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CHAPITRE 2 UNE LITTÉRATURE RICHE SUR LES LIENS ENTRE FORME URBAINE

2.2 Les liens complexes entre forme urbaine et mobilité

2.2.2 Mobilité quotidienne et forme urbaine locale

Le deuxième groupement d’études sur les relations entre forme urbaine et mobilité quotidienne porte sur l’impact de la forme urbaine locale, constituant une littérature scientifique très riche. Il s’agit d’analyser les comportements de mobilité des individus selon les caractéristiques de leur commune ou quartier de résidence et de « déterminer si la mobilité de chaque individu résidant dans l’espace urbain considéré varie selon la forme urbaine locale de son quartier de résidence » (Le Néchet & Aguilera, 2011, p. 4). Étant donné le caractère local de ces études et les soucis de comparabilité des données disponibles, elles ne portent en général que sur une ville, voire sur un pays.

Dans la littérature précédant les années 2000, les territoires étaient souvent caractérisés à l’aide de quelques indicateurs tels que la densité de population ou l’éloignement par rapport au centre. Par la suite, de nombreux indicateurs ont vu le jour permettant d’appréhender d’autres composantes du territoire. Ces nouvelles données, rendues accessibles du fait de la démocratisation des données open data et des évolutions des techniques de SIG, aboutissent à une littérature de plus en plus riche sur les déterminants de la mobilité avec un panel d’indicateurs foisonnant.

Il est possible de classifier la littérature en fonction du niveau de finesse du territoire et du contexte socioéconomique des ménages (Le Néchet, 2010). Les principaux indicateurs de mobilité utilisés sont les parts modales, le temps et le nombre de déplacements effectués, ainsi que bien souvent, les distances parcourues en voiture.

Dans le premier cas, la caractérisation spatiale du lieu de résidence est moins précise, avec un découpage qui est le plus souvent du type centre/périphérie, mais en contrepartie ces travaux insistent sur les caractéristiques socioéconomiques des ménages telles que le revenu, le nombre d’actifs et d’adultes. On peut alors citer les travaux de Pouyanne (2004) dans la région de Bordeaux, Nicolas et al. à Lyon (2001), Schwanen et al. (2001) en Hollande et Giuliano et Narayan (2003) en comparant des villes d’Angleterre et des États-Unis. De manière générale, ces travaux montrent une utilisation accrue de la voiture lorsque l’on s’éloigne du centre.

Dans le second cas, les territoires étudiés sont caractérisés par de multiples indicateurs, avec selon les cas une prise en compte plus ou moins fine des caractéristiques des ménages. Outre les variables classiques telles que la densité et la distance au centre, de nouvelles notions se sont imposées. L’étude

de Cervero et Kockelman (1997) a formalisé ces analyses, en introduisant le concept des dimensions – 3Ds – qui sont :

- La densité (« density »), le plus souvent de population, de ménages, de logements ou d’emplois, ou d’activité, qui est la somme de la population et des emplois d’une zone divisée par sa surface. - La diversité (« diversity »), qui mesure le degré de représentation des différents usages du sol (habitation, emplois…). Des ratios de population ou logements par emplois ou bien des indicateurs plus complexes d’entropie sont les indicateurs les plus utilisés.

- Le design (« design »), qui qualifie le réseau routier, et qui peut être défini à partir de taille d’îlots, de linéaire de routes ou de trottoirs, de densité d’intersections ou de passages piétons ou tous autres éléments permettant de faire une distinction entre un environnement favorable aux modes doux ou au contraire à la voiture.

En 2010, trois autres dimensions sont venues compléter la liste, aboutissant aux 6Ds (Ewing & Cervero, 2010) :

- L’accessibilité aux destinations (« destination accessibility »), qui mesure la facilité à se rendre à ses différents lieux de destination. Cette accessibilité peut donc se décliner en autant de motifs de déplacements, c’est-à-dire une accessibilité à l’emploi, aux commerces, aux loisirs, aux services… Des indicateurs d’accessibilité gravitaires ou isochrones (mesurant une quantité de services accessibles en une durée donnée) permettent d’approcher cette accessibilité.

- La distance aux transports collectifs (« distance to transit »), qui mesure la facilité à accéder au réseau de transports collectifs. Elle peut être mesurée en calculant des densités d’arrêts, des distances d’accès aux arrêts ou des indicateurs plus complexes estimant la qualité du service de transports collectifs proposé.

- Le management de la demande (« demand management »), qui est moins couramment utilisée, car souvent plus complexe à estimer, mais dont la prise en compte est de plus en plus courante, englobe généralement la question du stationnement (son coût et/ou sa disponibilité).

La démographie a également été évoquée comme septième D, apportant une information sur la dynamique des territoires.

Des revues de littératures sur le sujet sont régulières (voir notamment Ewing & Cervero, 2001, 2010 ; Naess, 2012 ; Stead & Marshall, 2001) et permettent de dégager les points de consensus suivants :

- Les taux de mobilité (nombre de déplacements par jour et par personne) sont principalement déterminés par les caractéristiques socioéconomiques individuelles telles que l’occupation, l’âge et le revenu et la composition du ménage auquel la personne appartient (De Witte et al., 2013 ; Pouyanne, 2004 ; Scheiner & Holz-Rau, 2007 ; Veneri, 2010).

- La possession automobile est fortement dépendante des caractéristiques sociodémographiques et socioéconomiques du ménage, avec des effets de générations et de revenus forts, mais elle est également modulée par la forme urbaine locale et notamment la densité et l’accessibilité aux transports collectifs (Bhat & Guo, 2007 ; Clark et al., 2015 ; Joly et al., 2009 ; Paulo, 2006). - Le choix modal et la longueur des déplacements sont également impactés par les

caractéristiques de la forme urbaine locale. Plus précisément :

o L’accessibilité aux transports collectifs, la densité résidentielle et la diversité peuvent encourager l’usage de la marche à pied, du vélo et des transports collectifs au détriment de l’automobile.

o Le design et l’accessibilité aux destinations impactent davantage la longueur des déplacements.

- L’accès à un stationnement au lieu de résidence, qui est devenu un levier de politiques publiques majeur ces dernières années, est un facteur favorisant la possession automobile (Guo, 2013a) et son usage (Christiansen et al., 2017 ; Guo, 2013b).

Ainsi, bien que les caractéristiques socioéconomiques des ménages expliquent en premier lieu les différents choix de mobilité quotidienne, la forme urbaine locale a aussi une action sur la motorisation, le choix modal et les distances parcourues, à composition du ménage équivalent.

Il existe également des études qui analysent les comportements de mobilité au regard du lieu de travail. Moins nombreuses, elles remettent en question le caractère prédominant du lieu de résidence et proposent un autre regard sur les relations entre formes urbaines et mobilité (Bouzouina et al., 2013 ; Cervero, 2002 ; Chatman, 2003).