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3. Contributions théoriques

3.2 Vers une hypothèse développementale des hallucinations

La psychopathologie cognitive est un domaine relativement récent dans l’étude des psychopathologies dont l’objet vise notamment à comprendre les troubles psychopathologiques via la mise en relation des dysfonctionnements cognitifs et de la symptomatologie (Van der Linden & Ceschi, 2008). Dans l’étude des troubles psychotiques, cette approche s’est entre autres manifestée par le nombre grandissant d’études s’intéressant à la compréhension des particularités cognitives sous-tendant le symptôme hallucinatoire (e.g. Aleman & Larøi, 2008b; Brookwell, et al., 2013; Ditman & Kuperberg, 2005; Laroi, et al., 2008).

Dans la présente thèse, le symptôme hallucinatoire a été étudié dans une forme sous- clinique via la notion de propension à halluciner. Une association a été documentée entre la présence d’une propension à halluciner accrue chez les HRG et une altération des processus métacognitifs permettant de juger de la qualité d’un souvenir en termes de niveau de confiance. La possibilité d’un lien causal entre cette distorsion en mémoire de source et le symptôme hallucinatoire a déjà été discutée précédemment (voir section 1.2.1 Mémoire de source et symptomatologie de la présente discussion). D’un point de vue théorique, la présence d’une telle association entre les distorsions mnésiques et la propension à halluciner chez une population HRG permet par ailleurs de soulever des hypothèses quant à la survenue des expériences hallucinatoires.

Ainsi, il apparaît plausible que la présence des gènes de vulnérabilité associés à la psychose soit à l’origine de la fréquence accrue des manifestations sous cliniques du phénomène hallucinatoire observée chez les HRG. Plus précisément, il est proposé que le fait d’être porteur de gènes qui rendent vulnérable au développement d’un trouble psychotique induise des anomalies au plan du développement neuroanatomique, qui influencent à leur tour le développement cognitif et causent des perturbations notamment sous la forme de dysfonctions de la mémoire épisodique et de la mémoire de source. Les distorsions

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observées en mémoire sur le plan de l’unification du souvenir et de la métacognition pourraient être associées à la persistance de la propension à halluciner présente chez les HRG à l’adolescence et au début de l’âge adulte, alors qu’une diminution du phénomène est normalement observée dans la population générale (Jardri, et al., 2014). La transition de l’expérience hallucinatoire sous-clinique vers le développement d’hallucinations psychotiques pourrait quant à elle être associée à une détérioration des processus d’attribution de la source, notamment via l’apparition d’un biais d’attribution externe. Il est ainsi suggéré que cette détérioration contribuerait à cristalliser l’expression du symptôme. Cette transition d’une expérience sous-clinique vers un symptôme d’intensité psychiatrique pourrait dépendre entre autres de la cooccurrence de facteurs de risques environnementaux ou sociaux (ex. trauma, transition, consommation de substance) qui peuvent moduler la perception d’un individu face au symptôme, sa valence émotionnelle, sa fréquence ou la détresse qu’il instille.

Une telle hypothèse de l’expérience hallucinatoire, bien qu’embryonnaire et nécessitant d’être soutenue empiriquement avant d’être validée, permet de rassembler différentes propositions théoriques qui ont été formulées antérieurement et qui liaient les particularités mnésiques aux hallucinations psychotiques. Ainsi, que ce soit en postulant que les hallucinations proviennent d’une confusion entre le réel et l’imaginaire (Bentall, 1990), qu’elles sont le fruit d’une externalisation de pensées intrusives (Morrison, 2001) ou encore qu’elles découlent d’erreurs des processus d’attribution de l’origine du souvenir (Brébion, et al., 2013), la plupart des auteurs convergent vers l’idée que des distorsions quant à l’origine des pensées et des souvenirs sont à l’origine des hallucinations (notons que d’autres études seront néanmoins requises pour confirmer ce lien; voir Ditman et Kuperberg (2005) pour une revue critique de cette hypothèse). Dans un modèle intégratif de la littérature sur le sujet, Aleman et Laroi (2008d) ont d’ailleurs postulé que parmi les voies d’émergence des hallucinations, une voie cognitive intégrant les processus de gestion de la source était particulièrement adaptée aux hallucinations psychiatriques ainsi qu’à celles retrouvées chez des populations non cliniques, comme c’est le cas au sein de notre échantillon de HRG. La proposition amenée ici quant à la spécificité des distorsions en tant que contributeur mnésique permet de préciser la voie cognitive proposée dans le modèle

127 d’Aleman et Laroi (2008d). Par ailleurs, la suggestion que des processus environnementaux soient impliqués dans l’évolution vers une intensité clinique des hallucinations reprend la suggestion de Van Os et ses collaborateurs (2009) et de Jardri et collaborateurs (2014), qui ont postulé que la présence d’éléments aversifs dans l’environnement jouait un rôle dans la transition entre le phénomène hallucinatoire sous-clinique et clinique. L’hypothèse proposée dans la thèse reprend cette suggestion, tout en offrant une précision supplémentaire en positionnant l’apport de la distorsion mnésique en tant qu’indice cognitif évoluant conjointement au symptôme.

La nature du lien entre les distorsions en mémoire et l’expérience hallucinatoire demeure toutefois à être précisée. En effet, pour que ce lien puisse être considéré comme causal et spécifique, il faudrait pouvoir démontrer que les hallucinations ne peuvent être présentes sans distorsions mnésiques chez les patients psychotiques. L’hypothèse présentée dans la thèse est en ce sens audacieuse en regard des connaissances actuelles, mais ne se veut pas formulée comme un modèle théorique cristallisé des hallucinations tant que comme une hypothèse appelée à évoluer au fil des nouvelles découvertes afin de guider la recherche et d’offrir un cadre interprétatif aux résultats observés.

Il importe par ailleurs de considérer la possibilité que les distorsions en mémoire de source ne soient pas une composante étiologique de l’expérience hallucinations, mais plutôt, comme présenté précédemment, une mesure différente du même phénomène. Dans un tel cas, l’hypothèse développementale suggérée à l’instant pourrait également s’appliquer, mais on postulerait alors que les gènes associés à une vulnérabilité à la psychose se manifestent simultanément par des anomalies qui, selon la façon dont on les mesure, prennent la forme de distorsions en mémoire ou d’expériences hallucinatoires sous- cliniques. La modification de ces deux éléments conjointement au développement de la psychose, à savoir via le développement d’un biais d’attribution externe et le passage vers le vécu d’hallucinations cliniques, soutiendrait d’ailleurs l’idée que ces deux manifestations découlent d’une étiologie similaire puisqu’elles évoluent de pair dans le développement de la psychose.

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