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Vers le diagramme de phase tridimensionnel du dumbbell model . 81

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Figure 3.4 – Diagramme de phase du modèle de Blume-Capel S = 1

température / potentiel chimique / potentiel chimique alterné brisant explicitement la symétrie ±φ.Le point tricritique apparaît comme le point de rencontre de trois lignes critiques, d’où son nom. Les surfaces désignent des frontières du premier ordre. Elles sont délimitées par des lignes de transition du second ordre. La phase gazeuse est notée (1), les deux phases cristal sont notées (2) mais se distinguent par la valeur du paramètre d’ordre (positif pour ∆ > 0, et négatif pour ∆ < 0).

Capel S = 1 nous a été fructueuse pour retrouver le diagramme de phase du dumbbell model sans charge double et établir l’effet d’un potentiel chimique al-terné. Dans la partie suivante nous étendons ce parallèle entre le dumbbell model et le modèle de Blume-Capel dans le cas où les charges doubles sont prises en compte.

3.2 Vers le diagramme de phase tridimensionnel

du dumbbell model

On souhaite désormais réintroduire les charges doubles d’une part, et incor-porer d’autre part le champ local hloc de l’article de [Lefrançois et al., 2017] comme paramètre extérieur. On se basera pour cela sur l’analogie avec le modèle de Blume-Capel développé précédemment, en la motivant pour le cas S = 2.

3.2.1 Modèle de Blume-Capel S = 2

L’ajout des charges doubles est clair puisqu’il suffit de promouvoir les degrés de liberté S = 1 du modèle de Blume-Capel en des degrés S = 2. Autrement dit, les sites peuvent maintenant être occupés par des spins Si= 0,±1,±2. L’analogie vers l’occupation ni= 0,±1,±2 des tétraèdres dans le dumbbell model est directe. On est donc amené à introduire les dix quantités

NA++, NA−−,NA+, NA, NA0 et NB++, NB−−,NB+, NB, NB0 (3.46) qui vérifient le même type d’égalités que (3.14) (et suivantes). On écrit maintenant la densité % et le paramètre d’ordre φ par

%= 1 N0  NA+++ N−− A + N−− B + N++ B + N+ A + N A + N B + N+ B  (3.47) φ= 1 N02 N++ A − NA−−+ N−− B − N++ B + N+ A − NA+ N B − N+ B  (3.48) Cette définition n’est pas tout à fait l’équivalent de (3.19) mais elle correspond à la grandeur φ que nous avons utilisée dans nos simulations numériques. Par construc-tion, φ vaut toujours 0 dans la phase gazeuse où la symétrie de cristallisation n’est pas brisée, et elle est proche de ±1 dans les phases de cristal antiferromagnétique ±1 et désormais proche de ±2 dans les phases de cristal antiferromagnétique ±2.

Comparaison des interactions

L’interaction antiferromagnétique (ou son pendant coulombien dans le dumb-bell model) est quatre fois plus forte entre deux spins Si = ±2 qu’entre deux spins Si = ±1. Par ailleurs, par construction du dumbbell model [Castelnovo et al., 2008], le potentiel chimique associé aux charges doubles est quatre fois ce-lui associé aux charges simples (c’est aussi le cas pour le modèle de Blume-Capel S= 2, d’après l’hamiltonien (3.8)).

Par conséquent, en l’absence d’un champ ∆, les deux phases de cristal Si= ±1 et Si = ±2 sont exactement dégénérées à T = 0 (et ν = νl), puisque les deux termes énergétiques (antiferromagnétique et potentiel chimique) évoluent dans le même rapport. Le diagramme de phase de Blume-Capel S = 2 est donc identique à celui de Blume-Capel S = 1 (figure 3.1) à T = 0 et ∆ = 0.

Pour T 6= 0, la différence notable est que la phase cristalline est une phase φ= ±2 (dans le langage de la glace de spin, c’est un ordre all-in/all-out, complè-tement ordonné) du fait de l’excès d’énergie coulombienne allant de paire avec la présence d’une charge double, comme anticipé par [Brooks-Bartlett et al., 2014]. Le voisinage précis du point tricritique dans le dumbbell model reste cependant une question ouverte puisque l’étude de ces auteurs a été faite sans les charges doubles. Notamment, dans le modèle académique (sans entropie de Pauling) de Blume-Capel S = 2, il existe une petite fenêtre de phase cristal S = 1 [Lara et Plascak, 1998], ce qui est illustré sur le diagramme schématique en figure 3.5.

ν

T

νl

S = ±1

S = 0

S = ±2

Figure 3.5 – Schéma du diagramme de phase du modèle académique de

Blume-Capel S= 2. Pour le modèle académique (i.e. sans entropie de Pauling) de Blume-Capel S = 2, la phase S = 1 est stabilisée dans une petite portion près du point tricritique (voir [Lara et Plascak, 1998]). Dans le dumbbell model on s’attend à ce que cette portion n’existe pas, par similarité avec le diagramme de phase du dipolar spin ice model [Guruciaga et al., 2014]. Cette différence entre le dumbbell model et le modèle de Blume-Capel académique est attribuée à l’exis-tence de l’entropie de Pauling dans le premier, qui stabilise la phase fluide et repousse le point tricritique vers les petits ν.

Cette fenêtre n’existe pas dans le diagramme de phase du dipolar spin ice mo-del (voir chapitre 1 et [Melko et Gingras, 2004], [Guruciaga et al., 2014]), c’est pourquoi nous ne l’attendons pas non plus dans le dumbbell model.

3.2.2 Potentiel chimique alterné

Nous souhaitons maintenant discuter le diagramme de phase (T, hloc) de [Le-françois et al., 2017], présenté au chapitre 1. Pour l’iridate Ho2Ir2O7étudié dans cet article, les ions Ir4+ sont magnétiques (au contraire de Ti4+ dans les tita-nates Dy2Ti2O7 et Ho2Ti2O7) et s’ordonnent all-in/all-out sous T ≈ 140 K. Le champ magnétique hloc résultant de cet ordre agit localement sur les moments des ions Ho3+ et tend à leur imposer également un ordre all-in/all-out. Le terme correspondant dans l’hamiltonien est

− hloc X

i

Si (3.49)

où Si est le pseudo-spin. Pour un tétraèdre en configuration 2in/2out, P Si= 0 donc l’énergie correspondante est nulle. Pour une configuration 3in-1out (resp. 1in-3out), elle vaut −2 hloc (resp. +2 hloc) ; puis −4 hloc (resp. +4 hloc) pour la configuration 4in (resp. 4out). On remarque ainsi que l’énergie due à hloca toutes les caractéristiques d’un potentiel chimique alterné comme nous l’avons introduit

précédemment : elle est deux fois plus forte dans un tétraèdre 4in ou 4out (donc sur une charge double) que dans un tétraèdre 3in/1out ou 1in/3out (charge simple). hlocse couple ainsi linéairement à la charge pour un tétraèdre donné. Par ailleurs, si hloc favorise un ordre 4in sur un tétraèdre up, alors il favorise 4out sur les tétraèdres down : hloc est en fait directement couplé au paramètre d’ordre φ.

Dans le dumbbell model, la prise en compte du champ hloc des ions Ir4+ conduit donc à l’hamiltonien

H=µ0Q2 8 π X i6=j ninj rij − ν X i n2i −∆ X i ni (3.50) où ∆ = 2 hloc, qui se traduit naturellement dans le modèle de Blume-Capel par

H= JX hi,ji SiSj− νX i S2i −∆ X i Si (3.51)

dont la version champ moyen est en tout point similaire à l’équation (3.44), à ceci près que les degrés de liberté sont maintenant de type S = 2.

3.2.3 Diagramme de phase à T = 0 K

On devine le diagramme de phase du dumbbell model avec les charges doubles et en présence d’un potentiel chimique alterné de manière similaire au cas sans charge double étudié précédemment. La comparaison des énergies des configura-tions vides de charge (% = 0 et φ = 0), cristal de charges simples (% = 1 et φ±1) et cristal de charges doubles (% = 1 et φ = 2) donne les limites de phase à T = 0. La limite de phase entre la phase gazeuse et le cristal de charges simples est donnée par −1 2 + ν ± ∆ = 0 soit ∆ = ±  ν −1 2  (3.52) et la limite entre le cristal de charges simples et le cristal de charges doubles par

−1 2+ ν ± ∆ = −2 + 4 ν ± 2 ∆ soit ∆ = ±3  ν − 1 2  (3.53) Ces limites sont schématisées sur la figure 3.6. Pour nos simulations sur Dy2Ti2O7 avec ν = −4,35 K et |u(a)| = 2,888 K, on obtient

∆ = 1,98 K (3.54)

pour la transition à T = 0 K entre la phase fluide et la phase fragmentée, et

∆ = 5,95 K (3.55)

pour la transition entre la phase fragmentée et la phase ordonnée all-in/all-out. Ces valeurs sont à comparer à celles obtenues numériquement en figure 3.10, qui sont respectivement de 2 K et 6 K. Le calcul de champ moyen fournit donc une excellente estimation des potentiels chimiques alternés aux transitions du dumbbell model à température nulle.

ν

φ = +2

φ = 0

φ = +1

φ = −2

φ =−1

Figure 3.6 – Schéma du diagramme de phase du dumbbell model avec

un potentiel chimique alterné à T = 0 K. La phase φ = 0 correspond à la phase fluide des glaces de spin (2in/2out). Les phases φ = ±1 sont les phases fragmentées (3in/1out et 1in/3out). Enfin les phases φ = ±2 sont des cristaux de charges doubles, et les configurations associées en terme des spins sont all-in/all-out. Dans cette phase, les charges et les spins sont complètement ordonnés et il n’y a pas d’entropie résiduelle associée. L’obtention des lignes de transition est détaillée dans le texte.

3.2.4 Diagramme de phase tridimensionnel

Le diagramme de phase tridimensionnel température / potentiel chimique / potentiel chimique alterné du dumbbell model se devine à partir du diagramme à T = 0 montré en figure 3.6 par analogie avec la construction du diagramme de phase du modèle de Blume-Capel S = 1 de la figure 3.4. Des cinq lignes du premier ordre émergent des surfaces du premier ordre se terminant par des lignes critiques, voir figure 3.7.

Pour ∆ = 0, le scénario le plus simple serait l’existence d’un point pentacri-tique où les cinq lignes cripentacri-tiques se rejoindraient. Néanmoins, nous n’avons pas exploré le voisinage de ce point pour le dumbbell model et nous ne pouvons pas conclure. Plusieurs autres scénarios sont envisageables. Dans le modèle de Blume-Capel S = 2 par exemple, nous avons déjà mentionné une zone d’existence de la phase S = 1 pour ∆ = 0 [Lara et Plascak, 1998] ; dans un autre domaine, celui du ferromagnétisme itinérant, [Kaluarachchi et al., 2017] rendent compte d’un dia-gramme de phase à double ailes (voir figure 3.8) dans lequel les ailes se rejoignent pour un champ ordonnant ∆ 6= 0.

ν

T

(3)

(3)

(2)

(2)

(1)

Figure 3.7 – Schéma du diagramme de phase du dumbbell model avec

un potentiel chimique alterné. (1) correspond à la phase fluide des glaces de spin, (2) aux phases fragmentées et (3) aux phases all-in/all-out. Les surfaces correspondent à des transitions du premier ordre, et les lignes plus foncées à des transitions du second ordre. Ce diagramme de phase est élaboré à partir de celui du modèle de Blume-Capel S = 1 (voir texte). Les cinq lignes critiques se rejoignent, selon le scénario le plus simple, sur un point pentacritique. Il faut noter que le voisinage du point pentacritique n’est pas trivial dans un système de Blume-Capel S = 2 [Lara et Plascak, 1998]. Nous ne l’avons pas exploré dans le cas du dumbbell model, c’est pourquoi les lignes sont pointillées à son approche.

Figure 3.8 – Diagramme (T,P,H) de LaCrGe3. Les lignes rouges sont les lignes de transition du second ordre. Les surfaces bleues correspondent à des transitions du premier ordre. La pression P joue le rôle du potentiel chimique ν tandis que le champ magnétique H joue celui du champ ordonnant ∆. Les ailes séparant les différentes phases à H 6= 0 se rejoignent en des points critiques d’ailes (WCP) différents du point tricritique (TCP). Figure empruntée à [Kaluarachchi et al., 2017].

3.2.5 Diagramme de phase à ν constant

Une coupe du diagramme de phase du dumbbell model figure 3.7 à ν constant donne le diagramme (T , ∆) en figure 3.9 à gauche.

Il est similaire au diagramme (T, hloc) de [Lefrançois et al., 2017] (figure 3.9 à droite), à une différence (majeure) près : dans cet article les auteurs utilisent le nearest neighbor spin ice model. Dans ce cas le diagramme de phase à ∆ = 0 (ou hloc = 0) ne contient pas de point tricritique et pas de ligne de transition du premier ordre (voir chapitre 1) ; le diagramme de [Lefrançois et al., 2017] re-présente des crossovers entre les différentes phases. Au contraire, dans le cas du dumbbell model que nous étudions, la présence des interactions coulombiennes à longues portée conduisent, comme nous l’avons longuement discuté, à un point multicritique et une ligne de transition du premier ordre dans le plan ∆ = 0. Hors de ce plan, cette ligne de premier ordre se poursuit en des surfaces de premier ordre qui donnent lieu à des véritables transitions de phase dans un plan à ν constant. Ainsi, si dans leur aspect les diagrammes de phases du nearest neighbor spin ice et du dumbbell model sont similaires dans les phases qu’ils comportent, les changements de phase sont radicalement différents puisqu’il y a dans un cas des crossovers, et dans l’autre des lignes de transitions du premier ordre

termi-T

φ = +2

φ = 0

φ = +1

Figure 3.9 – Diagramme de phase pour ν fixé. (Gauche) Schéma d’une coupe (T , ∆) du diagramme de phase du dumbbell model construit à partir de celui du modèle de Blume-Capel S = 2. Les lignes représentent des transitions du premier ordre terminant sur un point critique. (Droite) Diagramme de phase (T, hloc) du nearest neighbor spin ice model, figure empruntée à [Lefrançois et al., 2017]. Dans ce second cas, les phases ne sont pas séparées par des transitions de phase mais seulement par des crossovers.

nant sur des points critiques. L’existence des points critiques, que nous établirons numériquement dans la suite, est donc spécifique au dumbbell model.

Le point critique qui nous intéresse dans la suite est le point terminal de la ligne de transition entre les phases φ = 0 et φ = +1. Sur cette ligne du premier ordre la relation de Clausius-Clapeyron s’applique :

d∆tr(T ) dT = −

∆S

N0∆φ (3.56)

où ∆tr(T ) est le potentiel chimique sur la ligne de transition. En supposant en première approximation les entropies constantes, on a ∆S = SPauling− Sfrag. On pose de même ∆φ ∼ 1 pour aboutir à

c−∆tr(T = 0) = Tc



SPauling− Sfrag (3.57) = Tc ln 1,5 − ln 1,3 (3.58)

La valeur de ∆tr(T = 0) est estimée par (3.52) pour ν = −4,35 K :

∆tr(T = 0) = |ν| −12α |u(a)| ≈ 2,0 K (3.60) Par ailleurs, dans la partie 3.3, on détermine par le croisement des cumulants de Binder que Tc0,37 K ce qui conduit, à

c≈∆tr(T = 0) + 0,05 K (3.61) ou encore

c−∆tr(T = 0)

∆tr(T = 0) 2% (3.62)

On s’attend ainsi par ce calcul à une ligne de transition presque horizontale. Dans la partie suivante nous explorons numériquement le diagramme de phase du dumbbell model afin d’établir la pertinence de la construction que nous venons de développer par analogie avec le modèle de Blume-Capel.

3.2.6 Exploration numérique du diagramme de phase du

dumbbell model

On étudie numériquement le dumbbell model grâce à des simulations single spin flip Metropolis (voir chapitre 2). L’hamiltonien considéré (équation (3.50)), en plus du terme coulombien et du potentiel chimique habituel du dumbbell model, contient un potentiel chimique alterné.

Une première exploration du diagramme de phase à potentiel chimique ν =4,35 K fixé commence par le tracé de la valeur moyenne de φ en fonction de ∆ pour plusieurs températures, montré en figure 3.10. On obtient graphiquement 2,00 K < ∆c <2,14 K pour la transition entre la phase glace de spin et la phase fragmentée à T = 0,3 K. Cela est en très bon accord avec la valeur attendue analy-tiquement à T = 0 par (3.60).

La distribution du paramètre d’ordre à ∆ = 2,05 K et T = 0,3 K (voir fi-gure 3.10) est en faveur d’une transition de phase du premier ordre puisqu’elle laisse apparaître une probabilité non nulle vers φ = 0, ce qui témoigne d’une métastabilité de la phase fluide, propre à une transition du premier ordre.

On souhaite déterminer dans la suite la localisation du point critique terminal de cette transition.