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C) À la circulation des biens de consommation

C) Ventes à réméré, mises en gage et obligations

On le voit, seigneurs, clercs, propriétaires et individus à forte capacité financière (ou tout cela à la fois) disposent de divers moyens pour s’assurer des revenus constants, accroître leur capital ou simplement affirmer leur domination sur le «commun». Certaines ventes de terres –mais elles peuvent également concerner les cens, sur lesquels nous reviendrons ultérieurement, voire une maison noble203

– s’accompagnent d’une condition particulière: l’acheteur promet de revendre la terre qu’il vient d’acquérir au vendeur, pour la même somme, et dans un délai déterminé. Six actes présentant cette spécificité ont été relevés dans nos minutiers204. Attardons

nous sur le sens réel de ce que nous appelons une vente de terre à réméré. Si le vendeur ne se détache de sa terre que provisoirement, c’est donc qu’il connaît une difficulté financière passagère à laquelle cette première vente lui permettra de faire face, sachant qu’il devra être capable de racheter sa propre terre d’ici le terme convenu. Mais dans un autre cas de figure, ce peut également être le manque de moyens lui permettant d’exploiter cette terre qui l’incite à la convertir en argent, du fait de son inutilité temporaire. Le cas de l’acheteur est plus clair: sa seule contrainte est de disposer de la somme suffisante au départ pour pouvoir l’acquérir, somme qu’il récupérera plus tard, mais qui d’ici là lui permettra de bénéficier des rendements de son travail sur cette terre. Il ne s’agit donc pas d’une simple «location» déguisée, puisqu’il y a bien un transfert de propriété validé par l’acte notarié, et l’intérêt de cette transaction est manifeste pour les deux parties. L’un dispose temporairement de numéraire, l’autre d’une parcelle supplémentaire. D’un point de vue plus large, ce système peut se percevoir comme une manière de contrer certains disfonctionnements survenant au sein de la communauté; en répartissant temporairement des terres que des propriétaires n’ont plus les moyens physiques ou matériels de mettre en valeur vers des individus disposant de la force de travail nécessaire mais manquant de biens fonciers à exploiter. Ce système original paraît être une réponse adaptée à des problèmes récurrents dans un pays où les terres agricoles exploitables constituent moins de 10% du territoire.

203 Dans l’acte 51 (f°22 recto-verso) du registre I3852.

204 Les actes 17 (f°4 verso), 22 (f°6 recto), 31 (f°8 recto), 89 (f°21 recto), 90 (f°21 verso) du registre

Les mises en gage de terres semblent relever d’une même logique. Il s’agit ici de mettre une terre à disposition, le plus souvent pendant une période de 2 à 3 années, en contrepartie de sa valeur en argent monnayé. Passé ce terme, le propriétaire devra rendre cette somme pour recouvrir effectivement son bien. Ces deux mécanismes économiques sont favorables à tout propriétaire terrien connaissant une difficulté passagère. Or, chaque ostau possède des terres, et pourra donc utiliser ce procédé dans certaines circonstances: d’un veuvage ou de la perte d’un membre de la famille peuvent par exemple s’ensuivrent d’extrêmes complications pour toute la maison, ce à quoi une vente à réméré ou une mise en gage de terres205

permettront de faire face,

comme l’illustre cet exemple: «Maryota de Quendessus, de Sère, met en gage une

terre censitaire appelée « lo prat de ortetz», sise à Sère, en faveur de Johan de Camps,

de Sère, et de sa femme Bernardina, et ce pour la somme de 24 florins moins 3 sous. Ladite Maryota reconnaît avoir reçu cette somme et peut s’acquitter des 5 ans de cens qu’elle doit à Mossen de Vieuzac, des 3 florins qu’elle doit pour la dot de sa sœur Maryotina, ainsi que des 5 florins que leur père Bernadolo devait au rector206

. » Précisons qu’un cens peut également faire l’objet d’une vente à réméré ou d’une mise en gage, suivant la même logique: son propriétaire ayant un besoin immédiat de numéraire, il octroie pour une durée déterminée le bénéfice du cens qu’il posséde, en contrepartie de sa valeur en argent. Là encore, on démasquera un prêt à intérêt, déguisé mais non moins réel, qui favorise toute maison détenant suffisamment de ressources financières pour acheter terres ou cens, en bénéficiant temporairement de leur rendement, avant de les revendre.

Trois actes signalent un autre procédé: l’afferme de terres207

(que nous avons déjà abordé en matière de revenus p.60). Ici le propriétaire afferme une ou plusieurs terres pour une durée déterminée (3, 8 et 11 ans dans ces trois exemples), terres dont le fermier jouira de tous les usufruits qu’il retirera de son exploitation. L’unique contrepartie est la réclamation par le propriétaire d’une rente en nature annuelle, généralement en céréales. Ainsi, on peut voir que l’exploitation de deux terres valant 155 florins est concédée pour 3 ans contre une rente de 6 quarterons de froment.

205 Ce qui ne nous semble pas vraiment différer, hormis le transfert théorique de propriété présent dans

la vente à réméré, qui n’apparaît pas dans la mise en gage.

206 Dans l’acte 62 (f°14 verso – f°15 recto) du registre 3E44/2.

207 Dans les actes 58 (f°13 verso – f°14 recto), 84-85 (f°22 recto-verso – f°23 recto), et 196 (f°51 recto)

Enfin, soulignons quelles peuvent être les garanties qui sont accordées à tous les créanciers ou bénéficiaires de ces différentes transactions. Tout d’abord, le passage devant notaire semble déjà constituer une garantie suffisante, vu qu’il rend la «dette» contractée publique et permanente, puisqu’enregistrée. Par conséquent, tout manquement sera connu et éventuellement sanctionné. De plus, le débiteur «oblige» fréquemment une partie de ses biens (le plus souvent une ou des terres, parfois un bœuf), voire tous ses biens selon l’importance de la transaction. Ainsi, à la parole donnée et à son enregistrement devant notaire s’ajoute une obligation, soit un engagement de divers biens qui dédommageraient le créancier en cas de manquement. Qu’en est-il réellement? La réalité est-elle conforme à ces dispositions ou ne sont- elles justement prises que dans le but de prévenir tout manquement? Comme nous le verrons plus loin, certains exemples semblent dénoter une certaine souplesse dans leur application et certaines solutions moins brutales peuvent être envisagées, d’autant que les biens obligés sont généralement d’une plus grande valeur que la dette encourue.

Ressources matérielles et conditions de vie du lavedanais ont été abordées. Au sein d’une atmosphère profondément agro-pastorale, sa vie est rude, car soumises aux contraintes du temps et d’un climat rigoureux. Ses productions n’en suffisent pas moins généralement à couvrir ses besoins et à lui permettre de poursuivre son chemin. Les surplus viennent alimenter un circuit d’échanges qui ne rechigne pas à emprunter les passages difficiles de la haute montagne; le commerce marchand ne connaît pas de frontières, même naturelles. La domination économique du puissant s’accroît, par des procédés divers qui permettent également de soutenir celui qui faiblit. Mais l’homme n’est pas seul, il est une composante de la communauté dans laquelle et par laquelle il vit. Quelle que soit la forme de cette cellule communautaire, elle est inhérente au peuple montagnard que nous tentons d’approcher; c’est pourquoi il convient désormais d’analyser la nature des relations inter-individuelles et le cadre social de cette société, dans son ensemble.

III) LES CADRES SOCIAUX

DES LAVEDANAIS

Dans une société traditionnelle comme celle-ci, les rapports humains se réalisent au sein de structures collectives, telles que la maison ou la communauté, « les deux cellules essentielles assurant la sécurité de l’individu moyennant de sa part une soumission et une abnégation totales208

. » Actions et comportements sociaux ne peuvent se comprendre s’ils ne se réfèrent à ces entités, présentes de temps immémoriaux et nécessaires à la pérennité de la société. Plus qu’un quelconque maillage organisant la vie des lavedanais, ostau et besiau sont les cadres hors desquels l’individu n’a pas sa place parmi ses pairs; ils feront donc l’objet d’une très grande attention, au même titre que ces quelques traits mentaux propres aux hommes de ce lieu et de ce temps que nous avons cru pouvoir déceler, en parcourant nos sources.

I. L’

OSTAU

Il s’agit d’une notion complexe, traduite par le mot «maison» dans son sens le plus strict, mais qui recouvre dans les faits une réalité bien plus grande: il est une entité économique et sociale qui recouvre les bâtiments, les possessions, l’exploitation familiale et la famille elle-même; ce que l’on traduira –toujours imparfaitement et en lui préférant le terme occitan d’ostau– par la «maisonnée».