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Pour protéger cette ville incapable d'assurer sa propre protection mais contrôlant un nœud de communication essentiel, il fallut établir un système d'avant-postes puissants le long des principaux itinéraires y menant. Nous avons déjà évoqué la place des fortifications construites le long de la vallée de la Diyala ainsi que des villes sises sur les routes d'Assyrie195. Krysztof

Jacubiak a d'autre part souligné la manière dont, une fois Édesse soumise, des forts et des résidences fortifiées au nord et au nord-ouest d'Hatra furent construits196. S'ajoutant au désert

protégeant les abords de la cité depuis ces directions, ils contribuèrent à la rendre inexpugnable, et avec elle le flanc de la route menant vers la Babylonie.

Puisqu'il guida les pas des seules expéditions romaines à s'être emparé de Séleucie, l'itinéraire de l'Euphrate nous intéresse ici plus particulièrement. De l'expédition de Tukulti-Ninurta II aux campagnes de Bélisaire, un certain nombre de sites reviennent dans les récits des voyageurs et des généraux : Anat/Anathô/Anatha/Anah, Talbish/Telbis/Thilutha, Sabirutu/Izan/Bidjan, Idu/Aiepolis/Hit et bien d'autres, notamment Doura-Europos197. Là aussi, des postes avancés

furent établis. Les historiens ont longtemps cru pouvoir se baser sur la mention d'Isidore de Charax d'un passage en territoire romain sur la rive gauche de l'Euphrate à partir du Khabur

195 Voir notes 87 et 88.

196 JACUBIAK K., Op. cit., Varsovie, 2009, p. 158-159. Voir aussi IBRAHIM J.K., Pre-Islamic Settlements in

Jazirah, Bagdad, 1986, p. 55-56 et 86; HAUSER S., Hatra und das Königreich der Araber, dans Das Partherreich und seine Zeugnisse, Wiesehöfer J. (éd.), 1998, Stuttgart, p. 493-528.

197 De nombreux autres sites sont bien sûr mentionnés, mais rares sont ceux dont on puisse ainsi retracer le rôle sur

pour faire de Doura-Europos, fondée par les Séleucides et symbole du renouveau de la route de l'Euphrate, une ville frontalière fortifiée sur le chemin des armées s'avançant vers Séleucie198.

S'il est certain que la ville, enrichie par les caravanes cheminant vers ou en provenance de la Méditerranée, a joué un rôle défensif important, une étude plus récente a montré que ses murs dataient de la fin de la période séleucide199. Il est néanmoins clair que les murailles furent bien

entretenues après la conquête (ou la période d'influence) arsacide, puisque les Romains durent construire une mine très élaborée pour finalement en venir à bout200. La ville aurait donc été un

avant-poste d'Antioche contre Séleucie, avant de devenir le rempart avancé de cette dernière contre sa rivale syrienne. Au-delà de Doura, la situation décrite par les textes ne peut pas toujours être comparée avec d'autres types de documents. Des papyri provenant des activités de la Cohors XX Palmyrenorum, en poste à Doura durant la période des Sévères, montrent qu'Anatha, Thilutha et Bidjan contenaient chacune une garnison201. Les mêmes documents

montrent cependant qu'il ne s'agit pas d'une occupation très solide, puisque la plupart des épisodes de la vie quotidienne de cette unité qu'on peut y lire concerne des groupes d'une dizaine de soldats tout au plus. Quelques années plus tard, les RGDS comme Ammien Marcellin décriront néanmoins Anatha comme une île-forteresse. Bidjan, dernier fort avant Misiche/Pirisabora/Peroz-Shapur et le Naarmalcha, possédaient quant à elle de solides fortifications. Michel Gawlikovski, se basant sur une inscription mentionnant des cavaliers palmyréniens du Ier siècle ap. J.-C., a voulu en faire une base avancée de Palmyre le long de l'Euphrate et même, plaçant la Venise des sables sous le contrôle romain dès cette période, une base romaine202 Hit n'est pour sa part jamais mentionnée en tant de point d'appui mais plutôt du

fait de ses puits de pétrole, élément exotique nécessaire à tout bon récit antique d'une expédition en terre étrangère. La mention d'Ammien selon laquelle Julien préfère dépasser Thilutha sans

198 VON GERKAN A., Dura Preliminary Report 7/8, p. 4-61. Sur Doura-Europos en general, voir MILLAR F.,

Dura-Europos and the Parthian Rule, dans Das Partherreich und seine Zeugnisse, WIESEHÖFER J. (éd.), 1998,

Stuutgart, p. 473-492.

199 LERICHE P., Techniques de guerres sassanides et romaines à Doura-Europos, dans L'armée romaine et les

Barbares, VALLET F. et M. KAZANSKI (éds), Paris, 1993, p. 84.

200 ABDUL MASSIH J., La porte secondaire de Doura-Europos, dans Doura-Europos, études 1991-1993 (IV),

LERICHE P. (éd.), Beyrouth, 1997, p. 47-54.

201 KIRKPATRICK G.D., Dura-Europos : The Parchments and Papyri, dans Greek, Roman and Byzantine Studies,

5 (1964), p. 215-225; FEISSEL D. et GASCOU J., Documents d'archive romains inédits du Moyen-Euphrate, dans Journal des Savants, 1 (1995), p. 65-119.

s'en emparer est quant à elle à la fois un témoignage de la puissance de cette position et de son inutilité pour la protection avancée de l'isthme de Bagdad203.

Ce réseau de forteresses, loin d'être infaillible, assurait néanmoins la défense de Séleucie et, au- delà, de la Babylonie. Les multiples sources antiques les mentionnant s'accordent à en faire des positions difficiles d'accès et barrant, en groupe à tout le moins, la route de l'Euphrate, point faible de la Mésopotamie durant la plus grande partie de la période nous intéressant. Pour une ville comme Séleucie, incapable d’assurer sa propre défense, ces points d’appui constituaient un élément de protection essentiel. Lorsqu’un grand nombre d’entre eux tomba sous la domination romaine au début du IIIe siècle ap. J.-C., la cité tigritaine dut tout à coup apparaître bien vulnérable.