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CHAPITRE 2 UNE LITTÉRATURE RICHE SUR LES LIENS ENTRE FORME URBAINE

2.1 Villes et formes urbaines

2.1.1 La ville, un espace en (r)évolution ?

2.1.1.1 Étalement urbain

2.1.1.1.1 Suburbanisation, périurbanisation et rurbanisation

Une des raisons de l’urbanisation grandissante du XXe siècle qui s’est traduite par une croissance rapide de la taille des villes est l’augmentation de la population dans les villes. Il est donc important de distinguer le phénomène de croissance naturelle des villes et celui de l’étalement urbain, que l’on peut définir comme une augmentation de la surface urbanisée qui croît plus vite que l’augmentation de la population (European Environment Agency & European Commission, 2006).

L’étalement urbain est un phénomène qui a été longuement étudié et dont les causes sont nombreuses et issues de logiques qui se complètent (Brueckner, 2001 ; Nechyba & Walsh, 2004). D’un point de vue individuel, s’éloigner de la ville centre répond à la volonté d’être propriétaire de sa maison individuelle grâce à un prix du foncier plus faible et à des terrains plus vastes. Cet étalement urbain profite également aux logiques d’implémentation des activités, attirées par un foncier plus attractif. Cet étalement s’est manifesté de trois manières différentes lors de diverses phases : la suburbanisation, la périurbanisation et la rurbanisation (Pouyanne, 2004).

Le phénomène de suburbanisation est communément défini comme le déversement de population et d’activités du centre vers la périphérie de la ville (Pouyanne, 2004). La métaphore du « volcan » de Lacour résume bien ce phénomène (1996). Il résulte du manque de place dans la ville centre et de l’augmentation des loyers qui excluaient les classes défavorisées, ce qui a nécessité de construire rapidement et bon marché, donnant ainsi naissance aux grands ensembles (Bassand, 2000).

La périurbanisation s’effectue de manière plus éloignée du centre, à la périphérie des couronnes suburbaines et de manière plus discontinue que la suburbanisation. Les raisons de la périurbanisation sont différentes : fort attrait pour la maison individuelle, volonté d’être propriétaire, proximité avec les aménités naturelles. Ce phénomène a été en grande partie permis par le développement de l’automobile.

Le phénomène de rurbanisation, néologisme construit à partir des termes rural et urbanisation (Bauer & Roux, 1976), consiste à la modification des modes de vies et territoires ruraux qui deviennent de plus en plus urbains, tout en gardant leurs espaces à caractères ruraux (champs, forêts…)

(Bassand, 2000). Ce phénomène a donc lieu plus loin des villes et de manière totalement discontinue. La rurbanisation s’organise autour des noyaux de l’habitat rural2.

Ces diverses formes d’étalement urbain contribuent à la création d’une urbanisation discontinue, qualifiée par de nombreux adjectifs dans la littérature (Reux, 2014) : « ville éparpillée » (Bauer & Roux, 1976), « ville émiettée » (Charmes, 2011), « ville éclatée » (May et al., 1998)….

En France, le phénomène de périurbanisation a été le plus intense entre les années 1975 et 1982, avec une baisse de la population dans les villes centres au profit des couronnes périurbaines à un rythme de 2,2 % par an (Bessy-Pietri, 2000). Avant cette période, entre 1962 et 1975, ce sont d’abord les banlieues des pôles urbains qui se sont densifiées, avec un taux de croissance de 2,8 % de 1962 à 1968 et 2,2 % entre 1968 et 1975. Ensuite, après 1982, le rythme de croissance de la population des couronnes périurbaines a diminué : 1,7 % par an entre 1982 et 1990 puis 1 % dans les années 1990. Enfin, entre 2000 et 2010, la superficie de l’espace urbain en métropole s’est accrue de 19 % pour atteindre 22 % du territoire français (INSEE, 2011a). Cette évolution n’est bien évidemment pas restreinte à la France : par exemple, entre 2006 et 2016, la population de la Ville de Montréal a augmenté de 5,2 %, alors que celle de la Région Métropolitaine de Montréal a augmenté de 12,7 % (Source : Ville de Montréal). Cet étalement devrait par ailleurs se poursuivre, puisque l’Institut de la statistique du Québec prévoit entre 2011 et 2031 une hausse de la population de 29,9 % en banlieue montréalaise contre seulement 12,1 % dans l’agglomération (Ville de Montréal, 2011).

2.1.1.1.2 Mesure de l’étalement urbain

L’étalement urbain est un constat largement partagé. Il est néanmoins important de le définir et de savoir le mesurer finement. Comme défini précédemment, l’étalement urbain correspond à une augmentation de la surface urbanisée qui croît plus vite que l’augmentation de la population. Une des grandes questions de recherche des dernières années a été d’apporter une réponse pour mesurer l’étalement urbain de manière objective. De nombreuses propositions opérationnelles ont été apportées, à travers des indicateurs unidimensionnels ou multidimensionnels (Ewing & Hamidi, 2015). Les indicateurs unidimensionnels ont l’avantage d’être simples à calculer et demandent peu de données. Ils sont souvent basés sur la mesure de la densité ou des notions qui y sont liées. L’étalement urbain

est alors visible lorsqu’une diminution des densités moyennes est mesurée. Bien que très couramment utilisée, la notion de densité est délicate à appréhender, car une même densité peut traduire des réalités totalement différentes (Bussière & Dallaire, 1994). Ainsi, Fouchier (1997) montre que pour une même surface et une même densité de population, les logements peuvent être disposés sous la forme de hautes tours, d’immeubles à deux étages ou bien de maisons individuelles juxtaposées. Le gradient de densité a également été souvent utilisé. Proposé tout d’abord par Stewart (1942), puis formalisé par Clark (1967) et repris par la suite (Anas et al., 1998 ; Bussière, 1972 ; Tabourin, 1995), cet indicateur mesure la rapidité de la décroissance de la densité de population en fonction de la distance au centre. Concomitamment avec la notion de densité, une autre manière de qualifier l’étalement de manière unidimensionnelle est de calculer une surface urbanisée par personne : en France, cette surface a été multipliée par 2,3 entre 1984 et 2006 (CGDD, 2012). Enfin, la mesure des distances médiane et nonantane, qui correspondent à la distance au centre où réside respectivement 50 % et 90 % de la population cumulée, est également utilisée. Cette méthode proposée par Nicot (1996) permet de suivre facilement pour une même ville l’étalement urbain dans le temps ou de comparer les villes entre elles. Cependant, la seule notion de densité ne permet pas de capturer les diverses organisations et typologies d’agglomérations que l’on peut observer. C’est la raison pour laquelle les indicateurs multidimensionnels sont apparus comme la meilleure solution pour mesurer ce concept « nébuleux » qu’est l’étalement urbain (Laidley, 2016). Prenant en compte davantage de facteurs, ils nécessitent l’accès à davantage de données et d’outils, ce qui peut parfois poser les questions de la comparabilité des indicateurs et du choix des facteurs à intégrer.

Depuis le premier indicateur composite à être proposé par Galster et al. (2001), les dimensions reprises systématiquement sont : la densité, la continuité, la concentration, le regroupement, la centralité, la nucléarité, la mixité et enfin la proximité. Ensuite, les différents indicateurs composites varient en fonction du choix du nombre de dimensions pris en compte, du choix des indicateurs pour les appréhender, puis de la méthode d’agrégation des différentes dimensions. Un des indices les plus récents est celui de Ewing et Hamidi (2014). Dans sa deuxième version datant de 2014, cet indice développé aux États-Unis se base sur quatre facteurs, qui sont la densité de développement (« development density », combinant la densité de population, d’emplois et des parts de la population résidant parmi différentes classes de densité), la mixité (« land use mix », combinant un indice de marchabilité et un ratio emplois et population), la concentration d’activité (« activity centering », combinant le gradient de densité et la proportion d’emplois et de population dans le centre de

l’agglomération) et l’accessibilité (« street accessibility », combinant des caractéristiques sur les îlots et les intersections).

L’étalement urbain a modifié le fonctionnement de la ville. Historiquement, l’ensemble des fonctions économiques, sociales et culturelles était regroupé dans le centre-ville. On parlait de la ville comme étant « monocentrique, centrale et polyfonctionnelle » (Corade & Lacour, 1995). Depuis les années 1970, les politiques d’aménagement urbain tentent de maîtriser l’étalement urbain. A partir de l’analyse des documents de planification urbaine en France, Duflos et al. (1999) identifient trois actions sur le territoire : maîtriser l’urbanisation nouvelle, en ayant une action sur le contrôle réglementaire de l’espace, la redéfinition de l’espace à urbaniser et la mise en place d’une action foncière ; renouveler les centres-villes ; améliorer la mixité des territoires ; et enfin structurer le territoire en différents pôles hiérarchisés et mettre en cohérence les réseaux de déplacement et l’urbanisation nouvelle. Ces actions ont été réaffirmées lors de la loi ALUR (loi d’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové) du 24 mars 2014, dans laquelle la lutte contre l’étalement urbain et la consommation d’espace est renforcée à l’aide notamment de deux leviers d’action : l’identification des potentiels de densification des zones déjà urbanisées et le contrôle renforcé de l’ouverture à l’urbanisation. Ce dernier point nous amène au phénomène d’organisation polycentrique des métropoles, avec l’émergence de nouvelles « centralités en périphérie » (Lavadinho & Lensel, 2010, p. 113), dans une logique de polycentrisme réticulaire diversifié (Chalas, 2010) : les centres périphériques sont reliés à la ville centre, connectés entre eux et sont de nature différente les uns des autres (Frank & Pivo, 1995).

2.1.1.2 Émergence des métropoles polycentriques

L’émergence des métropoles polycentriques est issue de la relocalisation spatiale des activités. En effet, les centres-villes se sont de plus en plus spécialisés et, pour des raisons de disponibilité et de prix du foncier, la majorité des entreprises de type back-office ont migré des centres-villes vers la périphérie des villes (Tabourin, 1995). Dans une logique d’économie d’échelle, ces entreprises ont eu tendance à se regrouper, dans un processus que l’on a pu appeler de « déconcentration concentrée » (Pouyanne, 2004).

Plusieurs modèles théoriques de formation de pôles secondaires ont été proposés, dont celui de Fujita et Ogawa (1982), qui montrent l’existence de plusieurs configurations d’équilibre polycentrique en se basant sur le coût de transport domicile-travail et le coût de communication intra-firme. Les travaux de McMillen et Smith (2003) ont apporté une validation empirique du résultat de ce modèle : il est en

effet montré que le nombre de pôles secondaires a tendance à augmenter en fonction de la population urbaine et des coûts de transport. Plus précisément, en se basant sur 62 grandes aires métropolitaines américaines, ils ont montré qu’en moyenne ces deux variables expliquent environ 80 % de la variation du nombre de pôles secondaires. Un des résultats de ces travaux est la détermination d’un seuil critique d’apparition d’un pôle secondaire dans une aire urbaine avec une faible congestion à partir de 2,68 millions d’habitants. Ce modèle théorique de 1982 a depuis été amélioré, aboutissant à l’identification de onze configurations d’équilibre (Ota & Fujita, 1993).

Par la suite, de nombreuses méthodes empiriques ont été élaborées afin d’identifier les pôles secondaires des métropoles, basées sur le ratio de la population sur les emplois ou alors l’identification de pics locaux de densité d’emplois (Anas et al., 1998 ; Craig & Ng, 2001 ; Giuliano & Small, 1991 ; McDonald, 1987 ; McMillen, 2001). Tous les pôles secondaires ne sont pas identiques entre eux et ne copient pas à l’identique le fonctionnement de la ville-centre (Craig et al., 2016). A partir de l’étude de six agglomérations américaines, Lee (2007) a également montré qu’il existe plusieurs formes de polycentrisme et que le passage entre la ville monocentrique et la ville polycentrique dépendait à la fois du contexte historique et géographique de la ville et des types de secteurs économiques prédominants (par exemple, un fort poids des activités de finances et business comme à New York favorise la conservation d’une organisation monocentrique).

Face à cette diversité de configurations de la ville, la notion de forme urbaine a été proposée afin d’appréhender la complexité du territoire urbain. La partie qui suit vise à définir proprement cette notion qui sera mobilisée pour l’ensemble de la suite de ce travail de thèse.