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3. Cadre théorique

3.3 Les attributions causales de l’échec et la réussite scolaire

3.3.4 Conception de l’intelligence et idéologie du don

Dans une étude, Mugny et Carugati (1985) interrogent divers groupes sociaux à propos de leurs conceptions de l’intelligence. Ils montrent que les conceptions de l’intelligence varient en fonction de la culture, mais également en fonction du groupe social d’une même culture.

L’intelligence est une construction collective et culturelle. Elle n’est pas uniquement propre à l’individu, elle relève également d’une dynamique sociale. En effet, les rapports sociaux sont constitutifs du développement cognitif et social de l’intelligence. Concernant l’intelligence, Mugny (1987) relève que « les rapports sociaux dans lesquels l’enfant se trouve inséré sont de faits constitutifs de son ontogenèse simultanément cognitive et sociale » (p.14). De plus,

« l’intelligence est aussi souvent conçue comme la réussite à satisfaire aux exigences scolaires » (p.18). Ce constat est essentiel dans le cadre de cette recherche, puisque l’enseignant intervient auprès de l’enfant en utilisant ses représentations de l’intelligence et du développement. Ces dernières sont donc également employées pour définir leurs représentations de la réussite ou de l’échec scolaire.

Fondamentalement, il n’est pas possible d’avancer une définition unique de l’intelligence, puisqu’elle est en partie socialement construite et que ses représentations varient en fonction des conceptions populaires. Cependant, dans le cadre de cette recherche, je prendrai en compte la citation suivante concernant ce phénomène social : « Quelle que soit sa définition, l’intelligence constitue une valeur sociale majeure de notre culture occidentale, assurant prestige et avantages sociaux à ceux qui sont considérés comme en étant dotés (Mugny, 1987, p.15). Les représentations sociales de l’intelligence ont ainsi un impact sur la notion de culture d’excellence.

Dans leur étude, Mugny & Carugati (1985) mettent encore en évidence que les jugements à propos de l’intelligence peuvent se traduire par l’échec scolaire, « dont on sait les graves conséquences psychologiques sur le concept de soi et sur la représentation du monde général » (Mugny, 1987, p.15). Les représentations sociales de l’intelligence ont ainsi un impact important sur l’apprentissage cognitif et conatif des élèves dont parle Reuchlin (1989, 1990, 1991, 1999). Ainsi, si les représentations sociales de l’intelligence varient et sont

imbriquées dans la stigmatisation de certains groupes sociaux, on peut supposer que cela renforce le fait que l’échec et la réussite scolaires sont des décisions davantage subjectives qu’objectives.

De plus, la comparaison des représentations de l’intelligence des enseignants et futurs enseignants révèle que « l’image de l’enfant changerait avec la professionnalisation effective de l’enseignant. Image à la fois détendue des rapports avec l’enfant, mais plus pessimiste quant à… l’intelligence en fin de compte » (Mugny & Carugati, 1985, p.156). Comme le soulève Golsing (1992), en commentant leurs travaux, il semblerait que les enseignants partagent davantage l’idéologie du don que les futurs enseignants.

Pour ce qui est de l’idéologie du don, elle semble jouer un rôle prédominant dans les conceptions de l’intelligence. Suite aux travaux de Bourdieu (1966), Mugny et Carugati (1985) traitent de l’idéologie du don et dénoncent son influence sur les représentations de l’intelligence et donc sur les représentations de la réussite et de l’échec scolaires. En comparant différents groupes sociaux, ils montrent que les enseignants donnent des réponses davantage inspirées de l’idéologie du don que les futurs enseignants. Ce constat permettrait d’émettre l’hypothèse selon laquelle les enseignants seraient moins à l’abri de leurs jugements défavorables pour la réussite de l’élève. Ainsi, Mugny et Carugati (1985) montrent que « les enseignants, bien qu’en général opposés à la théorie des inégalités naturelles, le sont de manière moins convaincue que les étudiants ou futurs enseignants » (Mugny & Carugati, 1985, p.153).

La conception maturationniste qui avance l’idée d’un manque de maturité comme cause de l’échec scolaire (Crahay, 2007), découle de l’idéologie du don. Cette conception sous-entend qu’un enfant particulièrement mature le serait grâce à son héritage familial, voir même d’un don inexplicable.

Ainsi, l’idéologie du don est imbriquée dans le cadre des conceptions relatives à l’intelligence, et elle a des influences importantes sur l’élève et son développement.

Lorsqu’un enseignant développe l’idéologie du don, il est susceptible de « développer des pressions sur l’enfant assurant l’apprentissage social des règles et des normes de conduite, autant que d’instituer la réussite scolaire comme premier critère de l’intelligence » (Mugny, 1987, p.20). Les conceptions de l’intelligence et la réussite scolaire sont ainsi étroitement reliées.

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Pour sa part, Dweck (1989) distingue deux représentations de l’intelligence chez l’élève.

L’une considère que l’intelligence est un processus stable, l’autre la considère comme étant évolutive. La première conception est intimement liée à l’idéologie du don, comme certaines conceptions des enseignants. Cela suggère que les représentations de l’intelligence influencent celles des enfants : « La représentation de l’intelligence qu’on induit chez les enfants affecte leurs comportements » (Crahay, 2007, p.248). Par ailleurs, « la croyance en la stabilité de l’intelligence constitue un véritable handicap pour la réussite scolaire car elle conduit à penser que les performances révèlent le niveau d’intelligence des élèves » (Croizet & Neuville, 2004, p.69).

La conception évolutive de l’intelligence réside dans le fait qu’il n’existe pas une seule et unique conception de l’intelligence. Cette dernière varie selon les cultures et les différents groupes sociaux issus d’une même culture. Mugny (1987) rejoint la conception évolutive en précisant que « prétendre la réduire à une conception unique, comme on le fait souvent, revient alors à l’abstraire des réalités culturelles » (p.18). Par ailleurs, l’importance de croire en la malléabilité de l’intelligence dont parle Crahay (2007) réside dans le fait qu’elle amène l’élève à ne pas considérer l’erreur comme « un signe d’incompétence intrinsèque à l’individu » (p.249). En ce sens, si l’élève croit en l’évolution de son intelligence, il n’attribuera pas son échec à un manque de cette dernière. Le contexte scolaire semble ainsi plus favorable si l’enseignant a une conception malléable de l’intelligence. 

En outre, l’importance de discuter de l’intelligence relève du fait que les jugements vis-à-vis de l’intelligence peuvent se traduire par l’échec. Le discours des enseignants souligne souvent qu’il existe des différences d’intelligence entre les individus, le plus souvent inexplicables.

Ainsi, la tendance est d’attribuer l’intelligence à des causes internes, comme le don, les différences d’intelligence semblant inexplicables. Des recherches en psychologie sociale appuient ce constat :

« Tel est en fait le cas des différences d’intelligence entre individus, qui structurent largement les discours sur celle-ci. Plusieurs de nos résultats concourent à démontrer que l’expérience vécue de telles différences, surtout en fait pour les parents, mais aussi pour les enseignants […], oriente largement ceux-ci vers une sorte de théorie des inégalités naturelles, souvent doublée d’un certain élitisme discriminateur lui donnant le statut de l’idéologie du don ». (Mugny, 1987, p.19)

Ainsi, l’idéologie du don implique d’attribuer la réussite à des causes « surnaturelles » qui découlent du fait que les différences d’intelligences semblent « inexplicables ».

Pour conclure, les représentations de l’intelligence peuvent être liées à la volonté de gratifier l’identité personnelle. Dans la construction des représentations de l’intelligence, il y a une volonté d’assurer une identité personnelle qui soit « compatible avec les systèmes de normes et de valeurs ayant de nos jours cours dans notre société » (Mugny, 1987, p.20). Le phénomène de désirabilité sociale prend une part de son sens dans cet état de fait. Les enseignants et futurs enseignants pourraient, dans leur discours, se montrer critiques à l’égard de l’idéologie du don dans le but de se faire bien voir, ou pour ne pas se faire mal voir dans le groupe culturel auquel ils appartiennent. La désirabilité sociale sera traitée plus précisément dans la partie méthodologique, car elle permet d’expliquer certains contenus dans le discours des personnes interviewées.