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3.2 L’ENTRÉE ROYALE : D’UNE PORTE À L’AUTRE

3.2.5 Le pont Notre-Dame

Le dernier monument du parcours est celui érigé aux deux extrémités du pont Notre-Dame menant à l’île de la Cité (Figure 8, p. 126). Comme l’attestent les registres municipaux, le programme de ces arches est attribué spécifiquement au poète Ronsard. À l’entrée du pont se trouvent représentés de part et d’autre de la voie Marne et Seine sous les traits d’un vieil homme et d’une femme. Au somment du monument, une nef d’argent représentant la ville de Paris est soutenue par deux « jeunes beaulx hommes, ayans chacun une estoille sur la teste, qui feront semblant de toucher le navire et le secourir. Et sera mis soubz la figure, de l’ung des costez et de l’autre, ung mors et brinde de cheval. [sic]92. » Comme Bouquet le précise, la nef d’argent représente à la fois Paris et la France, lesquels ont été secourues par les Dioscures Castor et Pollux « ressemblans de visage au Roy et Monseigneur [sic]93. » Il est intéressant de constater que l’association des deux frères aux Dioscures les place sur un pied d’égalité. Comme le souligne Graham, lorsque Charles IX approuve la nomination du duc d’Anjou en tant que lieutenant général de France à la demande de la reine-mère, un vif sentiment de jalousie l’anime. Ronsard et Dorat n’ignorent probablement pas cette situation comme en témoigne l’épisode précédemment cité lorsque Dorat présente au roi son recueil Paenes Hymni à la suite des victoires de son frère. Il est donc curieux de voir figurer un autre élément susceptible d’attiser la jalousie du monarque au moment même de son entrée dans la capitale. Il faut aussi noter que la référence aux Dioscures n’est pas étrangère ni à la poésie de Dorat ni à celle de Ronsard. Ce dernier en fait même mention dans l’Hydre Desfaict.

Il faut, mon Duc, la despouille attacher, Toute sanglante au dessus de la porte Du Temple sainct, dont les pierres je porte

[…]

Et sera dit LE TEMPLE DES DEUX FRÈRES.

92 Guérin, Registres..., pp. 242-243.

93 Bouquet, Bref..., 33 r. Il est a noté que les Dioscures, souvent représentés à califourchon sur le même cheval, sont

considérés comme d’excellents cavaliers ce qui explique la présence de la bride et du mors, des accessoires de cavalerie.

Ainsi Castor et Pollux, n’estant qu’un, N’avoient aussi qu’un mesme autel commun

[…]

Et dès la nuict d’estoilles habillée Jusques au jour, je diray vos honneurs, Freres divins, nos Hercules sauveurs, Vous invoquant qui fustes dès enfance Les freres-Dieux tutelaires de France94.

Dans ce passage de L’Hydre Desfaict, Ronsard utilise l’image des jumeaux et la développe en trois temps afin de renforcer la dimension sacrée de la monarchie française. Loin de la filiation christique, les deux frères sont dans un premier temps comparés aux Dioscures fils de Zeus, ils deviennent ensuite deux Hercules similaires95 afin d’en faire les « freres –Dieux tutelaires de France ». À un moment où la contestation religieuse se fait contestation politique comme le fait remarquer Crouzet96, inscrire la famille royale dans une filiation divine relève d’un jeu entre rhétorique catholique et référence mythologique (qui s’observe à de multiples endroits durant l’entrée) afin d’asseoir leur autorité sur la base du sacré.

Sur les flancs intérieurs de l’arche, deux tableaux rappellent encore une fois le rôle prépondérant de la reine-mère durant les troubles. Sur le premier tableau, un monstre marin cherche à attraper et manger de petits dauphins. Face à la menace, la mère « les avaloit et receloit en son estomach comme en lieu de toute seureté, jusques à ce que ledict monstre fut passé oultre. Lequel passé rendoit ce Dauphin ses petitz sains et entiers97. » Sur l’autre flanc, deux ruches luttant l’une contre l’autre, « chaque bande conduicte par son Capitaine98 », sont apaisées après l’intervention divine sous la forme d’une main répandant de la poudre. Face au tumulte, la reine-mère sut protéger ses enfants et les écarter du danger, mais c’est aussi à elle que l’on attribue la prudence et la sagesse résultant en un édit de pacification.

À la sortie du pont Notre-Dame, une dernière arche voit passer le roi. Ultime étape du parcours royal dans les rues de Paris, l’extrémité du pont se veut une sorte d’allégorie de l’édit

94 Ronsard, L’Hydre Desfaict..., dans Cohen, Œuvres..., t. 2, p. 628.

95 Dans le cas présent, il s’agit bien de deux Hercule distincts, et non pas d’une référence à Hercule et son frère

jumeau. Alors qu’Hercule est issu de l’union d’Alcmène et de Zeus, Iphisclès, mortel, est quant à lui le fruit de l’union entre Alcmène et Amphytrion. La nuance est subtile, mais rendrait la référence de Ronsard caduque puisqu’il cherche à inscrire les deux frères dans une lignée divine. Voir Salles, La mythologie..., pp. 245-246.

96 Denis Crouzet, Dieu en ses royaumes : une histoire des guerres de religion, Paris, Champ-Vallon, 2008, p. 252. 97 Bouquet, Bref..., 34v.

de Saint-Germain. Une Victoire présentant une branche de palme est attachée à un grand olivier, symbole de paix. À ses côtés, le dieu Mars avec un visage « felon et cruel » est quant à lui enchaîné à un laurier, ses armes déposées par terre ne lui étant plus utiles. Enfin, au centre une autre représentation de la nef Paris pouvant désormais voguer librement signifiant la reprise du commerce et du trafic des marchandises99.

Sur les deux flancs intérieurs, deux autres tableaux complètent le commentaire sur l’édit de paix. Le premier représente un pontife, vêtu des habits sacerdotaux, prêt à immoler un agneau, lequel pontife est entouré de quatre hommes en armes. Il s’agit bien d’un avertissement à ne pas contrevenir aux clauses de l’édit de paix que sont chargés de faire appliquer les quatre maréchaux de France. Comme l’indique Bouquet : « ainsi que le vin de ceste couppe est respandu en terre, et cest agneau prest à immoler, puis estre respandu le sang, et immolé le corps de celluy qui contreviendra en sorte que ce soit aux pasches et convenances de cest edict de pacification100. » Le tableau opposé montre quant à lui un amas d’armes et d’armures dans lequel abeilles et araignées s’affairent à produire du miel et tisser des toiles afin de signifier que « Là les aragnés font dans les armes leurs toilles, / Signe de seure paix et oubli de querelles101. »

Comme le fait remarquer Bryant, comparativement au programme présenté à Henri II en 1549 célébrant l’arrivée d’un nouvel âge doré, celui de 1571 marque plutôt cette volonté de revenir à l’âge doré ayant précédé les conflits religieux. Un retour avant le désordre des guerres, mais aussi avant le désordre politique entre le Parlement et la régence, mais aussi avant les tiraillements à l’intérieur de la famille royale. Toujours selon Bryant, la paix de Saint-Germain « reconciled the king to his brother Henry, duke of Anjou, who had sided with the extreme Catholic pary headed by the Guise. Charles IX’s lack of interest in politics, his melancholy character, and his jealously of his brother had complicated the movement toward peace, and the clearing of these obstacles was celebrated in this pageantry102. »

L’œil attentif à la gravure de Codoré aura remarqué que dans les deux représentations de la nef, symbole de Paris et plus largement de la nation, aucun capitaine ne mène le navire. À la différence de la nef de 1549 où figurait Henri II, personne ne prend la barre du navire de

99 Bouquet, Bref..., 37r. 100 Bouquet, Bref..., 37v. 101 Bouquet, Bref..., 38v. 102 Bryant, The King..., p. 198.

France. Le programme distingue clairement la majesté royale de la personne du roi. En fait, il ne s’agit plus d’une représentation du pouvoir du roi, seul décideur à bord, mais désormais d’une nef-état103. Ne reste donc qu’une simple exhortation au roi à respecter et faire respecter

les dispositions d’une paix déjà établie, paix qui découle non pas de ses efforts, mais plutôt de ceux de Catherine de Médicis.