• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1. 3 : Discours, débats et apprentissage en sport collectif

1. Les verbatim : première expérimentation.

Pour des problèmes matériels -le non fonctionnement d’un magnétophone à Gray- ce travail a été mené uniquement avec les élèves tunisiennes. En ce qui concerne les verbatim des joueuses tunisiennes, ils ont été enregistrés à la fin de chaque rencontre en langue arabe courante. La traduction a été faite par l’auteur de la thèse et contrôlée par Meher Rizig un collègue de l’Institut Supérieur du Sport et de l’Éducation physique du Kef pour éviter les erreurs de traduction (cf. annexe 5).

Nachon (2004) a montré deux grandes fonctions des interlocutions langagières en basket ball scolaire: une fonction de description/analyse et une fonction de communication. « Elles permettent l’échange entre les individus de même que la construction des verbalisations projectives par la mise en avant des perceptions issues des divers engagements dans l’action. Elle repose donc sur un principe de la plurifonctionnalité » (op. cité., p. 110). En ce qui concerne le mécanisme, dès que les élèves répondent à l’enseignant, une donnée est mise à disposition du collectif. De la sorte, l’élève qui avance la proposition devient un proposant qui, la plupart du temps, amorce une piste de réflexion. Cette fonction n’est pas anodine. Aussi, les données peuvent s’enchaîner jusqu’à ce qu’il y ait, à un moment précis, « une reprise par l’entité collective ». Ensuite, lorsqu’une donnée est avancée par un proposant, 1° soit elle reste en suspend, en n’étant ni fausse et/ou inutile, ni vraie et/ou importante, mais en ne faisant simplement pas l’objet de commentaires ; 2° soit elle se constitue comme une piste pour le discours à venir, en permettant le déclenchement de séquences conversationnelles.

Tableau XII. Exemple de dialogue dans une classe terminale (Nachon, 2004). Classe de terminale, Equipe D, S4 :

Ni. : On n’a trop mal joué. (Donnée n°1)

Ju.: Par rapport à la dernière fois, on s’est bien entendu (Donnée n°2)/ (…)/ On n’est peut-être pas assez précis au shoot (Donnée n°3) (…)/ A la fin, ils étaient quatre garçons, nous on avait une fille (Donnée n°4) (…)

So. : Il disait / on avait une fille / comme si c’était / (Prise sur la Donnée n°4)

Ju. : Les garçons, ils étaient plus agressifs par rapport à toi c’est tout (Prise sur la donnée N°4)

À partir de là et selon l’une des propositions fondatrices du modèle genevois (Roulet, 1985, p.112), les interactions en situation dialogique sont embrayées dans toutes leurs dimensions linguistiques ; il est possible d’étudier les interactions verbales à travers les connecteurs logiques, les marqueurs linguistiques (pronoms personnels, conjugaison, verbes d’action…) pouvant permettre de comprendre comment s’organise la structure des discours interactifs. Quatre types de connections logiques apparaissent :

(a) argumentatives marquant sur le constituant subordonné la relation d’argument (s) avec une donnée : car, parce que, puisque, comme… sont les phases d’approfondissement ;

(b) contre-argumentatives marquant une relation de contre-arguments avec un argument, qui se pose dès lors en donnée : mais, quand même, cependant, pourtant, bien que… sont donc les marques du désaccord ;

(c) ré-évaluatives marquant la subordination rétroactive sur une donnée, pouvant initialement être perçue comme indépendante : en somme, en bref, décidément…sont des connecteurs réévaluatifs. Appelant régulièrement les formes discursives de la répétition et de la reformulation, ils proposent respectivement des reprises à l’identique de ce qui vient d’être verbalisé ou des redites en d'autres termes de ce qu’un sujet vient d'exprimer ;

(d) conclusives marquant, à partir d’une donnée, une relation consécutive à vocation d’achèvement ou d’aboutissement : donc, aussi, ainsi, par conséquent… Dans nos verbatims, ces types de connexions conclusives correspondent souvent des principes d’actions pour le match à venir.

Durant les deux dernières séances, les verbatim sont marqués par un accord presque unanime entre les filles. Cet accord est peut-être dû à une connaissance assez superficielle ou limitée de la discipline : chaque fille essaie de s’exprimer, d’expliquer et d’argumenter son point de vue ou

donnant l’occasion à une autre fille de s’exprimer. Le dialogue est ouvert. 1. 1. Analyse des interactions verbales

Pour l’ensemble des filles, nous avons relevé les co-constructions avec accord ; les co-constructions avec présence de désaccords argumentés et enfin les co-élaborations acquiescantes.

1. 1. 1. Co-construction avec accord.

Il apparaît dans les interactions conversationnelles une très forte convergence aussi bien dans les dynamiques interactives adoptées par les filles que dans le contenu propositionnel. L’analyse interlocutoire de quelques joueuses est caractéristique d’un mode interactif sans désaccord, les énoncés s’enchaînent (se co-construisent) pour élaborer essentiellement des règles d’action portant sur la conduite de balle ainsi que sur le placement et le déplacement des joueuses. La dynamique interactive est de l’ordre de la co-construction. L’enchaînement des énoncés est marqué par « aussi » et « quand » indiquant que l’acte de langage reprend et poursuit le précédent. Nous allons présenter successivement des éclats de corpus langagier pour illustrer la dynamique des interactions entre joueuses.

Jihen : Appliquons-nous donc les consignes. Et surtout déterminer les stratégies de notre adversaire.

Marwa : Quand on possède la balle, dès que l’un passe la balle, il faut qu’on bouge vite pour soutenir notre

partenaire et perturber le défenseur.

Nawel : Aussi, pour arriver à chaque fois à tirer, il faut que la personne qui n’a pas le ballon bouge vers la zone

de marque.

Rabeb : Vous ne trouvez pas qu’il y a une différence entre lancer la balle vers le haut et lancer la balle vers

l’avant. On n’a pas besoin des balles hautes mais longues et pas souvent.

Jihen : La récupération de la balle ne se fait pas en groupe. Chacun a sa place et son rôle; sauf en cas de

supériorité, on peut intervenir. Sinon on ne peut pas déterminer à qui sera la passe suivante.

Leçon 5/ Equipe B La dynamique des échanges marque une alternance constante entre les sujets d’élocution ; « nous, il faut, on... » Cette alternance illustre le changement de points de vue et le passage de faits situés à des règles plus génériques d’action. Il y a cependant une tentative d’interaction de tutelle de la part de quelques-unes.

Khawla : Il faut que tu (MARWA) bouges immédiatement, diminuer le dribble, surtout lorsqu’il y a des

défenseurs.

essentiellement des règles formelles du jeu. D’autres propositions prennent en compte une alternative décisionnelle mais elles n’ont pas assez de force persuasive pour s’ériger en règle généralisable. Les énoncés sont marqués par « il faut », démontrant la recherche de règles d’action efficaces dans une perspective à la fois généralisante et conformante. Il est à noter que l’obligation ici formulée est accompagnée d’arguments liés au risque encouru visant à légitimer la proposition:

Marwa : Il faut bien se disperser parce que sinon on n’y arrive jamais.

Leçon 5/ Equipe B

Rabeb : Je pense que la technique la plus efficace est de surprendre la défenseuse quand elle échange de passe.

Il faut tromper les adversaires et renverser le jeu. Et comme vous avez remarqué, le déplacement des filles est un peu long.

Jihen: Mais aussi le fait de bouger beaucoup perturbe les défenseuses et nous facilite en même temps le

passage de la balle et le tir. Vous ne trouvez pas que c’est le cas de notre dernier but.

Khawla : On y est peut-être arrivé mais par contre il faut faire attention lors de l’échange de balle. Les

défenseuses ne sont pas stables et elles raisonnent aussi et n’oubliez pas que outre les défenseuses il y a une gardienne. Elles suivent nos déplacements et essaient de déterminer qui, quand et comment sera le tir. Ce qu’on doit faire alors c’est de les tromper les deux (défenseuses et gardienne).

Jihen: De toute façon, il faut penser quand on veut marquer. On localise le partenaire, l’adversaire et le but.

Puisque les trois facteurs dépendent l’un de l’autre.

Leçon 10 / Equipe B La centration porte principalement sur le démarquage, le placement et la vitesse d’exécution, ce qui marque un glissement dans l’objet d’attention. La dynamique interactive est également caractérisée par des apports conjoints et successifs participant à l’élaboration d’une réponse de niveau supérieur. Les énoncés sont plutôt sur le mode déclaratif. Ils retracent l’action qui vient de se dérouler avec succès. D’autres énoncés permettent la construction de règles d’action de niveau plus élaboré avec la prise en compte d’une alternative décisionnelle en fonction des joueuses. Cependant les actes de langage utilisés demeurent déclaratifs et descriptifs.

Nawel: En fait, dès que la personne lance le ballon à l’autre personne, on doit bouger, enfin la personne qui n’a

pas le ballon doit bouger. Après on la repasse et après on dribble si c’est nécessaire.

Khawla : Dès qu’on a la balle, on fait que des passes et quand on arrive au but on exécute des tirs.

Rabeb : Nous nous faisons de bonnes passes mais le ballon part hors des buts et hors du jeu. Et pour réussir il

faudrait faire des tirs précis et non pas en l’air.

Leçon 5 / Equipe B

Nawel: On joue contre les meilleures, vous devez garder l’esprit de groupe, pas de décision individuelle.

Même si on est mieux qu’elles, on peut perdre et on ne veut pas que ça passe ok. Donc pour réussir, et si vous voulez bien sûr, il faut obéir aux règles de jeu et suivre notre stratégie.

Khawla : Je veux ajouter quelque chose, on doit se mettre d’accord pour une action efficace. On ne doit pas

attendre que les défenseuses avancent beaucoup, par contre il faut bouger vite et faire des passes rapides et précises. Même si on perd un peu de temps c’est pas grave l’essentiel c’est qu’enfin on marque notre but.

Rabeb : Je pense que la technique la plus efficace est de surprendre la défenseuse quand elle échange de passe.

Il faut tromper les adversaires et renverser le jeu. Et comme vous avez remarqué, le déplacement des filles est un peu long.

L’analyse d’autres énoncés fait apparaître des dynamiques interactives de co-construction avec désaccords plus ou moins argumentés.

Rabeb : Je propose pour le marché une circulation maximale et rapide de la balle et de bouger sur tout le

terrain.

Khawla : Même avec des dribbles on a marqué un but.

Rabeb : Ce n’est pas souvent efficace, t’as vu comment A4 a pu te prendre la balle sans le moindre effort.

Leçon 5 / Equipe B

Nawel: Après ces matchs, vous remarquez que notre technique marchait ?

Rabeb : Mais, il ne s’agit pas seulement d’application de technique, mais aussi et en grande partie de notre

tactique de jeu. Le groupe adverse possède aussi des qualités techniques qu’on ne peut ni ignorer ni négliger.

Leçon 10 / Equipe B

Apparaissent des combinaisons de structures d’échanges réalisant une intentionnalité d’ordre logique en relation avec les règles d’action mises en oeuvre sur le terrain. Le contenu propositionnel met en relief des connaissances d’ordre technique et tactique. Il semblerait que plus les filles sont capables de mettre en place des compétences tactiques élaborées, plus elles sont capables d’argumenter leur point de vue et de débattre avec leurs partenaires pour formuler des règles d’action. L’analyse des interactions verbales des filles en situation de co-construction de règles d’action au handball présente un double intérêt. Les résultats de cette étude montrent l’importance de la coopération pour une situation d’apprentissage au handball et l’effet rentable d’une légère variété des compétences.

L’analyse conversationnelle tente d’identifier les processus cognitifs employés afin de co- construire des règles d’action réinvesties dans la construction de compétences tactiques. Pour qu’il y ait progrès dans l’interaction entre les joueuses (amenées à coopérer dans la construction de compétences tactiques en sports collectifs), il apparaît que la dynamique interactive doit être riche et variée afin de solliciter des remises en question.

1. 1. 3. Co-élaborations acquiescantes.

Un dernier aspect de l’analyse concerne le fait que, durant la première séance, les joueuses n’ont rien dit à propos des matchs. Même en posant des questions, les filles n’ont pas osé parler. Après trois séances d’apprentissage, on a pu remarquer que les filles commençaient à s’exprimer, à décrire

du match). Les énoncés visent un accord collectif.

Khawla : Notre but majeur est de gagner. On est d’accord sur ce principe.

Leçon 10/ Equipe B Travailler en groupe et garder cette cohésion le plus longtemps possible semble être leur premier objectif pour gagner.

Nawel : Après un certain temps joué, on a remarqué que notre planification n’a pas bien marché, enfin, rien n’a

changé et le problème de la conservation de la balle et de buts existe toujours.

Jihen : Ensemble on forme un groupe et on est en train de participer à un jeu collectif. Et comme son nom

l’indique, ça se joue en collaboration entre tous les membres de notre équipe.

Leçon 10/ Equipe B Nous allons maintenant nous intéresser au verbatim de la deuxième expérimentation.