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La construction d’une forme urbaine plus durable

CHAPITRE 2 UNE LITTÉRATURE RICHE SUR LES LIENS ENTRE FORME URBAINE

2.1 Villes et formes urbaines

2.1.3 La construction d’une forme urbaine plus durable

Pour parler de la notion de forme urbaine durable, il faut tout d’abord la resituer dans celle du développement durable.

La définition la plus répandue du développement durable est issue du rapport « Notre Avenir à tous » de 1987, dit rapport de Gro Harlem Brundtland, présidente de la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement. Le développement durable est alors défini comme : « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (Brundtland, 1987, p. 40). Cette définition, qui a eu le mérite de vulgariser et de diffuser largement la notion de « sustainable development », est le résultat de plusieurs courants de pensée préexistants qui font le constat que les ressources de la planète et les capacités d’adaptation de sa biosphère ne sont pas infinies.

Ainsi, en 1972, le rapport « The limits to growth », commandé par le Club de Rome et rédigé par l’équipe de Dennis Meadows du MIT puis traduit en français par « Halte à la croissance ? », arrive à la conclusion que la croissance économique et démographique perpétuelle conduira à une dégradation significative des conditions de vie et de l’environnement (Meadows et al., 1972). Grâce aux résultats d’un modèle mathématique, élaboré pour l’époque mais assez rudimentaire à présent, le rapport préconise alors une croissance zéro. Dans le courant de « l’écodéveloppement », Sachs (1981) préconise au contraire la croissance, mais en étant attentif aux contraintes de ressources naturelles. C’est cette vision qui sera promue dans le rapport Brundtland.

Depuis, la notion de développement durable est aussi bien reprise régulièrement lors de grands sommets internationaux (Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement à Rio en 1992, Conférences des Nations Unies à Kyoto en 1997, Conférence Rio+20 en 2002, Conférence de Copenhague de 2010 et Conférence Climat de Paris en 2015), qu’à l’échelle nationale et locale au travers de tous les documents politiques ou techniques de planification et d’orientation. L’application locale du développement durable s’est traduite en France par la mise en place des agendas 21 locaux, où des démarches d’évaluation peuvent être réalisées (Hély, 2017).

Le développement durable a ainsi pris de plus en plus d’importance. Cependant, ce terme a pu être employé pour défendre des politiques ou des idées de nature différente (Nicolas, 2013). Cette diversité de visions et de significations idéologiques mises en jeu est telle « qu’il ne subsiste souvent qu’une forme rhétorique » à la notion de développement durable (Vrain, 2003).

Le triangle du développement durable de Da Cunha et al. (2005) synthétise bien la complexité et la quantité de thématiques cachées derrière la notion de développement durable (cf. Figure 2.1). Il nous invite à ne pas analyser le développement durable de manière segmentée selon les trois dimensions qui sont l’économie, l’environnement et la société. Il introduit pour cela les concepts de viabilité, d’effiquité et de justice environnementale. Ainsi, le développement durable est « une question clé de ce début de XXIe siècle » qui « conduit progressivement à tout revoir : valeurs, styles de vie, usages du temps, transports, modes de produire, aménagement de l’espace, modalités de gouvernance, institutions » (Da Cunha, 2003, p. 13).

Figure 2.1 : Triangle du développement durable de Da Cunha et al. (2005)

Source : Traitement auteur à partir de Da Cunha et al. (2005, p. 16).

Cependant, même si les questions actuelles portent sur les formes urbaines durables, le débat sur l’organisation des villes est quant à lui plus ancien que la notion de durabilité. Voici un bref historique des principaux mouvements d’urbanisme du XXe siècle à nos jours. Ces mouvements se sont exprimés

à travers des chartes signées par les experts et urbanistes voulant définir leur vision de la ville idéale et se retrouvent également dans les débats académiques via les articles scientifiques cherchant à expliquer la manière dont la ville se forme et s’organise.

2.1.3.1 Utopies urbaines

De nombreuses utopies urbaines se sont succédées, soit en contrôlant fortement l’espace, soit en se basant sur les libertés individuelles. L’objectif n’est pas ici de faire une revue chronologique et détaillée de l’ensemble des utopies urbaines, ce qui a déjà été réalisé auparavant, en commençant par Françoise Choay (1965), mais de montrer la grande diversité d’approches de la ville durable. Le récent travail de thèse de Maxime Frémond (2015) propose une nouvelle approche, en détaillant pour nombre d’entre elles leurs objectifs, leurs normes et leurs règles.

2.1.3.1.1 Le Corbusier et la Charte d’Athènes de 1933

Durant la deuxième moitié du XXe siècle, l’aménagement urbain européen s’est fortement imprégné de la Charte d’Athènes de 1933, avec Le Corbusier comme chef de file. Cette charte fut proposée lors de la 4ème édition des Congrès Internationaux des Architectes Modernes, dont l’objectif était de définir

des bases de l’urbanisme moderne (Le Corbusier, 1933). Les principaux principes de cette Charte sont :

- une vision de la ville en quatre fonctions : « habiter, travailler, se recréer (dans les heures libres), circuler » ;

- une géométrisation de la ville selon un zonage fonctionnel : « les plans détermineront la structure des secteurs attribués aux quatre fonctions clés et ils fixeront leurs emplacements respectifs dans l’ensemble ». Ce zonage permet ainsi selon Le Corbusier de régler les fonctions quotidiennes « dans l’économie de temps la plus stricte » ;

- la mise en place d’un urbanisme selon des plans modèles établis par des experts architectes, faisant table rase du passé et du contexte local. Ceci se manifeste par exemple par la création en 1925 de plans pour Paris basés sur la construction de hautes tours à la place du Vieux-Paris, appelé Plan Voisin ;

- une séparation et une hiérarchisation des flux de déplacements selon les modes et les capacités, toujours dans une optique de réduction des temps de transports, qualifiés d’inutiles : de grandes

artères (« rues de transit et voies maîtresses ») pour une circulation fluide automobile et des « rues de promenades et d’habitation » pour la marche à pied ;

- une nette séparation entre les lieux d’habitation et les usines, délimités par de l’espace vert. Cette Charte se place dans le courant des modèles dits « culturalistes » selon Françoise Choay (1965), où la ville et la nature sont fortement dissociées (Carriou & Ratouis, 2014).

Cependant cette vision de l’urbanisme n’est plus aujourd’hui majoritairement partagée. 2.1.3.1.2 Le « New Urbanism »

Le « New Urbanism » est un courant urbanistique et architectural qui a vu le jour de manière informelle aux États-Unis dans les années 1980 sous la forme du néotraditionalisme et qui a été officiellement crée en 1994 lors du 1er congrès annuel, le Congress for the New Urbanism (CNU). Ses fondateurs

sont Peter Calthorpe, Andrés Duany, Elizabeth Moule, Elizabeth Plater-Zyberk, Stefanos Polyzoides et Dan Solomon, ainsi que Peter Katz, premier directeur exécutif du CNU (Calthorpe, 1994 ; Duany & Plater-Zyberk, 1994 ; Kelbaugh, 1989).

La première Charte du New Urbanism, qui regroupe les principes du mouvement, a été adoptée en 1996 lors du 4ème congrès et a été mise à jour en 2013 (Talen, 2013).

Le courant du New Urbanism s’est construit principalement en réaction au phénomène d’étalement urbain afin d’apporter une solution d’aménagement alternative plus durable. Le constat de base du mouvement est en effet de considérer que l’aménagement décentralisé des banlieues basé sur l’automobile entraine une surconsommation d’espace et une perte de vie citoyenne. Le New Urbanism n’est cependant pas homogène et deux principaux courants coexistent. Le « courant de l’Ouest », porté notamment par Peter Calthorpe, qui s’intéresse d’abord à l’échelle régionale de l’aménagement et aux opérations de réhabilitation urbaine. Développé par Peter Calthorpe dans son ouvrage The Next American Metropolis (1993), le Transit-Oriented Development (TOD) propose un modèle de ville organisé à une échelle métropolitaine autour de transports collectifs lourds tels que le ferroviaire afin d’éviter une dispersion trop importante de la ville. Le « courant de l’Est », porté par Andrès Duany et Elizabeth Plater-Zyberk qui travaillent davantage sur le design urbain à l’échelle du quartier et de l’îlot dans les territoires suburbains (Ghorra-Gobin, 2006 ; Ouellet, 2006).

On peut également synthétiser ces principes du New Urbanism en deux objectifs : recréer de la convivialité avec davantage de diversité des usages et d’interactions sociales ; recréer des

environnements adaptés aux transports collectifs et à la marche à pied. La mixité sociale et fonctionnelle, la prise en compte du contexte local et historique, la pluridisciplinarité de l’aménageur, ainsi qu’une remise en valeur forte du piéton et de la marche à pied sont à la base de ces principes. Ainsi, selon la Charte du CNU, « la plupart des activités quotidiennes doivent pouvoir se faire dans un périmètre accessible à pied », au sein de quartiers « denses, conviviaux pour le piéton et composés de logements, de commerces et de bureaux » (CNU, 2001). La mixité fonctionnelle et sociale, ainsi que la densité de population, sont alors le moyen de rapprocher les différents lieux de vie afin d’encourager la marche à pied et de dissuader l’usage de la voiture.

Une des grandes particularités de ce mouvement est également la réflexion de l’aménagement selon trois niveaux d’échelle, du plus global au plus local : la Région, composé de la Métropole, de l’Agglomération et de la Ville ; le quartier, le « district » et le « corridor » ; l’îlot, la rue et l’immeuble. Ces trois échelles sont en adéquation, toujours dans une logique de valorisation de la marche à pied, d’utilisation raisonnée du foncier et d’une réflexion sur les réseaux de transport (Ghorra-Gobin, 2014). Les fondements du « New Urbanism » possèdent des similitudes avec la vision de l’aménagement de la charte d’Aalborg et de la ville cohérente, explicitée ci-dessous.

2.1.3.1.3 La Charte d’Aalborg

En Europe, la même trajectoire a été prise à l’occasion de la publication du Livre Vert sur l’environnement urbain de la Commission européenne (Emelianoff, 2001). En faisant le constat que les villes européennes sont confrontées aux mêmes problèmes qu’aux États-Unis, en partie issus des principes de la Charte d’Athènes, un groupe d’experts sur l’environnement urbain crée en 1993 le projet « Villes durables ». De nombreuses villes européennes se lancent alors dans un projet visant à échanger leurs expériences pour aboutir à une ville plus durable. C’est dans ce contexte que la Charte d’Aalborg, portant le nom de la ville ayant accueilli la première conférence européenne sur les villes durables en 1994, a été élaborée. Les principes de cette Charte sont volontairement opposés à ceux de la Charte d’Athènes de 1933 et visent à sensibiliser les villes à une politique de développement durable urbain. Ainsi, les principes de mixité fonctionnelle, de prise en compte et de mise en valeur de l’existant, d’urbanisme participatif et de densification de la ville sont prônés. En 1996, la deuxième conférence des villes durables européennes qui s’est déroulée à Lisbonne a abouti au Plan d’action de Lisbonne : de la Charte à la pratique. Il fournit alors douze principes d’action afin de concevoir et appliquer les Agendas 21 locaux issus de la Conférence de Rio de 1992. Il insiste sur l’importance de l’implication,

la sensibilisation, l’éducation et la coopération de l’ensemble des acteurs du territoire et réaffirme la nécessité de prendre en compte les aspects environnementaux, sociaux et économiques. Enfin, en 2004, la Charte d’Aalborg + 10, actualisation de celle de 1994, est ratifiée par plus de 500 villes du monde.

En 2013, un cadre de référence pour les villes durables européennes (RFSC) a été mis à disposition des villes et collectivités d’Europe. Ce cadre est un outil web élaboré pour l’évaluation et l’amélioration de tout type de projet d’aménagement urbain et qui propose une série d’indicateurs portant sur des aspects économiques, sociaux, environnementaux et sur la gouvernance3.

On a ainsi vu durant le XXe siècle une mutation des utopies urbaines, passant d’une segmentation fonctionnelle et hygiéniste de la ville à une volonté de mixité fonctionnelle permise par des villes plus denses.

2.1.3.2 Formation et fonctionnement de la ville

Cette nouvelle vision de la ville durable, mixte, dense et fonctionnelle, a été traduite dans le milieu de la recherche et au niveau opérationnel dans les documents d’urbanisme de plusieurs manières, à commencer par la promotion de la Ville Compacte. Cette dernière a été très largement approuvée, pour être actuellement de plus en plus critiquée, aboutissant à la création de plusieurs modèles alternatifs, plus efficaces dans un objectif de durabilité de la forme urbaine.

2.1.3.2.1 La Nouvelle Économie Urbaine

Ce courant vise à comprendre la production de l’espace urbain à travers la notion d’utilité (Alonso, 1964 ; Mills, 1972). En se focalisant sur l’individu et ses interactions avec la ville, l’objectif est alors de trouver l’organisation spatiale des villes qui maximise la somme des utilités individuelles, considérées comme la valeur de l’utilité globale. La ville est réduite à une seule dimension, la distance au centre, à laquelle la notion de rente offerte est associée. Cette rente représente le montant maximum qu’un résident est prêt à débourser pour obtenir une unité de sol à une distance au centre donnée et pour un niveau d’utilité fixé (Pouyanne, 2004). Elle diminue en fonction de la distance au centre, au même titre que les coûts de transports augmentent (Muth, 1969).

Cette approche se distingue nettement des autres courants, car elle est entièrement centrée sur l’individu. La Nouvelle Économie Urbaine ne questionne pas directement la pertinence du modèle de Ville Compacte mais possède l’avantage de fournir un cadre théorique aux relations entre le prix du foncier et le coût du transport, la distance au centre, la densité de population et le revenu : une diminution du coût des transports conduit à faire baisser la force d’attraction du centre et se traduit par une diminution de la densité ; une hausse des revenus conduit également à une baisse des densités (Wheaton, 1974).

2.1.3.2.2 La Ville Cohérente

En réponse à la ville compacte, qui est par définition basée sur un critère morphologique de courte distance et de proximité de tous à tous, la ville cohérente se définit comme « une ville de la distance moyenne », basée sur un critère fonctionnel « où chacun serait à proximité des principaux endroits où il a à se rendre » (Korsu et al., 2012, p. 61). De telles recherches conduites sur la région parisienne dans le but de diminuer la distance des déplacements domicile-travail montrent que la relocalisation des ménages comptant au moins un actif et situés à plus de 30 minutes de leur lieu de travail (ce qui représente 27 % des ménages) permettrait de diminuer les distances parcourues d’environ 30 %. Une optimisation de l’éloignement scolaire, qui correspond à la distance séparant le lieu de domicile d’un élève et l’école qu’il fréquente, peut également être une source de réduction des distances parcourues (Pépin, 2012).

2.1.3.2.3 La Ville Fractale

Le concept de ville fractale provient d’une série de constats. Tout d’abord, le modèle de Ville Compacte, sur lequel nous reviendrons prochainement, ne parvenant pas à maîtriser efficacement la périurbanisation, des stratégies de « canalisation de l’étalement urbain » ont été cherchées en intégrant la demande sociale (Duflos et al., 1999). Ensuite, l’observation des tissus urbains montre un principe d’emboîtement d’échelles, qui peut être modélisé par une approche fractale (Frankhauser, 2005). Les premiers à avoir montré que le processus de croissance urbaine aboutit à une organisation de la ville en multi-échelles sont Mandelbrot (1982), Batty et Longley (1986), Fotheringham et al. (1989) et Frankhauser (1990).

Dans la notion de ville fractale, la forme urbaine est découpée selon la forme locale, qui correspond à l’échelle de l’îlot, et la forme globale, qui correspond à l’organisation spatiale de ville dans son ensemble. Ces deux formes sont reliées entre elles par une relation de similarité plus ou moins forte (cf. Figure

2.2). Ainsi, « une ville fractale n’est donc pas forcément une ville qui répète la même forme à différents niveaux d’analyse » mais qui « répète simplement la même logique de disposition des éléments les uns par rapport aux autres » (Tannier, 2009). Les aspects importants qui sont pris en compte dans le développement en fractale sont un développement en pôles urbains hiérarchisés, une logique d’accès aux transports collectifs similaires à ceux du TOD, un développement dense à l’échelle locale, une intégration des espaces verts aux différentes échelles d’urbanisation et la préservation de réseaux d’espaces naturels (Frankhauser et al., 2018).

Figure 2.2 : Étapes de construction théoriques d’une ville fractale

Source : Frankhauser (2005)

Ce modèle d’urbanisation, basé sur des modèles mathématiques, est relativement récent dans le paysage de l’aménagement urbain et fait encore l’objet de nombreux mythes (Tannier, 2018). Après avoir prouvé sa force dans la description des tissus urbains, son utilisation dans la prévision de la demande de transport et dans l’analyse sur les relations entre formes urbaines et mobilité est encore récente (Antoni et al., 2015).