ? Considérer ainsi la querelle et l’injure n’est pas vraiment une nouveauté puisque l’édit d’Amboise en faisait mention dans le quatorzième et dernier article ainsi que l’édit de Longjumeau dans le onzième article (l’édit comporte quatorze articles au total). Celui de Saint-Germain a cela de particulier qu’il place en quelque sorte en priorité la question des injures avant même celle de l’autorisation du culte protestant pourtant au cœur même des conflits52. L’autorité royale croyait-elle que le succès de la paix passerait désormais par de telles dispositions ? L’hypothèse mériterait une investigation plus poussée notamment dans les ouvrages de théorie politique du XVIe siècle concernant spécialement cette dimension de la querelle et de l’injure.

Ce bref résumé a permis de prendre conscience de la profonde césure qu’ont causée les guerres de religion en France. Conflit certes religieux, les multiples affrontements de la décennie 1560-1570 ont rapidement tourné à l’affrontement politique, car pour les calvinistes, remettre en cause le mystère de la transsubstantiation catholique, c’était aussi en quelque sorte la nature sacrée de la figure royale. On retiendra aussi que les calvinistes remettent en question les espaces sacrés définis par les catholiques. Il faut surtout garder à l’esprit le scepticisme latent à l’égard des dispositions du traité de Saint-Germain qui favorise les réformés alors qu’ils étaient militairement en position de faiblesse. Bien que soulagés de savoir la paix revenue, les catholiques, notamment ceux de Paris, demeurent toujours insatisfaits face à ce qu’ils considèrent comme des largesses royales à l’égard des protestants.

51 Eugène Haag et Émile Haag, La France protestante, Paris, 1858, p. 91.

52 Les deux premiers articles de l’édit de Nantes, promulgué par Henri IV en 1588, sont d’ailleurs une récupération

littérale de ceux formulés par Charles IX en 1570. Toutefois, dans ce cadre restreint des guerres de religion françaises, le fait de placer la question de la mémoire dans le premier article est propre à l’édit de Saint-Germain.

La discrétion dans laquelle s’était tenue l’entrée d’avril 1563 oblige la royauté à en faire une nouvelle, cette fois officielle et donc, plus somptueuse. Jusqu’alors, il avait été inutile de tenir une entrée en pleine période de conflits c’est pourquoi le roi et sa mère ont repousser à plusieurs reprises la date de cette importante journée. Maintenant que le royaume de France est en mesure d’imposer la concorde à ses sujets, l’occasion est idéale pour la tenue d’une entrée royale dans la capitale. D’autant plus que, dans un effort diplomatique pour tisser des liens avec les grandes cours d’Europe, Catherine de Médicis a réussi à obtenir pour son fils Charles IX la main de Élizabeth d’Autriche, fille de l’empereur Maximilien II. Le mariage a lieu le 26 novembre 1570, c’est donc avec l’arrivée de la reine en terre de France et son couronnement que le roi et sa mère font coïncider l’entrée royale à Paris.