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1. Contributions empiriques

1.1 Caractérisation de la mémoire de source

1.1.2 Comparaison entre HRG et patients psychotiques

Les patients atteints de psychose présentent des altérations de la mémoire de source (e.g. Achim & Weiss, 2008; Brébion, et al., 2013; Brookwell, et al., 2013; Doré, et al., 2007; Waters, Allen, et al., 2012; Waters, Woodward, et al., 2012), de même que des distorsions mnésiques sous-tendant ces plus faibles performances, dont la présence d’un biais d’attribution externe, des représentations fragmentées en mémoire et des altérations de la métacognition qui se manifestent par une confiance accrue envers les faux souvenirs récupérés (e.g. Brunelin, et al., 2006; Caza, Doré, Gingras, & Rouleau, 2010; Doré, et al., 2007; Moritz & Woodward, 2002; Moritz, et al., 2006). De manière intéressante, les atteintes identifiées chez les HRG sont très semblables aux atteintes répertoriées chez les patients psychotiques adultes. Notre équipe de recherche ayant déjà évalué des adolescents psychotiques à l’aide de la même tâche que celle utilisée dans la présente thèse (Doré, et

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al., 2007), il a été possible de comparer les atteintes spécifiques à chaque groupe afin d’observer si un profil en mémoire de source similaire peut être identifié avant l’apparition de la pathologie chez les HRG. Cette comparaison a permis de mettre en relief le fait que les HRG présentent des altérations semblables à celles d’adolescents psychotiques en ce qui concerne les atteintes en attribution du contexte temporel de même que les distorsions en mémoire (représentations fragmentées, trouble de la métacognition), tant sur le plan du type d’atteinte que de leur intensité. Ces altérations ne sont donc pas associées de manière exclusive à la phase active de la pathologie, puisqu’elles se retrouvent avec une intensité similaire avant même l’apparition des premiers symptômes chez une population non psychotique à risque de développer un trouble psychotique.

Cette comparaison a également mis en lumière le fait que l’atteinte d’un processus précis semble distinguer les profils en mémoire de source des HRG et des patients psychotiques malgré les nombreuses similitudes mises de l’avant. Ainsi, l’attribution de la source de l’information, soit le jugement quant à la provenance interne ou externe de l’information mémorisée, distingue le profil cognitif observé chez les patients, qui sont déficitaires, de celui des HRG, qui démontrent un fonctionnement similaire à celui des contrôles. Cette altération des processus d’attribution de la source apparait spécifique au profil des patients et pourrait constituer un potentiel marqueur de la pathologie puisqu’il s’agit de la seule variable permettant de distinguer le profil d’un patient de celui d’un individu non psychotique à risque de psychose. Il est possible que cette atteinte soit davantage caractéristique de la phase active de la maladie et qu’elle se manifeste plus tardivement chez les individus qui développeront un trouble psychotique. Considérant cela, les autres processus de mémoire de source dont l’altération est documentée chez les HRG avant l’apparition de la psychose (notamment l’atteinte en attribution du contexte temporel, la fragmentation des représentations mnésiques ou les atteintes métacognitives) apparaissent davantage prometteurs dans la recherche de marqueurs du risque de développer un trouble psychotique.

Afin d’explorer plus en profondeur l’hypothèse d’une association spécifique entre l’attribution de la source et le développement de la psychose, des analyses préliminaires

101 supplémentaires ont été réalisées et sont présentées sous forme d’annexes dans les prochaines sections. Dans un premier temps, un questionnement a été soulevé afin de savoir si certains individus au sein du groupe HRG présentaient des indices de risque clinique, dans l’objectif d’observer si le fonctionnement en attribution de la source était davantage altéré chez un sous-groupe d’individus montrant des indicateurs cliniques précoces de pathologie. Afin d’explorer cette question, des données cumulées dans le cadre d’un protocole de recherche plus vaste réalisé auprès de l’échantillon HRG ont été investiguées. Les résultats obtenus au questionnaire PQ-16 (Ising, et al., 2012) 6 ont ainsi été analysés. Le

PQ-16 est un questionnaire auto-rapporté évaluant la présence d’indicateurs précoces de psychose utilisé pour dépister l’entrée en début d’évolution de maladie (voir annexe H pour une présentation de la traduction française du questionnaire). Cet outil propose un seuil critique au-delà duquel un risque clinique à développer la maladie est jugé probable. L’utilisation de ce questionnaire a permis d’identifier 6 HRG présentant un risque clinique de développer une psychose (HRG-C), soit des individus atteignant ou dépassant le seuil critique proposé par l’outil. Rappelons toutefois que ces individus ne répondaient pas aux critères de prodrome7, tel que bien documenté lors de l’évaluation clinique supervisée

réalisée auprès de tous les participants. Ces 6 individus peuvent ainsi être considérés comme présentant un risque clinique intermédiaire, soit un risque supérieur à celui des autres HRG, mais inférieur à celui documenté en phase prodromique.

Les données sociodémographiques de ces 6 HRG-C sont comparées à celles du reste de l’échantillon dans le tableau B1 de l’Annexe B. Comme indiqué dans ce tableau, malgré qu’ils soient identifiés comme à risque sur le plan clinique, les HRG-C ne se distinguent du reste de l’échantillon sur aucune variable sociodémographique, que ce soit l’âge, le sexe, la scolarité, la proportion de diagnostics cliniques ou le fonctionnement social. Ceci apporte d’ailleurs un appui supplémentaire au fait que les participants à l’étude ne sont pas en phase prodromique de la pathologie. En effet, si ces 6 individus à risque clinique avaient été en

6Le PQ-16 (Ising et al., 2012) est un questionnaire auto-rapporté de 16 questions, validé et permettant de cibler un risque clinique accru vers la psychose à l’aide d’un seuil critique de 6/16. Une traduction libre en français a été utilisée.

7La notion de prodrome réfère ici tant au Syndrome de psychose atténuée du DSM-5 qu’aux critères de Haut risque

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prodrome, on se serait attendu à ce qu’ils présentent notamment un fonctionnement social altéré et soient possiblement plus âgés, ce qui n’est pas le cas au sein de notre échantillon.

Lorsque la capacité d’attribution de l’origine des mots des HRG-C a été comparée à celle des HRG sans risque clinique, il a été observé que les HRG-C présentaient une performance significativement plus faible lorsqu’ils devaient attribuer l’origine de leurs souvenirs que les autres HRG, sans qu’il ne soit possible d’identifier une atteinte plus spécifique au niveau de la source ou du contexte temporel (voir le tableau B2 de l’annexe B pour une présentation des résultats associés). En d’autres termes, il semble que le fait de présenter un risque clinique en plus d’un risque génétique soit associé à un affaissement plus prononcé de la mémoire de source, tant pour l’attribution de la source que du contexte temporel (voir annexe B Figure B1 pour la répartition individuelle des HRG-C au sein de l’ensemble des HRG en attribution de la source et du contexte). Il est toutefois à noter que tous les résultats obtenus aux mesures d’attribution de l’origine au sein de l’échantillon entier et présentés au chapitre II demeurent les mêmes lorsque la comparaison entre les HRG et les contrôles est refaite en retirant ces six participants HRG-C. Les résultats obtenus chez l’échantillon entier ne reposent donc pas uniquement sur la performance des individus pouvant être considérés à risque clinique de psychose.

Bien qu’il s’agisse de données exploratoires, ces résultats sur les performances des HRG-C apportent un appui préliminaire des plus intéressants à l’idée d’une association entre l’atteinte des processus d’attribution de la source et le développement de la psychose. En effet, les participants identifiés comme étant à risque clinique présentent une altération plus prononcée de leur capacité en attribution de l’origine (donc à la fois de la source et du contexte), soit un profil qui apparaît davantage similaire à celui documenté chez les patients psychotiques qui présentent eux-mêmes un affaissement généralisé en attribution de l’origine. Les résultats obtenus semblent donc suggérer qu’un affaissement de la mémoire de source pourrait se manifester simultanément aux premiers indices de risque clinique plutôt qu’avec l’apparition franche du premier épisode psychotique puisqu’on détecte déjà une performance plus faible chez les HRG-C comparativement au reste de l’échantillon. D’autres études devront confirmer cette hypothèse, mais dans un tel cas, l’atteinte de

103 l’attribution de la source pourrait être considérée d’un intérêt particulier dans la recherche d’indicateurs précoces de conversion vers la psychose.

L’hypothèse que l’atteinte des processus d’attribution de la source soit associée de façon plus spécifique à la psychose pourrait par ailleurs signifier que les individus qui développeront un trouble psychotique présentent une altération précoce au plan de l’attribution de la source. Cette hypothèse, si fondée, expliquerait la différence observée entre le profil de mémoire de source documenté chez les HRG et celui documenté des adolescents atteints du syndrome vélo-cardio-facial (22q11.2). En effet, une atteinte de l’attribution de la source interne-externe a été mise en lumière chez cette population également considérée à haut risque génétique de psychose (Debbané, et al., 2010). Néanmoins, l’échantillon 22q11.2 se distingue des HRG évalués dans la thèse par une incidence attendue de psychose largement supérieure, estimée à plus de 40% de conversion une fois adulte (Schneider, et al., 2014) contre 9 à 18% chez les HRG (Tandon, et al., 2008). Le fait que l’échantillon 22q11.2 comporte davantage de « futurs patients » pourrait supporter l’idée d’une association précoce entre les processus d’attribution de la source et le développement de troubles psychotiques. En effet, si davantage de futurs patients sont présents dans cet échantillon et qu’il est postulé que ceux-ci sont atteints précocement en attribution de la source, il est cohérent que des différences de moyennes ressortent lorsque le groupe entier de 22q11.2 est comparé à un groupe contrôle. La concentration plus élevée de futurs patients chez les 22q11.2 pourrait donc expliquer qu’une atteinte en attribution de la source soit observée chez cette population et non chez les HRG bien qu’une vulnérabilité génétique existe chez les deux populations. L’absence d’altération de l’attribution de la source documentée chez les HRG pourrait donc simplement découler du fait que le nombre de futurs patients est trop faible pour que leur performance ait une incidence significative sur la performance moyenne du groupe.

En somme, il apparaît possible que le développement d’un trouble psychotique soit spécifiquement associé à des altérations des processus d’attribution de la source, puisque des individus présentant un risque accru au développement de la psychose comme les HRG-C ou les adolescents atteints du syndrome 22q11.2 présentent des performances plus

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altérées que celles observées chez l’échantillon de HRG. Ces résultats laissent suspecter que les processus d’attribution de la source pourraient s’avérer d’intérêt dans la recherche de marqueurs de conversion vers la psychose. Davantage d’études seront toutefois requises pour élucider ce point, notamment dans une perspective longitudinale.