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Chapitre 1 Les analyses biomédicales et socio-économiques des déterminants de la

2. L‟étude des déterminants socio-économiques de la santé

2.1 Premiers modèles

L‟étude des causes socio-économiques de la santé ne peut se faire sans penser aux causes biomédicales de la santé. Les premiers modèles des déterminants socio-économiques de la santé se basent sur les études biomédicales, et tentent de lier les

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Dans les régions en développement, durant la période 2000-2006, un quart des femmes enceintes n‟avaient jamais été examinées par des agents de santé qualifiés au cours de leur grossesse (UNICEF 2008).

12 Par exemple, l‟utilisation de sels de réhydratation orale avec des suppléments de zinc permettent de réduire la durée et la sévérité de la diarrhée et peuvent éviter la nécessité d‟hospitalisation (OMS 2008). Pourtant, pour des raisons de manque de connaissance ou bien culturelles, ces traitements ne sont pas toujours appliqués.

facteurs biologiques aux variables socio-économiques. Wolpin (1997) fournit une bonne vue d‟ensemble des problèmes liés à l‟analyse des déterminants socioéconomiques de la mortalité des enfants. Il rappelle notamment qu‟une grande composante de la littérature biomédicale s‟intéresse aux déterminants dits « comportementaux » : cela laisse place aux analyses des sociologues et économistes. Il faut néanmoins se plonger dans cette littérature pour trouver comment intégrer dans un même schéma des facteurs biologiques et des facteurs socio-économiques.

Dans la littérature biomédicale des déterminants de la mortalité des enfants, les causes « exogènes » sont distinguées des causes « endogènes » (Wolpin 1997). Les causes dites endogènes sont celles qui précèdent la naissance et qui sont basées sur des critères biologiques, comme les malformations génétiques, les blessures de naissance, etc. Les causes dites exogènes proviennent de l‟environnement post néonatal, c‟est-à-dire à partir du 29e jour. Il s‟agit d‟infections, accidents, etc. Non seulement cette distinction semble tout à fait arbitraire, mais en plus cela n‟est pas très clair.

Mosley et Chen (1984) tentent également de joindre dans un même schéma analytique les sciences socio-économiques et les sciences médicales. Ils rappellent que les sciences sociales regardent l‟association entre le statut socio-économique et le niveau de mortalité observé dans les populations ; alors que les sciences médicales observent les processus biologiques des maladies. Il est nécessaire d‟établir un schéma analytique liant les deux approches, sinon on aboutit à des recommandations politiques qui peuvent être différentes selon le corps de recherche, et donc selon la méthode.

Concrètement, imaginons une cause de décès d‟enfant, soit une infection. La probabilité pour un enfant de mourir de cette infection dépend dans un premier temps de sa probabilité à incuber cette infection. Cela dépend des soins (préventifs) qu‟il reçoit, mais aussi de la propension innée de l‟enfant à attraper cette maladie. La sensibilité d‟un enfant face à une maladie dépend de sa fragilité innée (caractère génétique), de l‟âge de l‟enfant (maturité biologique), de son histoire face à cette maladie (a-t-il acquis une immunité ? ou au contraire, y a-t-il des effets affaiblissants cumulés?), des traitements qu‟il aurait reçus en l‟occurrence (si cette sensibilité dépend du degré de guérison), de l‟histoire des soins préventifs qu‟il a reçus (si il y a des effets cumulatifs), et enfin des chocs aléatoires.

Dans un deuxième temps, si l‟enfant est infecté, sa survie dépend de l‟infection (type, sévérité), de l‟histoire des traitements curatifs reçus (la toxicité peut être augmentée ou diminuée selon les occurrences de la maladie et les guérisons répétées), et de l‟âge de l‟enfant.

Il y a ainsi deux relations qui nous intéressent : celle qui décrit le procédé d‟incubation de la maladie et celle qui décrit le processus de mortalité dans le cas où la maladie est incubée (cf. Figure 1. 3, Figure 1. 4 plus haut) :

(1. 1)  Y , X , 1 I 1 D P X 1 I P

Avec I=1 lorsque l‟infection est là, I=0 sinon ; D=1 lorsqu‟il y a décès, D=0 sinon ; X et Y les facteurs de ces probabilités.

Il est possible de substituer les déterminants de la maladie dans la fonction de mortalité : on substitue alors les occurrences actuelles et passées, les comportements (préventifs et curatifs) actuels et passés, l‟âge, la fragilité, et l‟histoire des chocs aléatoires. On peut alors écrire la forme réduite du modèle des déterminants de la mortalité des enfants. Le modèle de Rozenzweig et Schultz (1983) suit ce raisonnement :

(1. 2) it 

ti,z

 

ti ,xi,i,it,it1,i1

Avec : itla probabilité de mortalité de l‟enfant i au temps t

i

t l‟âge de l‟enfant,

 

ti

z un vecteur des comportements préventifs et curatifs, variant au cours du temps,xi un vecteur de comportements qui ne varient pas dans le temps13 (comme l‟âge de la mère à la naissance), cela reflète également la dotation biologique de l‟enfant, ses fragilités « acquises »,

i

la fragilité permanente de l‟enfant non mesurable (par exemple dotations génétiques), 1 i 2 it , 1 it it, ,...,

l‟historique des chocs de maladie et décès.

13 Selon la terminologie des fonctions de production de santé (Grossman 1972), les x et les z sont considérés comme des intrants.

Notons que les fragilités inhérentes de l‟enfant peuvent influencer le comportement des parents, dans un sens ou dans l‟autre, si tant est que ces fragilités sont identifiées14

. Par exemple, une femme ayant remarqué les faiblesses de son enfant peut choisir pour lui de l‟allaiter, alors qu‟elle ne l‟aurait peut-être pas fait autrement. Etant donné que les chercheurs ne peuvent mesurer avec exactitude cette fragilité, cela peut amener un biais dans les estimations : dans le cas de la femme allaitant son enfant faible, mais pas son enfant « fort », cela crée une relation mathématique négative entre la survie et l‟allaitement.

On peut ranger les variables de cette fonction (1. 2) dans diverses catégories :

 Les facteurs biologiques : dotations initiales de l‟enfant, inaltérables, qui reflètent la fragilité de l‟enfant ;

 Les facteurs prénataux : comportement de la mère durant la grossesse, chocs de santé de la mère et/ou du fœtus ;

 Les facteurs post-néonataux : comportement des proches de l‟enfant vis-à-vis de lui, chocs de santé de l‟enfant.

En tant qu‟économistes, nous nous intéressons aux variables de comportements. Or, ceux-ci sont déterminés par les préférences et par les contraintes (Wolpin 1997). Pour comprendre complètement le risque de mortalité, on doit prendre en compte les effets des comportements sur la mortalité, mais aussi les déterminants de ces comportements. Cela pose toutefois des problèmes méthodologiques et d‟interprétation, à partir du moment où ces variables « déterminant les comportements » sont inclues à côté des mesures de comportement. En effet, prenons par exemple les contraintes budgétaires : celles-ci déterminent des comportements d‟alimentation, de surveillance sanitaire, etc., et il n‟est pas rare de voir dans les modèles estimant les déterminants de la santé des mesures de ressources financières. Cependant, dans ce cas, on ne peut pas évaluer l‟impact des ressources financières - dans la mesure où ces ressources ont une influence sur les variables de comportement incluses dans le modèle. En fait, les ressources financières ne présenteront un effet significatif que dans le cas où des comportements sont omis du

14 Une famille ne peut connaître au préalable et avec exhaustivité les fragilités de l‟enfant. Cependant, elle peut connaître certains problèmes liés à l‟hérédité, et par conséquent anticiper la gestion de ces problèmes par un comportement différent de celui qu‟ils auraient adopté sans ces connaissances.

modèle. En ce sens, cette inclusion des ressources financières peut davantage être vue comme un test de spécification générale par rapport aux variables omises, même si un tel test ne peut pas discerner s‟il y a des comportements omis ou une fragilité inobservée.

En somme, le statut socio-économique a une influence sur les « déterminants proches » de la santé, et Mosley et Chen (1984) regroupent ces déterminants sous 5 catégories (Figure 1. 5, ci-après) :

 La catégorie « contrôle de la santé » regroupe à la fois les actions préventives, qui vont empêcher ou pas l‟individu en bonne santé de tomber malade, et les traitements, qui vont guérir ou pas l‟individu tombé malade.

 Les facteurs maternels regroupent le comportement de la mère : âge, soins durant la grossesse, espacement des naissances, soins apportés à l‟enfant ;

 la contamination de l‟environnement regroupe le climat, mais aussi la pollution, le traitement des eaux usées, etc. ;

 les déficiences en nutriments ;  les accidents ou agressions.

Les quatre derniers groupes de déterminants jouent principalement sur le passage de l‟état en bonne santé à l‟état en mauvaise santé. Le premier en revanche joue à la fois sur le passage de l‟état de bonne santé à l‟état en mauvaise santé (prévention), et sur le passage de l‟état en mauvaise santé à l‟état en bonne santé (traitement).

Figure 1. 5 Schéma des effets des groupes de déterminants proches de la santé

Source : Mosley et Chen (1984)