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Après la mort d’Antiochos VII en 129 av. J-C. et l’échec final de sa tentative de reconquête de la portion orientale du royaume séleucide, Séleucie-sur-le-Tigre passa définitivement sous le contrôle de la dynastie arsacide. Elle y demeura pour plusieurs siècles. Cette période est la moins mal connue de son histoire. Elle apparaît d’une part à plusieurs reprises dans les textes gréco- romains d’époque impériale. Ce sont d’autre part les couches stratigraphiques correspondant à ces siècles qui ont livré le plus d’éléments aux archéologues. Cette relative abondance se heurte cependant dès l’abord à un problème d’interprétation.

Tout en reconnaissant sa prospérité et son importance, la tradition littéraire a en effet insisté sur sa transformation culturelle et politique après l’arrivée de la nouvelle dynastie348. Ancien grand

centre de l’hellénisme en Orient, Séleucie se détourne progressivement de ses racines349. Une

anecdote illustre particulièrement cette métamorphose. Dans sa Vie de Lucullus, Plutarque mentionne un échange entre le rhéteur Amphicrate d’Athènes et les Séleucéens350. Exilé, le

rhéteur a trouvé refuge sur les bords du Tigre. Lorsque les citoyens de la cité lui demandent d’offrir des cours dans la cité, il leur répond avec mépris qu’« un bassin ne peut contenir un dauphin »351. La cité est d’autre part en butte à l’hostilité de ses nouveaux souverains. Ceux-ci

profitent de ses disputes internes pour la soumettre et s’efforcent de l’abaisser en lui créant des concurrentes352. La ville apparaît d’autre part régulièrement dans le récit des combats entre

348 Sur la taille et la prospérité de Séleucie : PLINE L’ANCIEN, 6, 30, 120-121; TACITE, Annales, 6, 42, 1;

AMMIEN MARCELLIN, 23, 6, 23.

349 Voir notamment TACITE, Annales, 6, 42, 1, où la cité de Séleucos jusque-là préservée de la corruption barbare

s’abaisse aux marques d’adulation les plus avilissantes lors de l’entrée de Tiridatès II dans la cité en 35.

350 PLUTARQUE, Lucullus, 22, 5.

351 (…) ὡς οὐδὲ λεκάνηδελφῖνα χωροίη (…). Momigliano fut parmi les premiers à attirer l’attention vers cette

piquante réponse pour tenter de définir l’influence grecque en Orient. Écrivant en anglais, il se servit pour citer celle-ci de l’édition Loeb de l’œuvre de Plutarque, qui traduit « lekanê » par « stewpan ». Remplacer cette traduction par « bassin », autre forme possible du terme grec, comme le fait par exemple Giusto Traina, permet cependant d’évacuer toute ambigüité possible de cette citation. Amphicrate ne reproche pas aux Séleucéens leur gastronomie; il leur reproche d’être des péquenots. Voir TRAINA G., Op. cit., dans Iran and the Caucasus, 9 (2005), p. 5-7.

Romains et Parthes, que ce soit pour soutenir les candidats romains au trône arsacide ou pour être pillée par les légionnaires. Pas étonnant dès lors qu’elle n’apparaisse plus dans le texte des auteurs du IIIe siècle353.

Longtemps dépendants de cette seule tradition littéraire, les historiens ont eu tendance à suivre sa trame de rupture et de déclin354. André Maricq affirme ainsi que « Vologèse Ier voulut, en

créant Vologésias, tuer Séleucie, la turbulente cité grecque, et il y parvint »355. Rappelant pour

sa part que Séleucie avait déjà été la patrie de Diogène de Séleucie, scholarque du Portique et ambassadeur d’Athènes auprès de Rome, Marek Olbrycht mesure par la réponse d’Amphicrate d’Athènes toute l’évolution culturelle séparant la Séleucie du IIIe et celle du Ier siècle avant J.- C.356.

Quelques documents archéologiques ou numismatiques ont semblé soutenir cette tendance. Remarquant que le stuc et les iwans remplacèrent progressivement le plâtre et les portiques dans le décor des maisons séleucéennes, Clark Hopkins et Wolfram Grajetzki y voient la marque

contra aemulos subsidium vocant, accitus in partem adversum omnis valescit ».

PLINE L’ANCIEN, 6, 30, 122-123. « Invicem ad hanc exhauriendam Ctesiphontem iuxta tertium ab ea lapidem

in Chalonitide condidere Parthi, quod nunc caput est regnorum, et postquam nihil proficiebatur, nuper Vologesus rex aliud oppidum Vologesocertam in vicino condidit ».

353 DION CASSIUS, 76, 9, 3-4 affirme ainsi que la ville était désertée au moment de la campagne de Septime

Sévère de 198 (« (…) ταχέως τήν τε Σελεύκειαν καὶ τὴν Βαβυλῶνα ἐκλειφθείσας ἔλαβε ».).

Une Séleucie est pourtant mentionnée par plusieurs auteurs de l’Antiquité tardive ou même du Moyen-Âge, comme Ammien Marcellin, Procope ou Zonaras. Celle-ci est cependant identifiée par les historiens comme une homonyme et une voisine fondée par les Sassanides. Voir le chapitre suivant pour plus de détails sur la fin de Séleucie.

354 MARICQ A., Vologésias, l'emporium de Ctésiphon, dans Syria, 36 (1959), p. 275; KOSHELENKO G., La

politique commerciale des Arsacides et les villes grecques, dans Studi in onore di E. Volterra, VOLTERRA E.

(éd.), Milan, 1971, p. 751-765; MCDOWELL R.H., Op. cit., HOPKINS C. (éd.), Ann Arbor, 1972, p. 149-161; OPPENHEIMER A., Op. cit., Wiesbaden, 1983, p. 221; DABROWA E., Dall’autonomia alla dipendenza, dans

Mesopotamia, 29 (1994), p. 85-87; SINISI F., The Coinage of the Parthians, dans Oxford Handbook of Greek and Roman Coinage, METCALF W.E, (éd.), Oxford, 2012, p. 292.

355 Cette idée était défendue encore récemment et dans des termes équivalents par Fabrizio Sinisi. Vologèse Ier

aurait ainsi cherché à « deal a decisive blow to the very core of the city’s power, its role in the commercial network of Mesopotamia, thourgh the foundation of Vologesocerta, expressely aimed at substracting from Seleucia the economic basis of its position ». Voir SINISI F., Op. cit., dans Oxford Handbook of Greek and

Roman Coinage, METCALF W.E, (éd.), Oxford, 2012, p. 292.

356 OLBRYCHT M., Op. cit., dans Within the Circle of Ancient Ideas and Virtues, TWARDOWSKA K., M.

d’une iranisation de plus en plus marquée de la cité357. L’apparition du portrait royal sur les

monnaies de la ville a quant à elle été interprétée comme la marque d’une main-mise arsacide croissante et hostile sur la ville358.

La division de l’histoire de la cité présentée dans le rapport de fouille de l’équipe américaine illustre bien cette tendance. Sans intervenir dès le changement de dynastie, le déclin y est lié aux conséquences de la révolte de la ville en 36-42 et aux invasions romaines du IIe siècle. Dans les dernières années, la théorie d’un Iranian Revival amorcé par les rois du Ier siècle pour contrer le philhellénisme et les agressions romaines a contribué à ancrer chez certains cette même chronologie.

D’autres résultats des campagnes de fouille ne respectent pourtant pas le schéma tracé par la tradition littéraire antique et l’historiographie moderne. De nombreux bâtiments furent ainsi non seulement rénovés mais même agrandis sous le règne des Arsacides. Des monnaies furent frappées en grand nombre jusqu’au IIIe siècle. Des traditions diverses – babylonienne, grecque, iranienne – se côtoyèrent non seulement dans les mêmes quartiers mais parfois sur les mêmes objets. Se pourrait-il dès lors que l’évolution de Séleucie sous sa nouvelle dynastie ne s’inscrive pas dans un récit linéaire de déclin et de disparition? C’est pour répondre à cette interrogation que ce chapitre s’intéresse d’une part aux rapports entretenus par les Arsacides avec la cité et d’autre part à l’identité et au rayonnement de celle-ci sous leur domination.