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Au nord du site de Séleucie s’étendait le plus vaste espace public découvert dans la ville jusqu’à aujourd’hui. Celui-ci se déployait en effet sur près de 20 000 m2. Sur son côté nord se dresse

aujourd’hui l’éminence de Tell Umar. Constitué d’un ensemble de poussière, de sable et de terre accumulé par les siècles sur une base de briques cuites ou crues, ce monticule couvre aujourd’hui un espace d’environ 90 mètres de long sur 70 mètres de large orienté selon un angle nord- est/sud-est222. Les fouilles entreprises par l’équipe italienne de l’université de Turin ont permis

d’établir que ce qui est aujourd’hui une petite butte dominant la ville du haut de ses 13 mètres fut aux époques séleucides et arsacides l’un des principaux bâtiments de la cité. S’y sont en effet succédées huit phases d’occupation entre la fondation de la ville et la période sassanide, alors qu’une tour fortifiée y fut bâtie. Cette occupation constante pendant plus de six siècles a rendu la distinction et l’analyse de ces différents niveaux complexes, d’autant que le haut niveau de la nappe phréatique et la salinité du sol ont endommagé les phases les plus anciennes223. La

datation des différentes phases ne peut donc bien souvent être que relative224. Seuls les trois

premiers niveaux (VIII-VII-VI), datés du début du IIIe à la fin du IIe siècle av. J.-C., nous intéressent ici.

La structure originale, datée grâce à des fragments de céramique du début ou du milieu du IIIe siècle, couvrait déjà un espace de près de 3000 m2 225. Elle était surtout constituée de briques

crues, accompagnées sur certains murs de briques cuites. Des fragments de ces mêmes briques cuites comblaient les espaces laissés libres226. Un fronton de 60 mètres de large, orienté du nord-

est au sud-ouest, donnait sur l’ensemble de bâtiments qui accueillit plus tard les habitations d’époque arsacide fouillé par l’expédition américaine. Les phases subséquentes s’élèveront sur ces bases tout en les étendant, sans qu’il soit possible de déterminer si la fonction du bâtiment demeura la même après cette expansion. Ce premier niveau n’a en effet été atteint qu’en certains

222 MESSINA V., Op. cit., 2010, p. 24.

223 INVERNIZZI A., The Excavations at Tell Umar, dans Mesopotamia, 1 (1966), p. 42. 224 Sur la datation des phases, se référer à MESSINA V., Op. cit., 2010, p. 1, 160 et 183-184. 225 MESSINA V., Op. cit., 2010, p. 25-53.

points et certains de ses murs semblent avoir été réutilisés par la suite227. Il apparaît cependant

évident qu’il s’agissait déjà d’une structure imposante et monumentale.

Celle-ci fut agrandie au cours du reste de la période séleucide pour prendre une forme polygonale qu’elle conserva entre les phases VII et III, c’est-à-dire jusqu’au IIe siècle ap. J.-C. et donc au-delà de la conquête arsacide. Elle fut aussi dotée de plusieurs étages228. Elle se

caractérise par la présence de deux éléments essentiels, un bâtiment à l’aspect concave dans l’axe de l’agora et un avant-corps imposant aux accès indépendants vers l’ouest229.

L’aspect concave de ce premier élément provient de l’érection d’un mur de briques de 13 mètres entourant un espace vide. Un ensemble de plateaux, formant un angle de 40 degrés s’éloignant du bord de la structure et se rapprochant de sa portion vide, contribue à donner à ce bâtiment l’aspect inhabituel qui décontenança les archéologues. Se basant sur sa taille et surtout sur les briques cuites et crues qui servirent à sa construction, les expéditions américaines et italiennes commencèrent en effet par l’identifier comme une ziggourat effondrée230. Cette identification

apparaît cependant étrange. Comment expliquer en effet que le centre de la structure soit vide, alors que dans les autres cas de ziggurats effondrées connus le cœur du temple soit la portion résistant le mieux? La poursuite des fouilles, tant à Séleucie qu’ailleurs en Babylone ou en Asie centrale et surtout l’analyse de leurs résultats ont permis de suggérer une nouvelle hypothèse faisant de ce bâtiment le théâtre principal de la ville231. D’autres substructures artificielles

servant à soutenir un théâtre ont en effet été découvertes à Élis et à Théra (Santorin), alors que le théâtre de Babylone était lui aussi construit en briques232. Le mur découvert à Tell Umar aurait

donc soutenu un koilon, séparé en son centre par un diazoma. Si les matériaux utilisés dans sa

227 Ibid., p. 51-53. 228 Ibid., p. 55-56. 229 Ibid., p. 57-71.

230 HOPKINS C., Op.cit, Ann Arbor, 1972, p. 9-11; INVERNIZZI A., The Excavations at Tell Umar, dans

Mesopotamia, 2 (1967), p. 1-32.

231 INVERNIZZI A., Op. cit., Athènes, 1991, p. 354-356; MESSINA V., Op. cit., Florence, 2010, p. 114-159. 232 MESSINA V., Da Babilonia a Aï-Khanoum. Teatri greci di età hellenistica e parthica a est dell’Eufrate, dans

construction ont trompé les premiers interprètes de ce bâtiment, sa fonction probable ne doit pas en faire de même aujourd’hui. Ce théâtre ne peut en effet être considéré comme le simple reflet de l’hellénité de la ville ou de l’hellénisation de la région. Le choix des briques, probablement imposé par les ressources disponibles en Babylonie, montre que ce monument, habituellement considéré comme l’un des éléments centraux de la culture grecque, pouvait être adapté aux circonstances locales. Mais surtout, la présence au sein de la même structure d’un autre bâtiment à la fonction très différente remet en question l’idée de cultures aux contours étanches.

L’avant-corps occidental mentionné plus haut abritait en effet un temple babylonien. Celui-ci s’appuyait au théâtre et les deux bâtiments semblent avoir partagé les mêmes fondations et connu une évolution semblable233. Il comptait pendant la période séleucide quatre pièces

donnant sur une cour commune. La nature de sa fonction fut cependant déterminée grâce à des découvertes effectuées aux niveaux supérieurs. Des travaux de réfection effectués conjointement sur le temple et le théâtre adjacent dans les premières années du Ier siècle av. J.- C. (phase V) ont en effet mis au jour une série d’autels. Les fondations du mur de l’une des chambres abritent d’autre part les restes d’un chiot. Or, une tablette babylonienne d’époque hellénistique retrouvée à Uruk mentionne de semblables sacrifices canins au cours de cérémonies de fondation ou de refondation appelées « kalû »234. La nature de ce bâtiment

apparaît donc clairement religieuse au moment de la première phase arsacide. Le fait qu’il ait été à peine retouché par les travaux de rénovation entrepris durant celle-ci permet de croire qu’il ait pu en être de même à l’époque de la domination séleucide. Le cadavre de ce chiot, de même que l’entrelacs des murs des bâtiments élevés sur lui, illustrent ainsi la double nature de la cité et surtout la difficulté à les départager.

233 MESSINA V., Op. cit., Florence, 2010, p. 155-157.

234 THUREAU-DANGIN F., Rituels accadiens, Paris, 1921, p. 9. Voir aussi ELLIS R., Foundation Deposits in