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C) À la circulation des biens de consommation

B) Une société de confiance ?

Le but recherché n’est pas ici de définir un degré quelconque de confiance qui s’appliquerait à la société lavedanaise dans son ensemble, mais plutôt de déterminer la nature des rapports humains étudiés. Quel est le climat qui prévaut au sein des relations sociales, peut-on y déceler des marqueurs de confiance, de méfiance voire de défiance? Si tel est le cas, ces relations se feront révélatrices de sentiments réels habitant les individus et reflétant peurs, doutes et –ou‒ sérénité.

Mais notre point de vue est biaisé. De par leur fonction, les écrits notariaux masquent la réalité de ces rapports inter-individuels dont on voudrait se faire l’écho: on vient authentifier une action devant notaire afin qu’elle soit légitimement reconnue aux yeux de tous, et garantie278

. L’écrit vient en quelque sorte pallier un manque de confiance en la parole donnée, ce qui fait de l’acte notarié une alternative sûre à l’oralité et ses désavantages. Comme nous l’avons montré, celle-ci reste cependant

278 Dans l’acte 29 (f°13 verso) du registre I3852., « Arnaud de Sopena, viguier de l’Extrême de Salles,

extrêmement présente dans nos sources; écrit et oral se téléscopent, et l’on peut voir des individus prêter un serment que le notaire consigne dans ses feuillets: « [...] promettent et jurent ensemble devant Me

Domenge de Lacrampa qu’ils [...]279

. » On peut également citer frère Arramon de Forcada, de Luz, syndic du couvent de Bagnères, qui «jura sus son abit»; prenant ainsi à témoin sa fidélité envers Dieu. D’une manière générale, la résurgence des pactes, des verbes «promettre» et «jurer» nous fournit une idée assez précise de ce que représente le serment dans les

mentalités: un acte important de la vie quotidienne engageant une personne comme

ses biens dans le respect de sa parole. Si l’écrit et la fonction notariale dévalorisent cet acte en le dépouillant d’une partie de son essence, on pressent ce qu’il a pu être à une époque plus reculée du Moyen Âge, lorsqu’il constituait l’unique forme d’accord possible entre deux individus.

Nous avons déjà abordé ces formes de paiements différés largements usités en Lavedan et que l’on appelle «amigable prest», c’est-à-dire «prêts amiables».

Accorder une créance pour une durée limitée et non-génératrice de revenus ‒ ne

représente pas un obstacle; signe du climat apaisé dans lequel se placent ces transactions. Là encore, l’acte notarié et l’obligation de biens à laquelle procède le débiteur viennent garantir l’opération, et tant que l’ordre subsiste pour faire appliquer lois et coutumes, et au besoin sanctionner le malhonnête, rien ne semble pouvoir troubler la sérénité du créancier: il place sa confiance entre les mains de son débiteur. On peut en conclure que la confiance est de mise tant que les conditions apportant des garanties suffisantes sont réunies: les chartes de quittance confirment la réalité d’un paiement, les chartes de retours promettent la revente d’un bien à son vendeur actuel (ceci dans le cadre de ventes à réméré), les affermes de revenus nécessitent la plupart du temps qu’un individu se porte caution pour le fermier, etc... D’autres exemples peuvent être cités, qui préviennent toute forme d’injustice ou de malhonnêteté pouvant apparaître lors d’une transaction: lors de transferts de bétail, il est de mise de préciser l’âge des bêtes («mens de tretz ans») et le bon état de santé requis. Il en est

de même pour un mariage «per palauras de futur», dans lequel on précisera«que si Maria faisait défaut, l’ostau deu Coch serait tenu de prendre une autre fille du lignage de Steve, qui ne soit pas estropiée280

.» Parfois, l’acte notarié se suffit à lui-même pour

279 Dans l’acte 146 (f°41 recto) du registre 3E44/1. 280 Dans l’acte 92 (f°25 recto-verso) du registre 3E44/1.

garantir une transaction: «Il confie cette somme à Manaut de la Sala, de Préchac, pour effectuer son transport281

.»Enfin, nous voyons ici que les garanties apportées au versement de certaines sommes ne sont pas prises à la légère: «Ledit sieur lieutenant veut prendre possession de toute la maison Thibaud d’Abbadie [de Vieuzac] [...] S’y oppose aussi Margualida, femme de Thibaud, car les 105 florins de sa dot sont garantis sur cette maison282

Sur le plan des relations sociales, nous avons pu relever des tensions se révélant dans un climat confictuel. La répartition des ressources naturelles que sont l’herbe ou l’eau en est souvent la cause, mais pas uniquement. Des litiges familiaux entre mari et femme283

ou entre frères284

peuvent aussi se faire jour; de même que des manifestations de défiance envers des hommes d’Eglise285

:«Selon le mandement qui lui fut fait ainsi qu’à tous membres de son lignage, Arnaud de Fontaa, d’Arcizans [-

Dessus], promet au noble Assibat de Lavedan, lieutenant de M. le sénéchal de Bigorre, de ne porter aucun dommage à Mossen Pey de Trenoos, lui ni aucun autre de son lignage, à partir de demain matin vendredi (lorsqu’il aura parlé à ses fils et autres de son lignage) et jusqu’à dimanche, sous peine d’une amende de 60 marcs d’argent286.» Des rapports de confiance entre deux individus sont également

perceptibles. À travers les termes de «companhoo287»

‒attribué à Bernat et Menyolo de La Pena, associés dans au moins cinq actes – et de «mantor288», on pressent

l’existence de liens intimes entre ces personnes, même s’ils ne sont pas horizontaux dans ce dernier cas: Johan de Carassus, bien que «senher deudit hostau», agit «ab voluntat» de son oncle et mentor, bien qu’il ne soit aucunement précisé qu’il soit

mineur («mendre de etat de XVI antz289

»). Pour finir, évoquons la fréquence du

nombre de procurations. Elle démontre qu’il est commun de se faire représenter pour conclure des affaires censées mettre en cause des intérêts personnels. Cela implique d’une part que ces affaires intéressent également la communauté ou les besis, ce que nous avons déjà expliqué, et d’autre part que la confiance soit de mise entre les

281 Dans l’acte 200 (f°52 recto) du registre 3E44/1. 282 Dans l’acte 64 (f°33 recto-verso) du registre I3852. 283 Dans l’acte 71 (f°17 recto-verso) du registre 3E44/1. 284 Dans l’acte 74 (f°35 verso) du registre I3852.

285 Dans les actes 146 (f°41 recto) du registre 3E44/1 ; 72 (f°35 verso) et 78 (f°37 recto-verso) du

registre I3852.

286 Dans l’acte 72 (f°35 verso) du registre I3852. 287 Dans l’acte 129 (f°36 recto) du registre 3E44/1.

288 Dans les actes 148 et 149 (f°41 verso) du registre 3E44/1. 289 Dans l’acte 84 (f°19 verso – f°20 recto) du registre 3E44/2.

individus.

Le droit d’aînesse intégrale fait des premiers-nés les héritiers de l’ostau, et donc les maîtres de maison. Les femmes, lorsqu’elles sont aînées, peuvent donc occuper une place tout à fait enviable au sein de la société. De fait, celle-ci ne peut être considérée comme étant purement patriarcale et la présence de nombreuses femmes dans nos sources confirment ce fait– mais il convient de distinguer plusieurs situations. Lorsqu’une épouse est associée à son mari dans une affaire concernant l’ostau, elle agit fréquemment « de licence de son marit», c’est-à-dire avec son

consentement. Elle lui est donc soumise et ne peut agir en toute indépendance. Un rapport de domination existe donc, mais pas toujours: elle peut agir par elle-même, seule ou avec son héritier dans de nombreux cas; de même qu’il est possible qu’un époux dispose du patrimoine familiale en tant que procureur de sa femme, celle-ci détenant par conséquent la légitimité de ces biens290

. Selon le fait qu’elle soit l’héritière de l’ostau ou que ce soit son mari, le position de la femme sera plus ou moins importante dans la gestion de cet ostau. La véritable ligne de fracture entre les individus ne se situe donc pas entre les deux sexes mais bien entre aînés et cadets, conformément à la coutume du pays. Le regard porté sur la femme n’est pas celui d’un dominant sur un dominé. Des femmes peuvent en effet faire enregistrer des actes devant notaire de la même manière que des hommes et ce de façon quasi-autonome, en fonction de leur situation. Ainsi, celles qui se retrouvent chef de famille par la force des choses, en cas de veuvage, ne sont pas moins légitimes qu’un homme dans cette position et leur participation à la besiau ‒ l’assemblée des chefs d’ostau de la communauté ‒ est attestée. Dans une société où la famille prime sur toute autre considération, il paraît logique que la femme ne soit pas brutalement déconsidérée étant donné la place centrale qu’elle y occupe. Les stratégies matrimoniales lui sont finalement appliquées de la même façon que pour les hommes en fonction de sa place dans la fratrie. La Révolution, le code civil et d’autres produits de l’époque contemporaine sauront mettre à mal cette antique coutume en bouleversant les cadres sociaux des lavedanais.