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La réalisation de cette thèse permet finalement de mettre de l’avant des retombées sur le plan clinique qui pourraient être intégrées aisément à la pratique professionnelle auprès de populations psychiatriques ou à risque de psychose.

4.1 Outils et considérations pour le neuropsychologue clinicien

D’abord, la tâche de mémoire de source utilisée de manière expérimentale dans ces travaux et des travaux antérieurs de l’équipe de recherche apparait certainement être une tâche d’intérêt pour le neuropsychologue clinicien travaillant auprès d’une clientèle pédiatrique. L’accumulation de nouvelles données chez des participants contrôles de 9 à 25 ans élargit les données déjà disponibles sur le fonctionnement normal à cette tâche et permettra sous peu de rendre disponible un manuel d’utilisation et des normes préliminaires, bien que davantage de participants contrôles soient encore souhaitable. De plus, l’informatisation à la fois de la passation et de la cotation de cette tâche en fait maintenant un outil peu coûteux en termes de temps d’administration et de cotation pour le clinicien.

Sachant que des anomalies au plan de la mémoire de source sont détectables tôt dans le développement chez une population vulnérable à la psychose, l’utilisation de la tâche apparaît être une façon accessible de documenter la présence d’un tel risque pour les professionnels travaillant auprès des populations pédiatriques, particulièrement considérant les hypothèses formulées quant au lien entre une défaillance des processus d’attribution de la source (que celle-ci soit présente de façon stable tôt dans le développement ou qu’elle apparaisse graduellement) et le développement de la psychose. La mise en place de cette pratique clinique pourrait permettre de cibler plus tôt les individus vulnérables ou ceux chez qui un trouble psychotique est en train de s’installer, favorisant ainsi une prise en charge précoce. Ceci souligne l’importance que les neuropsychologues soient sensibilisés aux indicateurs précoces d’un risque à développer un trouble psychotique. En ce sens, la présente thèse permet maintenant de disposer de nouveaux indices de risque, tant sur le plan cognitif avec la mémoire de source que sur le plan clinique avec la propension à halluciner et l’expérience hallucinatoire sous-clinique.

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4.2 Pistes en remédiation cognitive

Les résultats de la thèse permettent également de soulever des pistes intéressantes dans le développement d’interventions en remédiation cognitive. En effet, la remédiation cognitive a été démontrée efficace chez des patients schizophrènes et psychotiques, tant dans l’amélioration du fonctionnement cognitif que dans l’amélioration du fonctionnement et de l’intégration sociale (Wykes, Huddy, Cellard, McGurk, & Czobor, 2011). Or, sachant que les atteintes en mémoire de source sont présentes bien avant l’apparition de la pathologie, et qu’elles pourraient être associées à certains symptômes ou même à l’émergence du trouble, il serait intéressant de tenter la mise en place d’un programme de remédiation cognitive spécialement centré sur les processus de mémoire de source, afin d’évaluer l’impact d’une amélioration de ce processus cognitif sur l’évolution de la psychose. Une telle intervention, si efficace, pourrait être mise en place de manière préventive chez les individus à risque clinique ou génétique afin d’observer si l’amélioration de la mémoire de source s’accompagne d’une diminution des taux de conversion vers la psychose, d’une émergence plus tardive de celle-ci ou même d’une symptomatologie atténuée.

Les informations obtenues quant au profil en mémoire de source des HRG permettent d’ailleurs de suggérer la priorisation de certains processus dans la mise en place d’un tel programme de remédiation de la mémoire de source. Ainsi, la présente thèse a permis de postuler que les atteintes en mémoire centrale observées chez les HRG, notamment au plan de la mémoire de l’item et de la mémorisation de son origine, reposent sur des distorsions au plan de l’unification du souvenir et de la métacognition. Il a de plus été suggéré que les troubles métacognitifs pouvaient découler de la fragmentation des souvenirs. En ce sens, les processus d’unification du souvenir apparaissent être au cœur de la dynamique cognitive observée et seraient une cible d’intervention pertinente à prioriser, de concert avec un entraînement de la métacognition, sachant que le développement de ce second processus est en partie expérientiel et se développe avec l’usage. La conceptualisation théorique de mémoire de source de Johnson et ses collaborateurs (1993) fournit d’ailleurs des pistes intéressantes à cibler, comme le renforcement des associations lors de l’encodage, ou encore l’entraînement des processus utilisés pour récupérer un souvenir, par exemple via la mise en place volontaire d’un jugement systématique plutôt qu’automatisé.

137 Ces pistes pourront servir à la réflexion entourant le développement éventuel d’un programme de remédiation de la mémoire de source. Si efficace, on pourrait s’attendre à ce qu’une amélioration des processus de mémoire de source s’accompagne d’une diminution de la symptomatologie, que ce soit dans une forme franche ou atténuée, puisque des liens ont été documentés tout au long du continuum de la psychose entre ces deux phénomènes. Cette hypothèse semble d’ailleurs appuyée de façon préliminaire par une étude de cas ayant démontré une diminution des symptômes psychotiques chez un patient à la suite d’un programme de remédiation de la mémoire de source (Favrod, Vianin, Pomini, & Mast, 2006).

Notons finalement qu’une meilleure compréhension du développement normal de la mémoire de source permettra de mieux cibler d’une part la nature des interventions à proposer en remédiation cognitive, mais également la fenêtre d’intervention à prioriser en fonction du processus atteint et ciblé. En effet, la présente thèse a permis de démontrer que la métacognition se développait jusqu’au début de l’âge adulte, alors que d’autres processus semblent atteindre leur maturité plus tôt, par exemple vers la fin de l’adolescence pour l’unification du souvenir (Doré, et al., 2007) ou peut-être même avant l’âge de 9 ans pour d’autres processus. Une connaissance plus approfondie du développement normal permettra de mieux cibler le type d’intervention à mettre en place, par exemple afin de soutenir le développement d’un processus encore en maturation, ou à l’inverse de mettre en place des mesures compensatoires pour un processus dont le développement est arrivé à maturité.

4.3 Considérations pour les équipes en psychiatrie

Les résultats de la thèse soulignent par ailleurs l’importance d’une évaluation exhaustive de la mémoire chez les individus à risque de psychose ou encore chez ceux qui consultent en psychiatrie, puisqu’une atteinte des processus mnésiques accompagne comme démontré la vulnérabilité à développer un trouble psychotique. Or, une atteinte mnésique peut influencer plusieurs aspects de la prise en charge clinique, que ce soit au niveau de la démarche diagnostique ou de l’intervention.

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Sur le plan de la démarche diagnostique, il importe d’abord de considérer qu’une atteinte de la mémoire de source peut altérer la justesse de l’information rapportée par le patient, par exemple en rendant difficile la contextualisation des premiers symptômes, ce qui peut s’avérer essentiel dans la démarche différentielle (p.ex. pour distinguer une psychose toxique d’un trouble schizophréniforme, ou encore pour distinguer un épisode dépressif majeur d’un trouble de l’adaptation avec humeur dépressive). En ce sens, la connaissance d’une atteinte de la mémoire de source chez un patient pourrait orienter la démarche diagnostique, par exemple en favorisant la recherche de sources d’informations alternatives (ex. famille, proches) pour valider les informations importantes. La présence de neuropsychologues dans les équipes diagnostiques en psychiatrie apparaît de ce fait nécessaire afin de caractériser adéquatement le profil du patient et d’orienter la collecte d’information des intervenants en prenant en considération le profil observé. L’accumulation de données sur le fonctionnement de la mémoire de source au sein de différentes pathologies (i.e. population psychotique, population à risque de psychose, population atteinte de troubles du spectre de l’autisme) pourrait par ailleurs contribuer à la démarche de diagnostic différentiel, puisque des profils distincts semblent caractériser différentes conditions médicales.

La présence d’atteintes en mémoire de source est également à même d’influencer le suivi offert en psychothérapie ou lors d’interventions familiales, puisque l’intégration des concepts proposés en thérapie ou encore leur récupération par le patient au temps opportun afin de lui permettre la mise en place de stratégies adaptatives est à risque d’être altérée par une mémoire de source dysfonctionnelle. Prenons à titre d’exemple des interventions de types cognitivo-comportementales, qui incluent fréquemment des interventions visant à semer un doute face à une pensée ou une interprétation, pour ensuite pouvoir la restructurer ou la recadrer. Les troubles métacognitifs identifiés dans la thèse, qui se manifestent par une absence de doute face à un souvenir erroné, pourraient certainement nuire à cette démarche thérapeutique, en rendant plus ardue la mise en place du doute nécessaire à la restructuration cognitive. De plus, les difficultés à unifier les souvenirs pourraient faire en sorte que lorsque de nouvelles stratégies sont apprises, il est plus difficile pour le patient de les récupérer et de les utiliser à bon escient, car son souvenir est fragmenté et il n’est peut-

139 être pas en mesure de se souvenir que telle stratégie est plus adaptative, car elle est associée au contexte thérapeutique, qu’elle a été discutée, entraînée, etc. En somme, la présence d’atteintes en mémoire de source nécessite d’être prise en compte dans le suivi effectué afin de permettre une prise en charge optimale. Considérant cela, il est possible que dans le cas où un patient aurait accès à la fois à une thérapie de type TCC et à une remédiation cognitive de la mémoire de source, il soit préférable de débuter par la remédiation, pour ensuite offrir une TCC qui ne serait pas entravée par l’atteinte mnésique, favorisant alors l’obtention de gains significatifs chez le patient.

Finalement, les résultats de la thèse permettent de contribuer aux connaissances sur les trajectoires de risque vers la psychose, en soulignant la présence de nouveaux indices cliniques et cognitifs précédant de plusieurs années l’éclosion de la psychose. Ces indices, à savoir les altérations de certains processus en mémoire de source et le vécu d’expériences hallucinatoires sous-cliniques, s’ajoutent aux indices à considérer pour le clinicien œuvrant auprès de populations pouvant être à risque de psychose. Da façon intéressante, les indicateurs mis de l’avant dans la présente thèse apparaissent détectables tôt dans le développement, soit dès l’âge de 9 ans, et pourraient contribuer à l’identification précoce des individus à risque de psychose auprès de qui orienter les services. Il demeure toutefois que l’identification d’individus vulnérables à la psychose doit considérer une additivité de facteurs de risques. De ce fait, un profil clinique combinant plusieurs indices parmi une histoire familiale de trouble psychotique ou de trouble bipolaire, des atteintes développementales ou langagières, le vécu d’évènements traumatiques, le vécu d’expériences hallucinatoires sous-cliniques (surtout si celles-ci persistent à l’adolescence), et la présence d’altérations de la mémoire de source devrait être considéré par les cliniciens comme un profil développemental de risque suffisamment marqué pour justifier une intervention. Devant un tel profil, il apparaitrait alors essentiel d’instaurer une intervention préventive visant à 1) réduire les facteurs de risque de conversion environnementaux connus, par exemple via de la sensibilisation afin d’éviter la consommation de substances ou de la psychoéducation sur l’importance du soutien lors de périodes de transition, 2) limiter les facteurs de risque développementaux identifiés, par exemple via une remédiation cognitive et 3) soutenir le développement de facteurs de protection, notamment par le biais

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d’interventions psychosociales soutenant le développement d’habiletés sociales ou d’habiletés de résolution de problème et de gestion du stress. L’évaluation systématique des enfants ayant un parent atteint au sein d’une structure clinique sensible à ces marqueurs de risque pourrait d’ailleurs constituer une initiative des plus pertinentes afin de permettre l’identification d’individus à risque et la mise en place de telles interventions, ce qui pourrait possiblement contribuer à retarder, voir même à réorienter une trajectoire de risque identifiée.