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2.1 PORTRAIT D’UNE DÉCENNIE DE GUERRES

2.1.4 Encore la guerre

Alors que la cour se trouve à Monceaux, Condé et ses troupes décident de tenter un coup de force similaire à celui qu’avait réalisé le duc de Guise précédemment, à savoir kidnapper le roi afin de le soustraire à l’influence du clan adverse, représenté par le cardinal de Lorraine. La cour, déjà au fait de la manœuvre des Condéens, prend peur et regagne en toute hâte Paris pour y trouver protection. Comme le rappelle Jouanna, cet échec de Condé le place désormais dans une position plus que délicate. Lui qui a vivement dénoncé chez ses adversaires le même type de manigance qu’il a qualifiée de crime de lèse-majesté, comment dès lors pouvait-il

32 Foa, « Le bêtisier..., conférence.

33 Le cas de La Rochelle illustre très bien le cas d’une double manipulation du rite par le roi lui permettant de

renverser le discours citadin à son avantage et ainsi marquer sa domination. Voir David Rivaud, « Les entrées royales. Outils politiques pour un modèle participatif : le point de vue des municipalités dans les villes du Centre-Ouest (XIVe-XVIe siècles) », Communication présenté dans le cadre du séminaire de recherche Vecteurs de l’idéel – Les entrées

royales : légitimation implicite et fabrique du consentement, Centre d’études supérieures de la Renaissance, Tours, 23 septembre

justifier son entreprise ratée34 ? Comme l’historienne l’affirme : « Cette fois, l’atteinte à la majesté du roi semble être du côté des réformés, et ni le roi ni la reine mère ne l’oublieront. C’est en tout cas le signal de la guerre35. » Après la mobilisation de ses troupes et quelques

escarmouches, notamment dans le Midi, Condé met le siège, le 10 novembre 1567, devant la porte Saint-Denis de Paris; porte qu’empruntaient les rois lors de leurs entrées royales. Durant le siège, le connétable de Montmorency est tué, mais les troupes condéennes inférieures en nombre sont forcées de se replier sur Saint-Denis et Montereau. C’est successivement Orléans, Tours, Blois et Chartres qui sont assiégées par Condé. Dans un ultime effort de négociation, les deux parties en viennent à un accord de paix qui se solde en 1568 par l’édit de Longjumeau, un édit rétablissant celui d’Amboise dans son intégralité avec l’annulation des diverses restrictions qui y avaient été apportées au fil des années36. Longjumeau marque aussi le début de la disgrâce de Michel de L’Hospital qui tente désespérément de réaffirmer le principe de tolérance civile, formulé précédemment dans l’édit d’Amboise, malgré la colère toujours montante des catholiques français. Sa disgrâce n’est confirmée que lorsque le sceau royal lui est retiré en septembre 1568 alors que la guerre a repris de plus belle37. Longjumeau marque aussi la radicalisation de la position de la reine à l’égard des huguenots. À ce propos, Denis Crouzet souligne quelques passages de la correspondance de la reine mère avec notamment Philippe II d’Espagne où elle déplore la perte du connétable tout en espérant voir « la fin de toust cesi [sic] ». Ailleurs, elle charge Monsieur de Fourquevaux d’avertir l’Espagne une fois que « nous aurons nettoyé le mal qui est en nous » et ainsi se faire obéir de la « vermine » protestante38.

Afin d’éviter les sempiternels débats du Parlement ainsi que les remontrances, le roi décide de forcer la main aux parlementaires en se rendant lui-même au Palais tout en restant à

34 Jouanna, La France..., p. 439-440. 35 Jouanna, La France..., p. 440.

36 Pour parler de l’édit de Longjumeau, Pierre Miquel relève la dénomination de paix « boiteuse » signée par messieurs

Biron et Mesmes, lesquels auraient été selon Miquel deux boiteux. Évidemment, la connotation péjorative rappellerait la dimension beaucoup trop favorable de l’avis des catholiques à l’égard des protestants. Par contre, autant dans l’édition des registres de l’Hôtel de Ville de Paris que pour Arlette Jouanna, l’appellation de paix « boiteuse » et « mal assise » renverrait à celle de Saint-Germain en 1570. Alors que Miquel parle de deux boiteux, Jouanna identifie les deux signataires de la paix de Saint-Germain à Armand de Gontaud-Biron qui était effectivement boiteux et Henri de Mesmes, seigneur de Malassise. Doit-on penser que ce sont ces mêmes deux personnes qui signèrent les paix de Longjumeau et de Saint-Germain ou le résultat d’une erreur de Miquel? Voir Miquel, Les guerres..., p. 263; Jouanna, La

France..., p. 457 et Guérin, Registres..., p. 231, note 2. 37 Jouanna, La France..., pp. 441-442.

l’extérieur de la Grande chambre où ont lieu les débats. Toutefois, la seule présence du roi derrière les portes fait grande impression sur les parlementaires qui enregistrent l’édit de Longjumeau sans même émettre une seule remontrance39.

À peine signée, la paix de Longjumeau est rompue en septembre 1568 provoquant du même coup la troisième guerre de religion. En fuite, les chefs huguenots Condé, Coligny et Andelot se réfugient à La Rochelle d’où ils narguent les troupes royales du maréchal de Tavannes40. Aux Pays-Bas, les troupes du duc d’Albe mènent quant à elles une violente persécution contre les réformés à la demande de Philippe II d’Espagne. Les troupes du duc partent d’Italie pour rejoindre les Pays-Bas en longeant les frontières françaises. Afin de se prémunir de toute attaque espagnole en provenance des frontières, Charles IX décide lui aussi de lever ses troupes. Comme le souligne Jouanna : « Non seulement les réformés français se sentent menacés par la répression qui s’abat sur leurs coreligionnaires et y voient le début de l’exécution du pacte qui, selon eux, aurait été conclu à Bayonne41, mais la solidarité nobiliaire réunit dans une commune inquiétude les principaux chefs huguenots et les grands nobles favorables à la tolérance42. » Les troupes royales vont-elles s’unirent à celles du duc d’Albe pour déferler en territoire français et décimer les protestants français ? Ce climat de peur chez les huguenots débouche sur un véritable mouvement de revigoration des ligues protestantes. Le même phénomène s’observe chez les catholiques qui cherchent à contrebalancer l’élan protestant avec la caution royale même si les ligues ou confréries étaient interdites depuis Longjumeau43. Alors que le roi disgracie L’Hospital, il émet l’édit « perpétuel et irrévocable » de Saint-Maur qui supprime la liberté de culte des réformés et démet les officiers royaux non catholiques de leurs fonctions44. Désormais, le discours politique huguenot se radicalise

considérablement comme en font foi les différents pamphlets publiés afin de justifier les actions de Condé qui revendique un pouvoir plus important pour les États généraux afin de mieux contrôler le pouvoir royal. Des deux côtés, la mobilisation militaire est importante et se voit renforcée par un appui étranger autant chez les catholiques par l’appui du pape ou du roi

39 Daubresse, Le Parlement..., p. 177. 40 Babelon, Paris..., p. 441.

41 Étape à mi-parcours du Grand tour où se sont rencontrées les cours française et espagnole. Une rencontre

diplomatique où, selon les pamphlétaires protestants, aurait été ourdi le complot menant à la Saint-Barthélemy, mais aussi des retrouvailles familiales puisque Élisabeth de Valois, sœur de Charles IX, est mariée à Philippe II d’Espagne.

42 Jouanna, La France..., p. 447-448. 43 Jouanna, La France..., p. 450. 44 Jouanna, La France..., p. 452.

d’Espagne que chez les huguenots avec le support de Guillaume d’Orange et d’Elizabeth d’Angleterre. Notons que la position stratégique de La Rochelle permet aux huguenots de bénéficier d’un accès direct à la mer et donc, d’une porte d’entrée vitale pour l’arrivée de renforts anglais ou allemands.

Dans un effort de sécurisation du périmètre autour de La Rochelle, les troupes de Condé conquièrent une série de cités en Poitou et Saintonge hâtant du même coup l’intervention des troupes royales sous le commandement de Monsieur le duc d’Anjou, frère du roi (futur Henri III). Le 13 mars 1569 a lieu tout près de Jarnac le premier choc où sont défaites les troupes huguenotes et où Condé trouve la mort. Alors que le Parlement de Paris émet un avis de mort à l’endroit de l’amiral de Coligny, dernier chef huguenot, dont les troupes affrontent dans un ultime combat les troupes catholiques à Moncontour, l’amiral y est blessé, mais réussit tout de même à s’enfuir. Autant les victoires de Jarnac que de Moncontour galvanisent les troupes catholiques et mobilisent même les poètes qui ne tarissent désormais plus d’éloges pour Monsieur, le frère du roi, encensé comme le nouveau défenseur du catholicisme. Après Jarnac, Pierre de Ronsard fait la louange du duc d’Anjou qui a « coupé Le licol / Qui au col / nous pendoit dès huit années45 » autrement dit celui qui a réussi à briser la politique conciliatrice à l’égard des huguenots. Mais comme le dit Simonin : « Hier, un frère guerrier accompagnait le Roi; aujourd’hui, il menace de l’encombrer46. »