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La réalisation de cette thèse a également permis de contribuer à l’acquisition de nouvelles connaissances méthodologiques qui gagneront à être considérées dans la poursuite de futurs travaux dans le domaine.

2.1 Utilité des tâches expérimentales

D’abord, les résultats issus de la présente thèse réitèrent la pertinence d’utiliser des tâches expérimentales élaborées à partir de modèles théoriques afin de mieux comprendre les processus cognitifs spécifiques impliqués dans la pathologie. En ce qui concerne le fonctionnement de la mémoire, il était déjà bien documenté que les HRG présentent des anomalies globales en mémoire épisodique, tel que fréquemment mesuré via des tâches classiques. Toutefois, de nombreux processus sont à l’œuvre afin de permettre un fonctionnement mnésique optimal et la présence d’atteintes sur des tâches classiques ne permet pas d’identifier précisément les processus responsables du déficit mnésique global. La tâche de mémoire de source que nous avons développée a permis de répliquer la présence d’une atteinte en reconnaissance de l’information mémorisée, mais a également permis de mieux comprendre l’origine de cette altération en départageant les processus préservés et déficitaires présents chez les HRG. En précisant les processus atteints, il

113 devient alors possible de mieux caractériser les atteintes présentes avant l’apparition de la pathologie et de cibler plus précisément les marqueurs d’intérêt dans l’évaluation du risque et des trajectoires développementales de la psychose. Par ailleurs, si on considère l’hypothèse selon laquelle les atteintes cognitives découlent des anomalies génétiques associées à la pathologie, et donc sont la manifestation d’un génotype de risque tel que postulé par la théorie des endophénotypes en psychiatrie (Gottesman & Gould, 2003), il est possible que l’étude de processus ciblés permette d’orienter plus précisément la recherche génétique. En effet, l’identification des processus spécifiques qui sont déficitaires dans la pathologie permet de réaliser des études d’association avec des construits plus épurés et donc possiblement associés à un nombre réduit de déterminants génétiques, ce qui permet d’aiguiller plus aisément la recherche génétique.

L’évaluation de la mémoire de source chez un échantillon HRG a également permis de démontrer qu’il s’agit d’un construit sensible chez cette population, pouvant être utilisé au moins dès l’âge de 9 ans. De ce fait, il s’agit d’un construit permettant de cibler tôt dans le développement les marqueurs cognitifs associés à la psychose. La mémoire de source apparaît conséquemment être un élément pertinent à évaluer dans les études de dépistage de risque ou dans les suivis longitudinaux s’intéressant aux trajectoires développementales associées à la vulnérabilité à développer un trouble psychotique.

2.2 Impact du sexe sur le fonctionnement de la mémoire de source

Une autre considération méthodologique et empirique importante mise en évidence via la thèse est la présence d’un effet de sexe significatif en mémoire de source. En effet, tant chez les contrôles que chez les HRG, il a été observé que les femmes présentaient une performance supérieure à celle des hommes sur plusieurs variables de la tâche employée, notamment en reconnaissance des items, en attribution de la source et du contexte temporel de même qu’en unification des souvenirs. Ce résultat est en continuité avec les études démontrant un effet de sexe en mémoire épisodique (e.g. Boman, 2004; Grysman & Hudson, 2013; Q. Wang, 2013) et apporte un appui supplémentaire aux quelques études ayant abordé l’effet de sexe en mémoire de source. Ainsi, dans une étude sur la mémoire, une performance supérieure a été observée chez des fillettes âgées de 4 à 9 ans par rapport à

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des garçons du même âge lorsqu’elles étaient questionnées sur l’origine (i.e. moment et contexte d’apprentissage) d’une information apprise (Bemis, Leichtman, & Pillemer, 2011). Chez des adultes, il a également été observé que les femmes étaient en mesure de rappeler davantage de détails et d’informations contextuelles lors de la narration d’un souvenir (Q. Wang, Hou, Tang, & Wiprovnick, 2011), ce qui pourrait être la manifestation d’une mémoire de source plus efficace permettant une meilleure unification des souvenirs encodés. Par contre, toutes les études sur l’effet de sexe en mémoire de source n’ont pu répliquer ce résultat (e.g. B. Wang, 2012) et davantage d’études seront requises pour éclaircir ce point. La majorité des études semblent toutefois indiquer des performances supérieures chez les femmes, et cet effet semble apparent tôt dans le développement. Conséquemment, il apparaît adéquat d’affirmer que l’effet de sexe requerra dorénavant d’être considéré dans la mise en place de futurs devis expérimentaux étudiant la mémoire de source. D’abord, il apparait crucial de mettre en place des groupes contrôles et expérimentaux appariés au plan individuel en fonction du sexe. De plus, cet effet devra être considéré dans le développement de nouvelles tâches de mémoire de source à portée clinique, afin d’assurer la mise en place de deux ensembles normatifs selon le sexe. Finalement, il importera de considérer l’effet de sexe dans les analyses réalisées lors d’études futures afin d’éviter de conclure à tort à des associations qui pourraient être modulées par un effet de sexe, particulièrement dans les études portant sur des pathologies connues pour affecter les hommes et les femmes de façon inégale, comme c’est le cas de la psychose.

2.3 Comparaison des troubles schizophréniques et bipolaires

L’apparentée entre le trouble bipolaire et les troubles du spectre de la schizophrénie est de plus en plus documentée, tant au plan génétique, neurobiologique que cognitif (voir Hill, et al., 2008; Ivleva, et al., 2010; Ketter, et al., 2004; Maier, et al., 2006 pour des discussions sur les similitudes entre ces entités diagnostiques). Cette apparentée a d’ailleurs conduit dans la présente thèse au choix méthodologique de considérer le risque génétique à développer un trouble psychotique comme découlant d’un historique familial transdiagnostique incluant à la fois le spectre de la schizophrénie et le trouble bipolaire. Ainsi, les individus HRG ayant participé à la thèse provenaient tous de familles lourdement

115 atteintes par la psychose et avaient un parent atteint soit de schizophrénie, soit de trouble bipolaire avec ou sans caractéristique psychotique. Cette approche méthodologie constitue une stratégie de recherche intéressante et surtout efficace puisqu’elle permet l’accès à des échantillons plus nombreux, et apparaissait justifiée pour l’étude d’une population à risque, notamment du fait que des travaux antérieurs de notre équipe ont démontré à l’aide de tâches cognitives classiques que les HRG ayant un parent schizophrène ou bipolaire présentent des performances similaires malgré une tendance chez les HRG ayant un parent bipolaire à présenter une intensité d’atteinte plus modérée (Maziade, et al., 2009). Les données issues des travaux de notre équipe de recherche et de la littérature scientifique sur le sujet supportaient en ce sens la pertinence d’étudier conjointement ces diagnostics via un devis méthodologique inclusif.

La similitude au plan cognitif entre les patients atteints de trouble bipolaire et de schizophrénie n’a par contre jamais été investiguée concernant les performances en mémoire de source. Afin d’observer si le diagnostic du parent atteint avait une incidence sur le patron de performances documenté chez les HRG, une comparaison des données sociodémographiques et des performances en mémoire de source en fonction du diagnostic du parent a été réalisée via des analyses supplémentaires (voir Annexe D). Comme indiqué au tableau D1, le diagnostic du parent n’a pas influencé de manière significative les données sociodémographiques telles que le sexe, l’âge, la scolarité, le statut socio- économique ou le QI. Notons toutefois que pour cette dernière variable, une différence marginalement significative est présente, et semble due au fait que les HRG dont le parent présente un diagnostic de trouble bipolaire sans caractéristiques psychotiques présentent un niveau de fonctionnement intellectuel marginalement plus élevé. De manière intéressante, cette disparité ne semble pas due à la différence de diagnostic en soi, ce qui serait le cas si seuls les HRG dont le parent est atteint de schizophrénie se différenciaient des autres. Plutôt, la différence semble découler de la présence de caractéristiques psychotiques, indépendamment du diagnostic associé, puisque le fonctionnement intellectuel semble similaire entre les enfants de parents schizophrènes et de parents bipolaires avec caractéristiques psychotiques. Ainsi, malgré la similarité génétique entre ces troubles, il est possible que des atteintes plus importantes au plan du fonctionnement intellectuel soient

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davantage représentatives du legs génétique d’un parent lui-même psychotique, et ce, indépendamment du spectre plus large dans lequel s’inscrit la psychose. Ceci supporterait d’ailleurs la vision de la psychose en tant que phénomène transdiagnostique pouvant être conceptualisé sur un continuum allant des troubles de l’humeur à la schizophrénie.

En mémoire de source, les résultats supportent par contre de façon moins franche la notion d’une similitude du profil cognitif indépendamment du diagnostic du parent atteint. La comparaison des performances en mémoire de source des HRG en fonction du diagnostic du parent atteint conduit à l’obtention de différences marginalement significatives qui se doivent d’être abordées (voir Tableau D2). Ainsi, une différence malgré tout étonnante est présente au plan des processus d’attribution de la source, où les HRG ayant un parent atteint de schizophrénie présentent une performance marginalement plus faible que les HRG ayant un parent bipolaire (avec ou sans caractéristique psychotique). Bien que cette tendance doive être interprétée avec prudence vu la petite taille d’échantillon (seulement 5 HRG ayant un parent atteint de schizophrénie) et la variabilité interindividuelle importante présente sur ce construit, certaines hypothèses demandent à être considérées. D’abord, ce résultat pourrait indiquer que les enfants ayant hérité des gènes d’un parent schizophrène ont davantage tendance à démontrer des défaillances en attribution de la source comparativement aux enfants de parents atteints de trouble bipolaire, montrant ainsi une spécificité diagnostique à cette atteinte. Une intensité plus importante de l’atteinte en attribution de la source en lien avec la schizophrénie ne semble par contre pas soutenue par les études réalisées chez les patients. Ainsi, le fonctionnement en mémoire de source évalué à l’aide de la même tâche chez des adolescents psychotiques n’avait pas permis d’observer de différence au plan de l’attribution de la source entre les jeunes ayant reçu un diagnostic de schizophrénie ou de trouble schizophréniforme (5 participants), de trouble schizoaffectif (6 participants) ou de trouble bipolaire (5 participants) (Doré, et al., 2007). On pourrait par ailleurs soulever l’hypothèse que cette différence découle plutôt du fait que les individus ayant un parent atteint de schizophrénie sont les mêmes que ceux présentant un risque clinique (HRG-C) dont il était question en Annexe B. Or, de ces six participants ayant été identifiés à risque clinique de psychose, aucun ne fait parti du sous-groupe ayant un parent atteint de schizophrénie. Conséquemment, en regard des résultats actuels, il apparait

117 difficile de statuer sur l’origine de cette tendance envers une performance plus faible en attribution de la source chez les HRG ayant un parent atteint de schizophrénie. Des études présentant un meilleur équilibre entre le nombre d’individus en fonction du diagnostic du parent atteint seront requises afin de mieux comprendre ce résultat et d’exclure la possibilité qu’il s’agisse d’un artefact statistique dû à la petitesse de ce sous-groupe, particulièrement considérant que l’inspection des données individuelles semble indiquer que ce résultat atypique pourrait en partie découler de la performance anormalement faible d’un seul individu de ce groupe, qui est également le HRG ayant montré le plus faible score sur cette variable au sein de l’échantillon entier (voir Figure D1).