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Sur le versement au dossier de pièces communiquées par le Bundeskartellamt

Réunion 12 : Siège de l’ANMF, Paris, 21 septembre 2004

B. Sur la régularité de la procédure

3. Sur le versement au dossier de pièces communiquées par le Bundeskartellamt

375. Les entreprises Bindewald, Euromill Nord, France Farine, Grands Moulins de Paris, Grands Moulins Storione, Grands Moulins de Strasbourg, Groupe Meunier Celbert, Minoteries Cantin, Saalemühle et VK Mühlen soutiennent que la communication des pièces du Bundeskartellamt le 1er avril 2010, puis leur versement au dossier de l’Autorité, ont entravé leurs droits de la défense et que ces pièces devraient être retirées du dossier.

376. Elles estiment, premièrement, que ces pièces apportent de nouveaux éléments de fait, en particulier en mettant en lumière de nouvelles réunions au titre du grief n° 1. Cet élément serait, selon elles, de nature à modifier la nature et la portée du grief n° 1.

Deuxièmement, après la communication des pièces aux entreprises mises en cause, la rapporteure générale aurait dû faire à nouveau courir intégralement le délai de deux

mois prévu par l’article L. 463-2 du code de commerce afin de leur permettre de formuler des observations globales en réponse à la notification des griefs, et non portant uniquement sur les nouvelles pièces. Enfin, certaines d’entre elles soutiennent que l’Autorité ne saurait utiliser ces pièces comme éléments de preuve, dans la mesure où elles auraient été transmises par le Bundeskartellamt en contravention avec les principes indiqués au point 28 de la communication n° 2004/C 101/03 de la Commission européenne du 27 avril 2004 relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (ci-après la « communication sur le Réseau »).

a) Sur le versement de nouvelles pièces après l’envoi de la notification des griefs

377. L’Autorité a déjà a eu l’occasion de souligner que, si la phase contradictoire de la procédure prévue par l’article L. 463-1 du code de commerce commence avec l’envoi de la communication des griefs, ceci ne préjuge en rien de la possibilité pour les services d’instruction de verser de nouvelles pièces au dossier postérieurement à cet envoi. A cet égard, « la notification des griefs, qui ouvre la phase contradictoire de la procédure, ne met pas fin à l’instruction et n’interdit pas la production de pièces nouvelles dans le respect des prescriptions de l’article 18 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 [actuel article L. 463-1 du code commerce] » (décision n° 94-D-19 du Conseil du 15 mars 1994 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du déménagement à Bordeaux, p. 11).

378. S’agissant de pièces soumises par les services d’instruction aux parties postérieurement à une première notification des griefs, la cour d’appel de Paris a également jugé que leur versement au dossier ne contrevient pas aux droits de la défense si toutes les parties intéressées ont été en mesure de consulter le dossier et de présenter leurs observations à ce sujet. En effet, « dès lors que les éléments de preuve ainsi rassemblés ont été ouverts à la consultation des entreprises en cause qui ont pu librement en discuter la force probante et opposer leurs propres moyens de preuve et arguments et présenter leurs observations, ni l’origine ou la nature des pièces fondant les notifications de griefs, ni la pluralité de ces notifications de griefs ne sont en elles-mêmes constitutives d’aucune atteinte au principe du contradictoire, ni aux droits de la défense, ni au droit des parties à un procès équitable » (arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 juin 2008, Société France Travaux e.a., p. 18).

379. Il en résulte que, dans la mesure où les nouveaux éléments de fait ne modifient pas les griefs notifiés, le versement de nouvelles pièces au dossier ne porte pas atteinte aux droits de la défense, dès lors que les mises en cause ont disposé de la faculté d’accéder au dossier et de formuler des observations sur les pièces en question (décision n° 06-D-04 du Conseil du 13 mars 2006 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la parfumerie de luxe, paragraphe 417).

380. En l’espèce, le grief n° 1 reproche aux mis en cause « d’avoir mis en place un cartel, à tout le moins à compter de 2002, sur le marché de la farine en sachets ayant pour but de limiter les ventes de farines en sachets commercialisées entre l’Allemagne et la France. Ces limitations ont été mises en œuvre en se répartissant les clients, les volumes, et en s’accordant sur les prix. » A ce sujet, le Bundeskartellamt a transmis à l’Autorité, en vertu de l’article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, des pièces saisies en Allemagne. Ce sont des invitations officielles à des réunions et une proposition allemande d’accord, qui concorde avec les déclarations du demandeur de clémence quant à l’objet des pratiques reprochées (cote 12 626, et cotes 5 et 6, saisine

n° 08/0024). Ces nouvelles pièces n’incriminent aucune nouvelle pratique et ne viennent pas modifier les griefs en eux-mêmes.

381. Par ailleurs, ces pièces ont été portées à la connaissance des parties le 18 mai 2010.

Ces dernières ont toutes disposé d’un délai de deux mois, conformément à l’article L. 463-2 du code de commerce, pour présenter des observations à leur sujet. Les entreprises en cause ont également pu formuler de nouvelles remarques sur ces pièces dans leurs observations sur le rapport.

382. En conséquence, il y a lieu d’écarter les arguments soulevés par les parties à ce sujet.

b) Sur l’utilisation des pièces communiquées par le Bundeskartellamt

383. Il faut premièrement indiquer qu’à la différence des communications de la Commission européenne concernant la mise en œuvre des règles matérielles du droit de l’Union, qui peuvent servir de guide d’analyse utile à l’Autorité, une communication portant sur une question de procédure n’est pas contraignante pour les autorités compétentes des États membres, comme l’a relevé la Cour de justice s’agissant de la communication sur le Réseau (arrêt de la Cour de justice du 14 septembre 2011, Pfleiderer/Bundeskartellamt, C-360/09, non encore publié au recueil, point 21). C’est donc uniquement au regard des exigences posées par l’article 12 du règlement n° 1/2003 que doit s’apprécier la possibilité pour l’Autorité d’utiliser comme éléments de preuve les pièces communiquées par le Bundeskartellamt.

384. L’article 12 du règlement n° 1/2003 prévoit :

« 1. Aux fins de l’application des articles [101 et 102 du TFUE], la Commission et les autorités de concurrence des États membres ont le pouvoir de se communiquer et d’utiliser comme moyen de preuve tout élément de fait ou de droit, y compris des informations confidentielles.

2. Les informations échangées ne peuvent être utilisées comme moyen de preuve qu’aux fins de l’application de l’article 81 ou 82 du traité et pour l’objet pour lequel elles ont été recueillies par l’autorité qui transmet l’information. Toutefois, lorsque le droit national de la concurrence est appliqué dans la même affaire et parallèlement au droit communautaire de la concurrence, et qu’il aboutit au même résultat, les informations échangées en vertu du présent article peuvent également être utilisées aux fins de l’application du droit national de la concurrence. (…) »

385. Aux termes de cette disposition, l’Autorité est en mesure d’utiliser tout élément de droit ou de fait, y compris des informations confidentielles, communiqué par une autorité de concurrence d’un autre État membre, au sens de l’article 35 du règlement n° 1/2003, en l’espèce le Bundeskartellamt (autorité allemande de concurrence), comme élément de preuve, en particulier pour fonder un constat d’infraction, si deux conditions cumulatives sont remplies. D’une part, l’Autorité doit appliquer dans l’affaire en cause les règles de concurrence de l’Union (article 101 ou 102 du TFUE).

D’autre part, les éléments de droit ou de fait doivent être utilisés par l’Autorité pour le même objet que celui pour lequel ils ont été collectés par l’autorité qui les transmet.

Ces deux conditions doivent donc être vérifiées par l’Autorité afin de déterminer si, au moment de rendre sa décision, de telles pièces peuvent être utilisées pour fonder un constat d’infraction.

386. En l’espèce, les pièces communiquées par le Bundeskartellamt sont des éléments de fait que l’Autorité envisage d’utiliser comme élément de preuve en rapport avec les pratiques reprochées au titre du grief n° 1, qui affectent le commerce entre États membres (paragraphe 343 ci-dessus). La première condition est donc satisfaite, dès lors que l’article 101 du TFUE est applicable.

387. La seconde condition est également remplie dès lors que les pièces communiquées, que l’Autorité envisage d’utiliser pour se prononcer sur l’existence d’un cartel entre meuniers de limitation des exportations entre la France et l’Allemagne, ont été collectées par le Bundeskartellamt pour ce même objet.

388. Les pièces en question ont été saisies lors d’opérations de visite et de saisie effectuées par le Bundeskartellamt en Allemagne. L’objet de ces opérations de visite et de saisie, qui ont été autorisées par le juge allemand puis effectuées sous son contrôle le 21 février 2008, ressort des termes mêmes de la demande d’autorisation de ces opérations. Elles avaient, en partie, pour fondement des soupçons concernant l’entente poursuivie par l’Autorité au titre du grief n° 1 dans la présente affaire. Du reste, la demande d’autorisation vise expressément l’entente franco-allemande de limitation des importations :

« 2.2.2. Petits paquets (…) Il existe en outre un soupçon que Frießinger Mühle GmbH, ou plus précisément les moulins associés dans le cadre de la « coopération Frießinger », s’est engagé envers Grands Moulins de Strasbourg S.A., située en France, de ne pas fournir de petits paquets en France. En contrepartie, Grands Moulins de Strasbourg, très puissante sur le marché français des petits paquets, ne livre pas de petits paquets en Allemagne » (page 12) (cotes 20 294 à 20 314).

389. De plus, en vertu de l’article 22 du règlement n° 1/2003, le Bundeskartellamt a formulé une demande d’assistance afin que l’Autorité effectue pour son compte d’autres opérations de visite et saisie dans le cadre de la même affaire. Cette demande d’assistance a été reçue par l’Autorité le 5 juin 2008 (cotes 5 558 à 5 564). La motivation de cette dernière indique sans ambiguïté l’objet pour lequel les pièces litigieuses ont été recueillies en premier lieu. En effet, le président du Bundeskartellamt motive sa demande en se fondant sur le fait que les pièces litigieuses, qui seront par la suite communiquées à l’Autorité, montrent qu’il existe une probabilité importante que « la société Grands Moulins de Strasbourg (ci-après GMS) [ait] participé aux ententes sur les prix, sur la réduction des capacités et la répartition des clients entre producteurs de farine de blé et de seigle en France et en Allemagne ». Cet élément corrobore le fait que les pièces litigieuses ont effectivement été collectées afin de poursuivre un cartel franco-allemand de limitation des importations, auquel aurait participé Grands Moulins de Strasbourg.

390. Il résulte de ce qui précède que les arguments selon lesquels l’article 12 du règlement n° 1/2003 ne permettait pas à l’Autorité d’utiliser les pièces communiquées par le Bundeskartellamt comme moyens de preuve dans la présente procédure doivent être écartés.