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Chapitre 1. 3 : Discours, débats et apprentissage en sport collectif

5. Apprentissage et sport collectif.

Le terme « compétence » est devenu d’un usage courant en éducation et en EPS. Au sens plus général ce terme peut se définir comme la connaissance assez approfondie d’une matière ou comme une habilité reconnue. Il désigne simplement la capacité d’accomplir une tâche donnée de façon satisfaisante, ce qui la différencie nettement de la performance. Ainsi, un sujet compétent est celui qui sait, qui a les connaissances et les savoirs faire suffisants pour agir d’une manière appropriée dans les domaines où il est appelé à faire. « On reconnaîtra qu’une personne sait agir avec compétence si elle sait combiner et mobiliser un ensemble de ressources pertinentes (connaissances, savoir faire, qualités, réseaux de ressources…) pour réaliser, dans un contexte particulier, des activités professionnelles selon certaines modalités d’exercice (critères

d’orientation) afin de produire des résultats (service, produits) satisfaisant à certains critères de performances pour un client ou un destinataire » (Le Boterf, 1999, p. 36).

De Montmollin (1984) appelle compétences « un ensemble stabilisé de savoirs et de savoir faire, de conduites-types, de procédures standards que l’on peut mettre en œuvre sans apprentissage nouveau. ».

Les compétences sont aussi composites et diverses que les innombrables situations où elles sont mises en œuvre. Dans cette conception très opérationnelle, la compétence se définit par la tâche ou la classe des tâches que le sujet sait exécuter. En didactique, une compétence est caractérisée par ce qui permet à quelqu’un de faire face de façon adaptée à une situation sociale particulière. « La compétence est un ensemble structuré et cohérent de ressources qui permet d’être efficace dans un domaine social d’activité » (Délignières & Garsault, 1993, p. 11).

Les relations entre les termes sont souvent compliqués : la compétence est souvent distinguée voire opposée à la notion de connaissance ou de savoir. Il y a toujours des connaissances « sous » une compétence, mais elles ne suffisent pas. Une compétence est quelque chose que l’on sait faire. Mais ce n’est pas un simple savoir-faire, un « savoir-y-faire », une habileté. C’est une capacité stratégique, indispensable dans les situations complexes. La compétence ne se réduit jamais à des connaissances procédurales codifiées et apprises comme des règles, même si elle s’en sert lorsque cela est pertinent. « Juger de la pertinence de la règle fait partie de la compétence » (Perrenoud, 1999, p. 16). Elle caractérise la mise en jeu de savoirs et de connaissances en vue de la réalisation d’un but, de l’exécution d’une tâche. En se différenciant de la notion de performance, la notion de compétence représente un des objectifs possibles de la formation en EPS. Par définition, elle appelle un niveau de transversalité et/ou de généralisation des acquis dans des situations et des contextes différents de ceux de l’apprentissage initial. Il conviendrait donc de distinguer dans la chronologie des actions d’évaluation les acquis de l’apprentissage et de la compétence.

Les acquis de l’apprentissage résultent d’une action de formation particulière à la suite de laquelle l’élève développe des habilités et des aptitudes, acquiert des connaissances, met en œuvre des comportements adaptés à une tâche d’apprentissage. La compétence existe lorsqu’après un

apprentissage, les élèves mobilisent de façon efficiente, dans une nouvelle situation, une résolution de problèmes moteurs.

En effet, la compétence représente un savoir mobilisable : il ne suffit pas de posséder des aptitudes, capacités, connaissances … Pour être compétent, il faut les mettre en œuvre dans des circonstances appropriées. Ainsi, la compétence n’existe pas en elle-même mais face à un problème clairement identifié et défini. « Une compétence est une capacité d’action efficace face à une famille de situations, qu’on arrive à maîtriser parce qu’on dispose à la fois des connaissances nécessaires et de la capacité à les mobiliser à bon escient, en temps opportun, pour identifier et résoudre de vrais problèmes » (Perrenoud, 1999, p. 16). La compétence correspond rarement à une simple application des capacités cognitives, affectives ou psychomotrices isolées. Elle pose donc le problème d’apprentissage en termes de processus de résolution des problèmes moteurs. En effet, les connaissances d’un individu ne sont pas une collection de connaissances spécifiques cloisonnées mais constituent des organisations structurées. Une connaissance nouvelle s’articule avec les autres et les enrichit.

5. 1. Apprentissage et compétence.

Durant l’apprentissage des sports collectifs, en particulier le handball, et devant la résolution d’une situation de jeu collectif, les apprenants interrogent les contenus d’enseignement. En effet, il apparaît que dans l’action, les sujets adoptent des comportements différents. Certains d’entre eux mettent en œuvre un comportement judicieux et tout à fait adapté aux contraintes de la situation, alors que d’autres ne perçoivent pas la solution ou font des choix inappropriés. Cette différence met en évidence l’existence d’une compétence tactique. De ce fait, nous pouvons conclure que la compétence tactique est une mise en œuvre de ressources variées pour traiter une situation de jeu collectif de manière efficace, englobant recueil d’informations, prise de décision et application motrice (vérification du choix de la solution).

Par ailleurs, les jeux collectifs font appel à une prise de décision de la part des joueurs à tous les niveaux de l’apprentissage et quel que soit le degré d’habileté. L’apprentissage des sports collectifs par leur dimension tactique permet de prendre en compte la dimension cognitive du jeu dès le début

de la formation. Par cet apprentissage, l’apprenant face à une situation problème se trouve capable d’exécuter sa réflexion et de dégager quelques règles de ses actions pour finir par élaborer des savoirs constitués, en d’autres termes des règles d’action. La formation de ces règles d’action devient nécessaire dans la construction des savoirs d’action dans une compétence tactique. En se basant sur les travaux de Gréhaigne et al. (1999), les règles d’action font partie intégrante du développement de compétences tactiques. Gréhaigne et Guillon (1991) les définissent comme les conditions à respecter et les éléments à prendre en compte pour que l’action soit efficace. Une des caractéristiques des règles d’action est qu’elles participent à la planification, à la programmation et à l’explication de l’action et enfin à la prise de décision. Nous devons rappeler que dans une situation d’affrontement, le joueur doit savoir décider sous la pression des contraintes temporelles, prendre des risques individuels et collectifs pour assurer la rupture ou la continuité de l’équilibre du système attaque/défense. Il s’agit d’opter pour des réponses qui respectent la logique interne de l’activité, s’adaptent aux compétences des apprenants et se réfèrent à la situation de jeu qui vient de se dérouler.

En conclusion de ce chapitre, par le débat d’idées, les apprenants sont invités à établir un projet d’actions après confrontation de leurs points de vue. L’interaction verbale permet aux apprenants de choisir une stratégie en relation avec des règles d’action. Ici, la coopération prend tout son sens en vue de construire des savoirs tactiques mobilisant les ressources cognitives, langagières et sociales. Ces actions en projet sont mises en œuvre dans le match suivant et ainsi de suite.

Lorsque l’on cherche à comprendre la genèse des connaissances par une approche comparative, on doit faire face à un problème récurrent lié au fait que les facteurs susceptibles d’agir sur les résultats sont très nombreux. Ils concernent l’élève lui-même, le contexte social, son école, sa classe et ses enseignants. Un autre paramètre important est constitué par le système éducatif dans lequel il évolue. Certains sont très difficiles à mesurer et, d’une évaluation à l’autre, le nombre de variables introduites varie ou encore la façon de mesurer certaines variables change. Il s’agit du rôle qu’exerce l’origine sociale de l’élève sur ses acquisitions. Ce rôle est positif, il est d’une ampleur conséquente et il est universel. L’éducation comparée ne reste pas dans cette dimension, elle mène aussi des analyses comparatives sur des systèmes éducatifs afin de révéler les points communs et les divergences.

Si on parle de comparaison, il ne s’agit pas seulement d’une comparaison entre des systèmes éducatifs mais aussi entre les garçons et les filles. Les intérêts concernant les apprentissages pour ces deux entités ne sont pas les mêmes. De plus, ils ne sont pas stables, surtout pour les filles, car la situation de la femme dans la société tunisienne est en cours de changement.

Pour notre recherche, les filles ont pu montrer qu’elles pouvaient intégrer les domaines réservés d’une manière ou d’une autre pour les garçons. Grâce à une mise en situation accompagnée d’un débat d’idées, nous avons constaté chez elles une progression dans la compréhension de la logique interne des sports collectifs. Ici, la volonté d’associer les élèves à la construction de leurs connaissances et compétences motrices a favorisé les apprentissages.

Le débat d’idées engage l’apprenant non seulement vers une forme de prise de conscience du contexte de réalisation de ses productions motrices, mais également vers une forme de régulation par un retour réflexif sur l’action. En effet, les élèves qui se posent la question du sens à donner à leurs actions peuvent alors s’engager vers l’évaluation et l’évolution ou non des stratégies mises en œuvre. La verbalisation se comprend ainsi comme une activité de co-production de sens à propos de l’action à interpréter. L’étude du discours et des productions verbales dans le cadre du débat d’idées

existante.

Si la grande majorité de la communauté scientifique semble s’accorder sur le fait que l’apprentissage moteur est sans doute contrôlé par des processus essentiellement cognitifs, il n'en demeure pas moins que des voix s'élèvent pour mettre en garde quant au rôle et à l’impact de la verbalisation. Delignières (1992) considère que « l’équivalence prise de conscience- verbalisation mérite d’être questionnée, notamment dans le domaine des habiletés motrices ». Nous sommes bien d'accord avec la prudence avec laquelle il convient d'avancer sur ces thèmes. « Ce qu'on peut dire verbalement n'épuise pas la somme des connaissances nécessaires pour agir. Les données perçues consciemment ne sont pas toujours possibles à mettre en mots » (Nachon, 2004).

Par une meilleure conscience de ce que l’on a à faire, les interactions verbales entraînent une réduction de l’incertitude vis-à-vis des partenaires. La prise en compte de l’adversaire, un plan de jeu bien établi avec ses partenaires et une juste évaluation de ses propres capacités favorisent une amélioration du niveau tactique. La verbalisation facilite donc l’apprentissage et le rend plus efficace. Souvent, l’interaction au sein du groupe repose sur un conflit. Ce conflit est une source de progrès quand il est dépassé car il permet aux filles qui « se trompent » de prendre conscience de leurs erreurs et de l’existence de solutions alternatives. La fonction perturbatrice du partenaire peut se manifester dans le désaccord et l’argumentation mais également en ouvrant le champ des possibles. En effet, il n’existe pas une solution unique mais des solutions pertinentes en fonction du déroulement de la situation.

Cette revue de la littérature met en évidence la supériorité de l’apprentissage co-actif, en termes de mobilisation des activités cognitives des sujets dans le cadre où les partenaires suivent le même but. La spécificité de la mobilisation des activités cognitives est qu’elle assure l’efficacité de la pensée. Le joueur peut mettre en relief les problèmes rencontrés, énoncer des hypothèses, anticiper les résultats, relever les contradictions, proposer des réponses, argumenter, convaincre en vue d’une action collective concertée.

l’articulation entre « inter-actions et cognition » avec comme perspective l’étude de l’acquisition des connaissances. Cette dynamique interactionnelle focalise l’approche de la cognition en actes comme étant située dans les contextes sociaux et culturels de l’action sociale, ce qui introduit un argument non plus linéaire et causal mais systémique et réflexif. Nous pouvons conclure ainsi que la cognition est située selon plusieurs sens :

- dans les circonstances de l’organisation locale de l’action ;

- dans le cadre culturel et historique particulier, dans lequel sont planifiées des façons de faire et d’interagir ;

- dans l’environnement et dans les objets que l’activité configure de sorte à distribuer la cognition entre les acteurs sociaux.

La construction du sens s’appuie donc sur une activité distribuée et située. Ce ne sont pas des élèves qui échangent des pensées et des représentations, ce sont des agents (Lesne,1977) qui agissent conjointement en modifiant continuellement l’environnement qui co-détermine leur action (Sensévy, 2007).

Ainsi, l’évaluation des apprentissages s’est dotée d’un appareil théorique majeur avec les apports des sciences cognitives qui amènent à revisiter la fonction « formative ». Il s’agit moins de mesurer, de vérifier que d’analyser des processus pour comprendre les activités du sujet apprenant. Quelles que puissent être les difficultés, évaluer les compétences acquises restera une manière de penser l’éducation. Cela demeurera aussi une manière de se poser des questions sur ce qui est enseigné, sur ce que les élèves apprennent, sur le rôle que jouent dans ces apprentissages les différents acteurs de la situation didactique.

Dans cette deuxième partie nous allons développer les trois expérimentations successives que nous avons menées en France et en Tunisie.

Chapitre 2. 1. Méthodologie

L’enseignement par les compétences (recommandé par les autorités tunisiennes) en vue de l’apprentissage des sports collectifs à l’école reste encore un vaste chantier de recherche. En effet, l’enseignement des jeux et des sports collectifs relève encore bien souvent d’une conception étroitement techniciste (Rezig, 2005). On trouve aussi des transpositions didactiques par trop formelles de séances d’entraînement de club voire de thèmes d’apprentissage utopiques en raison du temps effectif dont on dispose à l’école. Dans la plupart des cas, le temps de jeu reste d’une indigence troublante. Voilà pourquoi ce constat, certes sévère, nous a convaincue de poursuivre notre réflexion sur les jeux sportifs collectifs à l’école.

1. Problématique

Les travaux actuels sur le « débat d’idées » en didactique des sports collectifs posent le problème des relations entre apprentissage moteur et verbalisation. Dans cette recherche, nous envisageons de revenir sur les paradigmes et les concepts utilisés dans le mémoire de Zerai (2006) sur l’apprentissage des filles en handball. Le rôle de la cognition dans l’enseignement des sports collectifs suscite des interrogations et fait débat entre les tenants du tout cognitif et les tenants d’une approche plus écologique. Avec une posture épistémologique, caractéristique d’une recherche technologique (Bouthier & Durey, 1994), il s’agira de montrer que des données chiffrées relevées à l’occasion d’une rencontre fournissent des indications précieuses concernant les rapports de

permettent de documenter la réflexion sur l’action autour d’un débat d’idées.

Par rapport à l’utilisation du modèle cognitiviste du Système de Traitement de l’Information (STI) comme modèle d’analyse objectif, prégnant et exclusif, nous mettrons en avant les modèles alternatifs de l’action située (Suchman, 1987) et de la cognition située et distribuée (Hutchins, 1995). Ces modèles ont été encore peu exploités pour étudier les phénomènes en sport collectif et documenter les modalités de prises de décisions du sujet en jeu. De plus, avec la verbalisation, ils nous paraissent constituer le moyen heuristique le plus adéquat pour appréhender la complexité et l’adaptation des décisions prises en jeu.

Après avoir resitué rapidement les pré-supposés et les enjeux de la cognition située et distribuée, nous reviendrons sur les résultats déjà obtenus (Zerai, 2006) afin de mieux évaluer les conséquences de ce type d’approche sur le débat d’idées.