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5. Présentation et analyse des résultats

5.3 Les attributions causales

5.3.2 Vignettes : que pensent-ils des attributions ?

Ce sous-chapitre comprend deux vignettes (cf. annexes D, 3.d et 4.d). Elles permettent aux interviewés d’approfondir leur réflexion dans le domaine des attributions tout comme les affirmations précédentes, mais de manière plus ouverte en réagissant librement à propos d’elles. Les tableaux 18 et 19 synthétisent les remarques issues des vignettes.

La première vignette (cf. annexes D, 3.d) concerne une discussion entre deux enseignants à la salle des maîtres. Ils parlent à propos d’une rencontre avec des parents. Ils confrontent un élève qui a des parents présents avec un élève ayant des parents « non-francophones » et ayant un comportement inacceptable :

Un enseignant rencontre des parents. De retour en salle des maitres, il dit :

- Les parents de Michel semblent très présents, je pense que cela va bien se passer pour lui. Par contre, les parents de Sara, c’est vraiment le contraire…

- Ça arrive...

- Cela dit, c’est difficile à dire, car ils ne parlent pas très bien français, mais j’ai quand-même peur que Sara ait des difficultés cette année. ..En plus son comportement est inacceptable.

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Cette situation implique des attributions de l’échec à des causes extrascolaires, comme les parents. Elle implique également des attributions propres à l’élève. Le comportement étant une attribution causale interne de l’échec scolaire. Le comportement est également une attribution extrascolaire, puisqu’elle ne concerne pas les apprentissages à proprement dit. Le but de cette situation est de relever si les enseignants attribuent l’échec à des causes extrascolaires, et de voir à quel point le comportement de l’élève est considéré comme une cause de l’échec en rendant ainsi responsable l’élève de son échec.

Tableau 18 : Réactions sur des causes extrascolaires Profil Justifications

Etu. ®Non-présence des parents ≠ échec scolaire

®Présence influence la réussite

®Non-francophone ≠ non-présence

®Comportement : impact ou non

Ens. ®Non-présence des parents ≠ échec scolaire

®Présence = aide en plus

®Non-présence des parents = réalité du terrain

®Elève en difficulté : comportement problématique

®Comportement inacceptable = violence

Le tableau 18 montre que les étudiants n’attribuent pas de lien direct entre l’échec et la non-présence des parents. Cela dit, ils accordent un lien entre la réussite et la non-présence des parents.

Un seul étudiant précise que la présence des parents n’est pas en relation avec la réussite. Au contraire, il dit que la présence des parents peut aussi être une pression pour l’enfant et poser problème. La majorité des étudiants pense que le milieu familial a une influence sur la réussite scolaire. En effet, selon eux, la présence des parents aide à la réussite scolaire. Ils précisent que plus le lien entre la famille et l’école est important et que la famille et l’école sont en accord, plus l’enfant a des chances de réussir. Les étudiants précisent également que le fait que les parents soient non-francophones ne signifie pas qu’ils soient moins présents.

Selon eux, la langue des parents ou leur présence n’explique en rien les difficultés de l’élève dont il est question. Toutefois, le fait d’être non-francophone soulève tout de même un problème culturel. Un étudiant dit que le fait de ne pas parler la même langue implique de ne pas partager la même culture. Cet écart entre les valeurs familiales et scolaires semble pouvoir amener des problèmes à l’enfant. Il semblerait que l’adaptation à la culture scolaire soit intimement liée à la réussite scolaire, ce qui révèle à nouveau que certains groupes d’élèves soient stigmatisés. Par exemple, un étudiant rapporte qu’« une personne qui vient de

l’étranger (…) a plus de chance d’être en difficulté qu’un élève qui a fait tout son cursus ici, qui sait quelles sont les attentes de l’école ». (Jérémy)

Concernant le comportement, seulement deux étudiants s’expriment clairement. Ils ont des avis opposés. L’une considère qu’il n’y a pas de lien entre le comportement et les apprentissages tandis que l’autre établit un lien entre les difficultés scolaires et le comportement. Ce dernier pouvant être en lien avec des difficultés de concentration qui freineraient les apprentissages.

Pour ce qui est des représentations des enseignants par rapport à cette situation, il n’est pas possible, selon eux, de juger de la réussite ou de l’échec d’un enfant par rapport à ses parents.

La présence des parents est considérée comme une aide en plus. Les enseignants partagent l’idée selon laquelle si les parents ne sont pas présents, il y a d’autres mesures pour aider l’enfant, comme les études surveillées. Le fait que les parents ne soient pas participatifs n’implique pas que l’enfant ne progresse pas.

Toutefois, une enseignante précise que la présence des parents est plus importante dès lors que l’enfant présente des difficultés considérables. Selon elle, l’enfant en difficulté aurait davantage besoin du soutien de ses parents. Cela pourrait correspondre à ce que relèvent Marcoux et Crahay (à paraître) par rapport aux croyances dans les bienfaits du redoublement qui sont expliquées par des causes essentiellement interne à l’élève ou à des causes extrascolaires : « La croyance des enseignants dans les bienfaits du redoublement est donc bien réelle, même s’ils spécifient des conditions liées essentiellement à la réactivité de l’élève et de son entourage social » (p.8).

Pour ce qui est du comportement des élèves, les enseignants s’expriment également de façon succincte. Une enseignante précise que le comportement n’a de l’importance que si l’élève présente des difficultés scolaires, ce qui implique forcément qu’un enseignant n’a pas les mêmes attentes envers tous ses élèves. Un enseignant attendra d’un élève en difficulté que son comportement soit irréprochable. Ce sont des comportements plutôt acceptables, mais ayant des causes profondes, comme la concentration qui semblent plutôt avoir un impact sur les apprentissages. En effet, l’élève qui présente des troubles de la concentration, ne parviendra pas à se consacrer pleinement à ses apprentissages.

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La deuxième vignette (cf. annexe D, 4.d) concerne une discussion entre deux enseignants. Ils parlent du lien entre l’intelligence et les difficultés scolaires :

Deux enseignants discutent :

-Je pense que la difficulté scolaire se détecte en fonction de l’intelligence plus ou moins développée chez un élève.

-C’est vrai que ceux qui réussissent le mieux à l’école sont souvent les plus intelligents… les plus vifs, les plus éveillés…et même les plus mûrs… 

 

Cette situation concerne des attributions internes et non-contrôlables de l’échec ou la réussite, comme l’intelligence et la maturité. Le but de cette situation est d’observer si les enseignants et étudiants continuent d’attribuer l’échec à des causes internes et non-contrôlables à l’élève. 

Tableau 19 : Réactions à propos du lien entre difficulté et intelligence, et même maturité  Profil Justifications

Etu. ®Intelligence : une question de facilité ?

®Intelligence permet-t-elle de mieux réussir ?

®Adaptation aux normes

®Conception maturationniste versus compréhension des attentes

Ens. ®Intelligence : une question d’adaptation ?

®Adaptation aux normes

®Conception maturationniste versus compréhension des attentes

Par rapport au lien entre la réussite et l’intelligence, les étudiants n’adoptent pas le même discours. Deux étudiants ont un avis tranché sur la question. L’un dit clairement que la difficulté ne s’explique pas en fonction de son intelligence, tandis que l’autre explicite qu’un enfant plus intelligent a davantage de facilité et qu’il est vrai que les élèves qui réussissent le mieux à l’école sont souvent les plus intelligents. Toutefois, il a tendance à considérer que ce n’est pas parce qu’on est moins intelligent que cela impliquera d’avoir des difficultés.

Les autres étudiants semblent moins clairs sur la question. Le discours d’une étudiante paraît même contradictoire, peut-être à nouveau dû à l’effet de désirabilité sociale. Elle considère que l’intelligence n’est pas le seul facteur de réussite. Tout du moins, ses propos montrent qu’il y a tout de même un rapport, car elle précise qu’il est vrai qu’un élève qui présente davantage de facilités, réussira probablement mieux. A nouveau, lorsqu’elle parle d’intelligence, elle préfère parler de facilité, car pour des raisons de normes sociales, établir un lien direct entre intelligence et réussite doit lui poser problème. Selon elle, cette facilité se

traduirait par une faculté d’adaptation : « L’intelligence, ce n’est pas le seul facteur qui influence… Mais c’est sûr qu’après un élève qui a plus de facilités, automatiquement, il réussira peut-être mieux » (Anaïs).

Les deux autres étudiantes ne traitent pas de façon directe la notion d’intelligence. Elles s’interrogent plutôt sur ce que signifie « réussir le mieux ». Réussir le mieux serait davantage lié aux capacités d’adaptation, à la compréhension des attentes de l’enseignant plutôt qu’à l’intelligence. Dans leur cas, elles n’assimilent pas adaptation et facilité. Elles rendent compte du fait qu’il existe des normes scolaires auxquelles il est indispensable de se conformer pour pouvoir réussir. Cela rejoint l’avis d’une enseignante qui considère que l’intelligence est la capacité à faire face à de nouvelles situations. Le risque d’associer intelligence et capacité d’adaptation risque de conforter l’idée que pour satisfaire les normes scolaires il faut être intelligent, c’est-à-dire être capable de s’adapter. Toutefois, cette enseignante précise qu’il existe différentes formes d’intelligences. Cela vient appuyer l’avis des deux autres enseignantes qui considèrent que l’intelligence qui prédomine à l’école est l’intelligence scolaire, comme le fait d’être studieux ou encore celui de la facilité à rentrer dans les apprentissages.

Comme la plupart des étudiants, les enseignants considèrent que ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui se moulent le plus au cadre scolaire. En cela, ils rejoignent ce que contestent Croizet et Neuville (2005), selon quoi « la croyance en la stabilité de l’intelligence constitue un véritable handicap pour la réussite scolaire car elle conduit à penser que les performances révèlent le niveau d’intelligence des élèves » (p.69).

Pour ce qui est des aspects liés à la maturité, les étudiants ne partagent à nouveau pas les mêmes opinions. Une étudiante considère que la maturité est un critère de réussite. Elle partage une conception maturationniste de la réussite scolaire. Selon elle, la maturité est liée au comportement, puisque le fait d’avoir un comportement différent à celui d’autres élèves est un signe d’immaturité. Cela conforte l’idée selon laquelle il est nécessaire de se conformer à des normes pour pouvoir réussir. La maturité semble donc avoir une influence considérable sur la réussite, mais il n’y a pas de corrélation directe avec l’échec scolaire.

Par ailleurs, une autre étudiante remet en question la relation entre maturité et réussite. Selon elle, c’est davantage la compréhension des attentes de l’enseignant qui a son importance dans la réussite scolaire. Un autre étudiant remet également davantage en question l’enseignant, en

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disant que le fait qu’un élève soit éveillé dépend de la dynamique ou de la vivacité de l’enseignant. Gilly (1980), cité par Gosling (1992), précise, par rapport aux attentes des enseignants, que tout se passe comme si « la conformité des attitudes aux exigences de la situation scolaire compte plus encore que la conformité aux aptitudes dans l’impression générale de l’enseignant » (p.30).

Concernant la maturité, les enseignants sont partagés. Certains rentrent dans une conception maturationniste et d’autres la réfutent. Pour deux enseignantes, le fait d’être vif et éveillé est une preuve de maturité. Selon elles, ce sont les plus vifs, les plus éveillés et les plus mûrs qui réussissent plus facilement. Toutefois, comme leurs collègues, elles pensent que s’adapter ou correspondre aux attentes scolaires est ce qui permet de réussir le mieux. A nouveau, une enseignante associe intelligence et adaptation.

5.3.3 Éléments de synthèse

Pour ce qui est des vignettes, de façon générale, par rapport à l’impact de la présence ou de la non-présence des parents, les enseignants considèrent que le soutien des parents est préférable, mais que dans la réalité de la profession, ce n’est pas toujours le cas, et qu’il faut parvenir, dans tous les cas, à aider l’élève. Les étudiants considèrent que le lien entre la réussite et la présence des parents est considérable.

Concernant le comportement, les enseignants s’expriment légèrement plus que les étudiants.

Ils rapportent que les attentes ne sont pas les mêmes envers tous les élèves. Par exemple, un élève en difficulté devra adopter un comportement bien plus irréprochable qu’un élève pour qui tout fonctionne bien.

De manière générale, les enseignants préfèrent parler de facilité plutôt que d’intelligence, probablement pour des raisons de désirabilité évoquées précédemment. La plupart des personnes interviewées considère que ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui s’adaptent le mieux aux attentes. Par ailleurs, selon elles, l’école juge ou évalue certains types d’intelligences, ce qui porterait préjudice à certains élèves. Certains associent même l’intelligence à la faculté d’adaptation. Concernant la maturité, les avis divergent, mais de manière générale, la maturité a une influence considérable sur la réussite selon les personnes interviewées. Les affirmations apportent davantage d’informations à ce sujet.

Dans le cadre général des affirmations liées aux attributions causales concernant le potentiel naturel et la confiance en ses capacités, les étudiants partagent quasiment le même avis (à une exception près). En revanche, les enseignants sont plus partagés quant à ces attributions. On peut fortement supposer qu’il y a ici une effet de désirabilité sociale, au sens qu’ils ne peuvent, pour la plupart, accepter clairement le fait qu’il y ait un potentiel naturel, car ils savent que l’idéologie du don n’est pas de bon ton. Cela expliquerait pourquoi les enseignants et étudiants, dans leur justification, parlent de facilité, sans pouvoir préciser ce qu’elle représente exactement.

En revanche, concernant la conception maturationniste, les enseignants en sont davantage partisans que les étudiants : « On a souvent des élèves qui sont en échec parce qu’ils manquent de maturité, de confiance ». (Justine)

La conception maturationniste soulignée par Burdevet (1994) s’observe donc.

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Concernant les étrangers, les enseignants sont totalement en désaccord, alors que les étudiants sont plus mitigés. Pourtant, les études de Hutmacher (1993) ont montré que le fait d’être étranger n’est pas, en soi, un facteur de l’échec scolaire.

Concernant le milieu socioéconomique de l’élève, ce sont les étudiants qui sont en total désaccord, alors que les enseignants sont partagés, ce qui rejoint les études de Burdevet (1994). Concernant ces deux attributions causales liées aux catégories culturelles et socioéconomiques de l’élève (tableaux 13 et 14), il demeure une ambiguïté. Les notions d’interne et d’externe ne sont pas aisées à distinguer dans le cas de ces deux affirmations, car cela peut dépendre des points de vue des personnes interviewées et des chercheurs. Dans un courant progressiste ou sociologique, un chercheur considérera probablement le fait d’être un étranger comme une attribution externe et non-contrôlable, tandis que dans un courant plus sélectif, il est possible de l’attribuer à une cause interne et non-contrôlable. Dans ce cas, le fait d’être étranger serait une attribution causale de l’échec.

Généralement, la réussite et l’échec s’expliquent fortement par des causes internes à l’élève, et sont plus appuyées par les enseignants, ce qui vient appuyer l’étude menée par Byrnes (1990).