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1 Le canal des dépenses publiques: la question de la fongibilité

L‟aide sectorielle à la santé est destinée à financer le budget santé des pays bénéficiaires. Les dépenses publiques de santé permettant d‟améliorer l‟état de santé de la population, l‟aide affectée à la santé, par ce canal, permet d‟accéder à une meilleure santé. Néanmoins, l‟efficacité de l‟aide à la santé dépend de son utilisation par les pays bénéficiaires : ceux-ci peuvent choisir d‟utiliser ces fonds dans un autre but. On parle alors de fongibilité de l‟aide.

Plus précisément, il y a fongibilité lorsque l‟aide ciblée sur un objet, qui aurait de toute manière été financé, libère des ressources pour financer d‟autres objets, qui, eux, n‟auraient pas été financés sans cette aide. Ainsi, on dit que l‟aide sectorielle est fongible dans un pays receveur lorsque le montant reçu d‟aide sectorielle n‟engendre pas une augmentation des dépenses sectorielles du même montant. La fongibilité est totale si l‟augmentation des dépenses sectorielles est nulle. La fongibilité est partielle si cette augmentation est inférieure à l‟aide affectée.

Y a-t-il fongibilité de l’aide ? Il n‟y a pas de consensus dans la littérature quant à l‟existence ou non de fongibilité de l‟aide. Le rapport Feyzioglu et al. (1998), sur une étude économétrique en panel, trouve que l‟aide est fongible dans les secteurs de l‟agriculture, de l‟éducation et de l‟énergie, mais pas dans les secteurs des transports et communications. Dans le secteur de la santé en revanche, aucun élément ne permet de conclure. Devarajan et al. (1999) se focalisent sur les pays africains, où la fongibilité était suspectée de causer l‟inefficacité de l‟aide, et y trouvent une fongibilité partielle. Cependant ces deux dernières études sont critiquées car elles utilisent les prêts concessionnels seulement, alors que les dons représentent les deux tiers de l‟aide sectorielle (Berg 2003, Lensink et White 2000).

Masud et Yontcheva (2005) trouvent, sur un panel de 58 pays de 1990 à 2001, que l‟aide bilatérale peut être fongible, tandis que Mishra et Newhouse (2007) réfutent cette idée, à partir d‟un panel de 118 pays de 1973 à 2004 ; selon eux, doubler l‟aide à la santé par tête est associé à une augmentation de 7% des dépenses publiques de santé par tête ; augmenter l‟aide à la santé par tête de 1 dollar engendre une augmentation des dépenses publiques de santé par tête de 1.5 dollars.

Encadré 2. 1. Suite

Les études pays ne sont pas plus consensuelles : Pack et Pack (1990) trouvent de la fongibilité en Indonésie, mais pas en République Dominicaine (1993). Mavrotas et Ouattara (2006) ne trouvent pas de fongibilité dans les Philippines, le Costa Rica ni au Pakistan. Il n‟y a donc pas d‟évidence, que ce soit au niveau micro ou macro, quant à l‟existence ou non d‟une fongibilité partielle ou totale de l‟aide. C‟est en réalité très difficile d‟estimer si l‟aide est fongible ou pas, la plus grosse difficulté étant de savoir ce que le gouvernement aurait fait s‟il avait reçu des ressources, non ciblées, pour un montant équivalent (Wagstaff et Claeson 2004).

La fongibilité, si elle existe, est-elle un frein à l’efficacité de l’aide ? Les bailleurs de fonds ciblent l‟aide vers des domaines qui leur semblent importants. Si les gouvernements bénéficiaires décident d‟utiliser ce surplus de ressources pour un autre domaine, c‟est leur choix. Pourtant, on parle souvent du « problème » de la fongibilité, et l‟associons ainsi à quelque chose de négatif. Peut-être est-ce parce que les agences d‟aide perdent le contrôle de leurs ressources et ont par ailleurs plus de difficultés à les légitimer auprès de leurs populations ? Il est vrai que la fongibilité peut inciter les bailleurs de fonds à faire de l‟aide projet. Or, selon le rapport Assessing Aid (Banque Mondiale 1998), faire de l‟aide-projet en présence de fongibilité peut déresponsabiliser le gouvernement receveur, et n‟est donc pas très efficace à long terme. C‟est en ce sens que la Déclaration de Paris (2005) incite à faire de l‟aide budgétaire ou sectorielle : ce type d‟aide est plus efficace à long terme, qu‟elle soit fongible ou non. D‟ailleurs, Pettersson (2007), qui trouve que l‟aide est fongible dans un échantillon de 57 pays bénéficiaires, ne trouve pas d‟évidence de différence d‟efficacité entre l‟aide sectorielle fongible et celle non fongible. En effet, même si l‟aide ciblée sur un secteur en particulier est fongible, cela ne signifie pas que son utilisation par ailleurs est moins efficace ou moins pro-poor. On peut concevoir que le gouvernement prenne cette opportunité pour financer des secteurs pro-poor dans le contexte du pays, par exemple l‟agriculture : le résultat dépend de l‟utilisation des ressources faite par le gouvernement. De plus, l‟aide ciblée peut contenir une composante technique : même si il y a fongibilité, la présence d‟éléments techniques provoque une implantation des projets différente de celle qui aurait été financée par des ressources domestiques. L‟aide permet toujours des transferts d‟idées, de savoir-faire.

En somme, ni l‟existence de fongibilité de l‟aide sectorielle ni son éventuel impact sur l‟efficacité des ressources ne sont observés de façon consensuelle dans la littérature.

3. Méthode

L‟analyse économétrique repose sur un panel quasi-cylindré de 88 pays en développement et en transition (Tableau 2. 3) pour lesquels nous disposons de 3 observations : 1996-99, 2000-03 et 2004-07. Cet échantillon est composé de 34 pays d‟Afrique subsaharienne, 38 pays à revenu faible et 50 pays à revenu intermédiaire.

Tableau 2. 3 Liste des pays de l'échantillon

*Afrique du Sud *Ethiopie *Niger

Albanie *Gabon *Nigeria

Algérie *Ghana *Ouganda

*Angola Guatemala Pakistan

Argentine *Guinée Panama

Arménie Honduras Papouasie N-Guinée

Azerbaïdjan Inde Paraguay

Bangladesh Indonésie Pérou

*Bénin Iran Philippines

Biélorussie Jordanie *Rwanda

Bolivie Kazakhstan Salvador

Bosnie Herzégovine *Kenya *Sénégal

*Botswana Kirghizistan *Sierra Leone

Brésil Laos Sri Lanka

*Burkina Faso *Liberia Suriname

*Burundi Macédoine *Swaziland

Cambodge *Madagascar Tadjikistan

*Cap Vert Malaisie *Tanzanie

*Centrafricaine, Rép. *Malawi *Tchad

Chili *Mali Thaïlande

Chine Maroc *Togo

Colombie *Mauritanie Tunisie

*Congo Mexique Turquie

*Congo, Rép. Dém Moldavie Ukraine

Costa Rica Mongolie Uruguay

*Côte d'Ivoire *Mozambique Venezuela

Croatie *Namibie Viet Nam

Dominicaine, Rép. Népal Yémen

Egypte Nicaragua *Zambie

Equateur

3.1 Données

La variable d‟intérêt

Notre objectif est d‟examiner l‟impact, supposé bénéfique, de l‟aide publique au développement37 affectée à la santé dans un sens large38 a sur la santé des populations. L‟aide censée être la plus bénéfique pour la santé des populations est celle qui est axée vers des activités ayant un impact direct sur la santé, à savoir vers les soins de santé, mais aussi vers la fourniture d‟eau potable ou de sanitaires de qualité, et vers la prévention concernant la santé de la reproduction. La somme de ce type d‟activités d‟aide financées et notifiées auprès du Comité d‟Aide au Développement (CAD) par les bailleurs de fonds permet de mesurer l‟aide à la santé décaissée et reçue par les pays en développement. Ce type de données se trouve dans la base de données Système de Notification Par les Créanciers (SNPC) du CAD.

La qualité des données issues du SNPC est sujette à débat (cf. Encadré 2. 2, page 66) : en effet le taux de couverture des activités par rapport à l‟aide totale reçue n‟est pas de 100%, et suggère que les activités d‟aide sont mal notifiées par les bailleurs de fonds. Notamment, les données notifiées par les bilatéraux ne sont considérées comme étant de bonne qualité qu‟à partir de 1995 pour les engagements et à partir de 2002 pour les décaissements. Ce n‟est pas le cas des données des agences multilatérales, dont les efforts de notification sont encore irréguliers.

Les engagements étant mieux notifiés, ils peuvent sembler plus adéquats pour notre analyse. Cependant, les engagements pris en 2000 peuvent être décaissés en 2000, comme en 2003, comme sur plusieurs années successives39. Les renseignements à ce sujet sont

37 L‟aide publique au développement telle que définie par le CAD prend en compte les dons publics ainsi que les prêts publics ayant un élément de libéralité au moins égal à 25 pour cent (sur la base d‟un taux d‟actualisation de 10 pour cent), à condition qu‟ils aient (dons et prêts) un objectif de développement.

38 L‟aide affectée à la santé au « sens large » est définie comme l‟aide affectée aux secteurs de la santé, de l‟eau et des sanitaires et de la population (selon la typologie du CAD). On suppose en effet que les activités améliorant l‟accès à l‟eau potable, à des sanitaires de qualité ou au planning familial permettent, tout autant que l‟aide affectée au secteur de la santé, d‟améliorer directement et significativement la santé dans les pays pauvres.

39 Les montants sur les engagements sont notifiés sur l‟année pendant laquelle l‟engagement a été pris, et non sur l‟année pour laquelle l‟engagement est destiné.

trop épars, et il est impossible, à partir de cette base de données, de définir le montant engagé pour une année. D‟autre part, il n‟est pas sûr que l‟intégralité des engagements soit réellement décaissée et effectivement reçue par les pays en développement. Nous choisissons donc de mener l‟essentiel de l‟analyse à partir des décaissements d‟aide. Nous utiliserons les engagements d‟aide pour compléter l‟analyse.

A partir de la base SNPC, on peut définir différents niveaux d‟aide à la santé : nous décidons d‟utiliser l‟aide au développement de soins de santé (niveau 12 dans la base SNPC), additionnée à l‟aide au développement de planning familiaux et de santé de la reproduction (niveau 13) ainsi qu‟à l‟aide à la fourniture d‟eau potable et de sanitaires (niveau 14). Nous appelons la somme de ces trois niveaux l‟aide affectée à la santé « au sens large ». Deux autres niveaux seront analysés en complément : l‟aide affectée à la santé « au sens strict », qui correspond au niveau 12, à savoir l‟aide pour les soins de santé primaire et spécialisés ; et un niveau plus détaillé, le niveau 121, qui décrit uniquement l‟aide affectée à la santé primaire, qu‟on nomme l‟aide affectée à la santé « primaire » ou « de base ».

L‟OMS fournit également une donnée de financement externe de la santé. Elle est définie comme étant la somme des ressources provenant des unités non-résidentes et étant destinées à financer des biens ou services de santé pour les agents résidents. Cela inclut les dons et les prêts. Ceux-ci peuvent passer par le canal de l‟administration publique ou d‟organismes privés. Les informations sur ces ressources proviennent du CAD, et peuvent être confirmées ou modifiées par les Etats Membres contrôlant les ressources extérieures de leur système de santé. Cependant, ce ne sont pas tous les pays membres qui vérifient ces données. Par ailleurs, les données de l‟OMS voudraient au maximum refléter les dépenses effectives ; mais dans certains cas, elles reflètent les engagements des bailleurs, et non les décaissements. Les différentes observations de la variable de financement externe de l‟OMS semblent difficilement interprétables et comparables. Dans la mesure où l‟objectif de l‟OMS était de fournir une donnée reflétant toutes les ressources provenant de l‟extérieur pour la santé, nous l‟utiliserons pour tester la robustesse de nos résultats, avec toutefois en tête les limites de cette mesure.