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Chapitre 1. 2 : Les cognitions

1. La cognition située

Durant les années quatre-vingts et en réaction aux approches cognitivistes traditionnelles du traitement de l’information, les théories situées mettent en relief le caractère fortement contextuel de l’activité humaine. Elles proposent une nouvelle façon de concevoir la formation, l’apprentissage ou l’enseignement. Ces différentes démarches se réunissent autour de l’idée selon laquelle la construction de la cognition ne peut-être envisagée que «située» historiquement et culturellement dans un environnement précis. Ainsi : « A une conception de l’apprentissage et de la connaissance qui résulterait de l’expérience, de sujets en solitaires dans un monde stable et

objectif, cette nouvelle conception substitue celle d’un apprentissage et de savoirs résultant de la participation active des sujets apprenants aux contextes sociaux et matériels qui les entourent, la personne et le monde étant entendus comme mutuellement constitutifs » (Moro, 2001, p. 494). Selon ce registre théorique qui renoue avec une inspiration phénoménologique, la connaissance serait le résultat d'une interprétation permanente qui émerge de nos capacités de compréhension, elles-mêmes enracinées dans l'histoire de notre relation à l'environnement. Ces capacités s'avèrent alors inséparables de notre corps, de notre langage et de notre histoire culturelle ; elles nous permettent de donner un sens à notre monde. « La société est quelque chose de vivant, ici et maintenant, en face à face et résulte des interactions qui lient les personnes les unes aux autres (…). Elle est un phénomène émergent » (Denzin, 1992, p. 22). Les individus créent donc le monde dans lequel ils vivent au travers de leurs interactions (Blumer, 1969). Ce qui est fondamental dans cette approche, ce sont les types d’engagements sociaux qui permettent à l’apprentissage d’advenir, l’acquisition des capacités étant considérée comme se réalisant au cours du processus de participation de l’apprenant à la communauté de pratiques et non pas en termes d’acquisition d’un corps de savoirs abstraits décontextualisés qu’il s’agirait ultérieurement d’appliquer en contexte.

On peut ici également faire référence aux travaux de Barth pour qui : « Comprendre est donc un phénomène complexe : il faut observer et interpréter la réalité. Pour comprendre – et donc partager une signification avec autrui – il faut être capable d’interpréter un phénomène selon des critères communs » (Barth, 1993, p. 42). Cette notion bien que largement intuitive réfère au système de relations qui organisent les activités entre les personnes et les objets, incluant tout autant les normes, les valeurs, les attitudes que les savoirs.

Les activités dans lesquelles l’apprenant s’engage sont constitutives de l’apprentissage. Elles ne sont pas dissociables du processus de construction identitaire ainsi que l’indiquent les auteurs : «changer de positions et de perspectives fait partie des trajectoires d’apprentissage de l’acteur, du développement d’identités et des formes d’appartenances » (Lave et Wenger, 1991, p.36).

En inscrivant les réflexions présentées ici dans le paradigme de la cognition située, nous souhaitons proposer une vision de l’interaction communicative qui s’entend dans une perspective pragmatique.

Production cognitive conjointe, la construction de significations qui sous-tend l’interaction entre les joueurs est une dynamique de modelage de formes langagières dont les formes corporelles. Ceci revient à défendre une approche socio-constructiviste de l’enseignement des sports collectifs. Au-delà de la description fine de la dynamique conversationnelle, l’analyse du discours (Charaudeau & Maingueneau, 2002) a pour horizon une modélisation des mécanismes d’enchaînement d’énoncés. Elle tente d’appréhender le jeu des productions-interprétations des énoncés selon la trame de l’événement temporel que constitue l’échange langagier (Roulet et al. 1985 ; Bange 1992). Elle recherche à identifier des régularités ou des règles dans ces énoncés mais également la fonction résolument pragmatique du langage en se confrontant à cette simple question : « comment se fait-il que les élèves en dialoguant se comprennent et transforment leur activité collective»?

Cette question centrale met en jeu des réflexions sur les processus supérieurs que sont l’expression de la cognition en actes et l’appréhension de ses formes sémiotiques. Se demander comment deux humains se comprennent ne signifie pas que l’on se désintéresse des cas où des désaccords conduisent à des ruptures de la communication ou à des mécompréhensions. L’incompréhension doit bien sûr être entendue comme une catégorie large incluant la dynamique de négociation du sens partagé, la gestion (non nécessairement résolutive) de conflits cognitifs et autres conflits d’interprétations. Se comprendre ne signifie donc pas seulement parvenir à un « con-sensus », même local ; cela signifie plus largement être capable de stabiliser, au moins temporairement, une construction conjointe et partagée d’un sens en contexte situé.

On peut envisager « la compréhension » selon deux paradigmes bien distincts. Le premier STI repose sur l’idée répandue selon laquelle, en conversation, un locuteur-émetteur parle dans l’intention de « faire passer » quelque chose et que l’auditeur-récepteur décode et traite cet

énoncé pour (re) trouver ce « quelque chose », ce sens formulé. Sommairement, selon cette théorie du code, le locuteur possède une idée claire et précise qu’il met en mots. Ces mots, physiquement transportés, feront l’objet d’un traitement par l’auditeur. Une conséquence de cette théorie est que les locuteurs ne font pas d’erreurs et qu’il n’y aurait pas de perte d’information lors de la transmission. Le sens obtenu à l’arrivée est idéalement isomorphe au sens émis au départ ; la communication peut ainsi être parfaite. Autrement dit, le traitement du « dire » du locuteur est une opération dont le produit est un objet qui lui préexiste : le « sens donné » par le locuteur.

La seconde conception du langage repose sur l’idée essentielle selon laquelle le sens est co- construit de façon processuelle et radicalement dialogique. Cette façon d’envisager la dynamique conversationnelle participe d’une perspective constructiviste en ce qu’elle postule que tout message est adressé et vise à produire des effets. Il suffit d’accepter l’idée simple selon laquelle les participants-partenaires au débat, immergés dans un échange où le sens est premier et (à) partagé(er), le façonnent conjointement et ainsi en font émerger un sens provisoire en constante négociation. L’action humaine s’inscrit de plus dans une communauté de pratiques ; les actions sont toujours connotées culturellement dans un système de normes (Bruner, 1991). L’action humaine est donc comparable à une activité d’interprétation, c’est-à-dire qu’elle est liée à la fois au sens que le sujet lui attribue et à la situation elle-même qui la dénote. Par exemple, l’action consistant à effectuer un saut périlleux au plongeoir des trois mètres peut pour un élève présenter une signification émotionnelle trop forte alors que pour un autre cette activité physique simple sera facilitée du fait du temps lié à la hauteur supérieure par rapport à la surface d’entrée dans l’eau.

Dans le cadre de l’éducation physique, on peut étudier la relation pragmatique que l’élève entretient avec le contexte spatial, temporel et social de la classe. Haw (2002) propose quelques postulats essentiels qui articulent l’approche théorique de l’apprentissage et de l’enseignement. L’interaction sujet/situation est le point de départ de toute analyse. Chaque action, pensée, geste

se place dans un contexte. On peut prendre l’exemple des évaluations qui dépendent directement de la situation telle qu’elle est vécue par l’élève. L’action y est particulière. Le sujet doit s’ajuster à la situation, on peut dire qu’il y a une grande part d’improvisation. Par exemple, le fait de faire un enchaînement en gymnastique au sol demande à celui qui l’exécute de tenir compte de perceptions variées : vitesse, perception de l’espace, perception corporelle… qui liées à l’action lui permettent de nombreux ajustements pendant l’action. Signalons toutefois que les sports collectifs sont caractérisés par la complexité des décisions (Gréhaigne, 1989 ; Mc Morris, & Graydon, 1997) au regard du niveau d’incertitude et de contrainte temporelle. Il s’agit pour les joueurs de distinguer dans un environnement mouvant les informations pertinentes en référence aux expériences passées et de choisir les options adaptées. Et ceci tout en tenant compte de données de contexte comme les habiletés des joueurs en présence, leur état physique, leur score et la zone de jeu concernée (Mc Morris & Mc Gillivary, 1988).

Au terme de ce paragraphe sur la mobilisation du paradigme de l’action située, nous allons présenter maintenant une formalisation de l’apprentissage, en cherchant à souligner le caractère distribué de la cognition en situation de jeu.