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CHAPITRE 2 UNE LITTÉRATURE RICHE SUR LES LIENS ENTRE FORME URBAINE

2.2 Les liens complexes entre forme urbaine et mobilité

2.2.4 Le périurbain, changement de point de vue

A la frontière entre l’analyse de la forme urbaine locale et globale se place le périurbain. Ces territoires ne sont en effet pas très bien délimités, ne peuvent pas être pris en compte seulement à une échelle

locale, mais ne constituent pas à eux seuls une forme urbaine globale. A moitié urbains et à moitié ruraux, ils sont définis par l’INSEE en opposition au pôle urbain : ce sont « l’ensemble des communes dont au moins 40 % des actifs résidents travaillent dans le pôle ou dans les communes attirées par celui-ci », en sachant que le pôle urbain est « une commune ou un ensemble de communes qui comporte sur son territoire une zone bâtie d'au moins 2 000 habitants où aucune habitation n'est séparée de la plus proche de plus de 200 mètres […] offrant au moins 10 000 emplois et qui n'est pas située dans la couronne d'un autre pôle urbain »4.

La mobilité des ménages périurbains représente un enjeu important du fait de la très forte hausse de la population de ces dernières décennies. En France, les taux annuels d’évolution démographique des couronnes périurbaines sont nettement supérieurs à ceux des villes-centres et des banlieues des pôles urbains (cf. Tableau 2.1). Par ailleurs, les individus des communes périurbaines parcourent en moyenne davantage de distances : selon l’Enquête Nationale Transports et Déplacements de 2008, 32 km par jour pour un habitant d’une commune polarisée contre seulement 24 km pour un habitant d’une banlieue et 17 km pour un habitant du centre d’une aire urbaine de plus de 100 000 habitants - hors Paris (CGDD, 2010). L’usage de la voiture est également nettement plus important (respectivement 78 %, 70 % et 50 % des déplacements).

Tableau 2.1 : Taux annuels moyens d’évolution démographique en France à partir de 1975 Villes-centres

des pôles urbains des pôles urbains Banlieues périurbaines Couronnes

1975-1982 -0,45 % 0,93 % 2,23 %

1982-1990 -0,10 % 0,87 % 1,67 %

1990-1999 0,15 % 0,43 % 0,96 %

1999-2006 0,31 % 0,64 % 1,30 %

Source : Recensement INSEE (Baccaïni & Sémécurbe, 2009).

De très nombreuses réflexions sur les couronnes périurbaines ont alors vu le jour, pour arriver maintenant à un tournant. En effet, le périurbain est trop souvent considéré comme une entité homogène alors que la réalité est, comme la plupart du temps, bien plus complexe que cela. Cette prise de conscience est maintenant en train de s’affiner, comme le montrent de récents travaux aux titres souvent explicites tels que « Réhabiliter le périurbain » (Rougé et al., 2013). Le terme même de périurbain a été remis en question : en effet, ces territoires ne sont ni complètement urbains, ni

complètement ruraux et le terme de périurbain met trop l’accent sur leur urbanité. Ainsi le terme de « rurbain », initialement utilisé par Bauer et Roux (1976), est de nouveau mis en avant par une communauté de chercheurs.

Afin de mieux comprendre les modes de vie périurbains, il est important de détailler davantage le processus de périurbanisation en l’abordant avec un regard plus proche et non purement statistique. Les travaux récents menés dans le cadre du PUCA5 (2014) résument bien les processus de

périurbanisation et leurs conséquences.

Selon Éric Charmes (2009) et en s’inspirant des travaux de Thierry Vilmin (2006), on peut résumer le processus de périurbanisation français à l’échelle communale en quatre étapes :

1. Extension de l’aire d’influence d’une ville voisine et montée de la demande de logements. Cette demande est souvent poussée par les propriétaires fonciers, influents dans les conseils municipaux ;

2. Augmentation rapide de la population, sous la forme de paliers plus ou moins longs qui correspondent à l’ouverture de lotissements, qui entraine une modification des équilibres anciens locaux (sociologiques, politiques, financiers) ;

3. Phase de stabilisation, voire déclin démographique, du fait de l’affirmation politique d’une logique de préservation du cadre de vie promue par les anciens et nouveaux propriétaires ; 4. Poursuite faible de la croissance démographique portée par la nécessité de maintenir ouvertes

les classes de l’école communale.

Cette phase de stabilisation est essentielle dans la compréhension de la périurbanisation, car elle permet la préservation des espaces verts et agricoles qui la distingue des banlieues.

La stigmatisation des territoires périurbains est encore fortement présente, aussi bien dans la presse (Billard & Brennetot, 2009) que dans le milieu de la recherche, comme l’affirme Éric Charmes : « on peut penser qu’il y a effectivement un a priori chez les urbanistes, les aménageurs, les élites, les

5 Le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) est une agence interministérielle créée en 1998 afin de faire progresser les connaissances sur les territoires et les villes et éclairer l’action publique : http://www.urbanisme- puca.gouv.fr/ (consulté le 18 juin 2016)

intellectuels, contre le périurbain – pour ne pas dire contre l’habitant du périurbain » (In. Rougé et al., 2013).

Cette stigmatisation du périurbain se retrouve sur des thématiques variées, telles que les votes extrémistes (Guilluy, 2012), un entre-soi communautaire, la surconsommation d’espace et des mobilités non durables. L’affirmation du caractère non durable des mobilités se base sur un certain nombre d’études, essentiellement focalisées sur les taux de motorisation et les distances parcourues des migrations domicile-travail. Ainsi, à partir de l’Enquête Nationale Transports et Déplacements de 2008, François (2010) montre que les distances moyennes des trajets domicile-travail sont nettement supérieures pour les communes polarisées que pour les pôles urbains ou leurs banlieues. Ceci s’explique par une proportion plus importante d’actifs qui travaillent en dehors de leur commune de résidence (Baccaïni et al., 2007), ainsi qu’une situation de monopole de l’automobile dans ces territoires (Dupuy, 1999 ; Motte-Baumvol, 2007).

Néanmoins, les recherches qui illustrent la multiplicité des périurbains sont de plus en plus nombreuses. Une première approche consiste à observer la multiplicité des modes d’habiter le périurbain. Pour cela, les travaux sont de nature statistique en se basant sur des bases de données telles que le recensement ou les enquêtes transport (Baccaïni et al., 2007), ou bien qualitatifs à partir d’entretiens. On peut ainsi citer les travaux de Hervouet (2007) sur la région Nantaise qui a construit une typologie des modèles de mobilités quotidiennes en six classes, ou bien ceux de Rodolphe Dodier, qui propose une typologie des modes de vie en neuf classes à partir de l’observation de 1 000 ménages pendant un mois dans la région de la Loire (Dodier, 2013) :

- Les repliés sur le ménage, les reclus et les captifs, caractérisés par une faible mobilité et un mode de vie centré sur le logement. Ces ménages correspondent à environ un quart de la population périurbaine et sont principalement des ménages ayant des difficultés à se déplacer, pour des raisons de santé ou financières.

- Les villageois et les multi-compétents, dont la mobilité se réalise à la fois au sein du périurbain de proximité et en direction de la ville centre. Ces ménages, qui représentent environ la moitié de la population étudiée, sont bien intégrés au sein de leur commune.

- Les navetteurs, les périphériques, les hyper-mobiles et les absents, dont les modes de vie sont essentiellement tournés vers l’extérieur (ville centre et autres systèmes urbains). Ils représentent environ un quart de la population.

Ces modes de vie sont très fortement liés aux caractéristiques sociales et spatiales des individus. Ainsi, la première catégorie de population se compose généralement des femmes alors que les individus périphériques, hyper-mobiles et absents sont plus souvent des hommes. La catégorie socioprofessionnelle joue également un rôle important : les cadres et professions intermédiaires sont souvent des multi- compétents alors que les employés et ouvriers plutôt des villageois. Le « passé résidentiel » des ménages joue également sur la mobilité des périurbains (Cao & Chatman, 2015), particulièrement pour les déplacements loisirs, visites à la famille et aux amis (Hervouet, 2007) et pour certains services (Madoré, 2004).

La deuxième approche pour mettre en évidence la multiplicité des territoires périurbains est de réaliser une description fine du territoire.

La place de l’agriculture est une manière de différencier les territoires périurbains. Cette donnée est facile d’accès et montre bien le caractère ambivalent du périurbain, en partie urbain et en partie rural (Poulot, 2008).

La distance au centre est une autre manière simple de segmenter le périurbain. Mais cette approche, qui raisonne uniquement en termes de couronnes concentriques, masque beaucoup d’autres indicateurs pertinents et certains auteurs remettent même en cause l’utilité de cette variable pour segmenter le périurbain (Dodier, 2013). Ainsi, à partir d’entretiens auprès de ménages dans la région de Toulouse, Rougé (2007) avance l’importance de l’aménagement de l’espace public et de l’habitat : lotissements isolés des bourgs, résidences fermées ou petits collectifs. On rejoint alors la nécessité d’inclure dans l’analyse des territoires périurbains la même famille d’indicateurs utilisée pour étudier la ville.

Certains chercheurs raisonnent également en dynamique et parlent de maturation des espaces périurbains, à la fois morphologique avec une densification de certaines communes et sociétale avec une mixité générationnelle grandissante (Berger et al., 2011). Le desserrement de l’emploi, qui s’effectue de manière hétérogène sur le territoire en se concentrant en quelques points, tend à structurer le territoire et à faire émerger des pôles (Chalonge & Beaucire, 2007).

La forme même des îlots permet de mettre en évidence une typologie de périurbains. En prenant en compte cinq types d’indicateurs portant sur l’intensité, la portée, la dispersion, la granulométrie et la morphologie des îlots périurbains, les récents travaux de la thèse de Matthieu Drevelle montrent une « étonnante diversité géographique » des territoires périurbains (2015, p. 224). A l’aide d’une maille de

1 km, le territoire est segmenté en trois types : réticulaire – îlots d’au moins 2 km ou d’une surface d’au moins 50 hectares –, satellitaire – îlots plus petits – et dispersé – aucun îlot identifié.

Enfin, l’importance de l’organisation du bâti, signe de l'existence d’une variabilité du périurbain, est la base des concepts de contrats d’axe en France, ou bien de Transit Oriented Development en Amérique du Nord. Ils consistent à favoriser le développement de logements et d’activités autour des axes lourds de transport tels qu’une ligne de train afin d’encourager le report modal en faveur des transports collectifs et des modes doux. Ces politiques publiques partent du principe qu’une modification du réseau et de l’usage des sols peut modifier les comportements des résidents des espaces périurbains.

Afin de sortir de la dépendance à l’automobile de ces territoires, le potentiel de l’usage du vélo est actuellement mis en avant, notamment dans une logique de rabattement aux transports collectifs (Abours et al., 2015 ; Héran, 2013).

Cette nouvelle prise de conscience de la variété de territoires périurbains, dont la littérature scientifique s’enrichit actuellement rapidement, est un aspect très intéressant à prendre en compte lors de l’analyse des interactions forme urbaine et mobilité. Elle vient en effet apporter de nombreuses nuances à des analyses qui découpent souvent trop rapidement le territoire urbain selon son centre, sa banlieue et sa couronne périurbaine.

Un questionnement spécifique sur ces territoires est ainsi nécessaire, afin d’identifier les indicateurs de mobilité et les variables du territoire qui sont pertinents pour parler des comportements de mobilité des territoires périurbains (Gonçalves et al., 2017b). La tendance actuelle est la fabrication de typologies de territoires, qui se basent soit exclusivement sur des caractéristiques propres aux territoires, soit en les couplant avec des caractéristiques de mobilité quotidienne (Gonçalves et al., 2017a ; Pucci, 2017).