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C) Exemples de pratiques notariales en vallée bigourdane

I. U NE SOCIÉTÉ AGRO PASTORALE

A) Ressources

Le milieu montagnard porte en lui certaines caractéristiques bien spécifiques. Ainsi, particulièrement riche en termes de ressources naturelles, il est également porteur de contraintes pour l’homme, qu’elles soient dues au relief ou à la précarité des conditions climatiques. De l’adaptation des hommes à ce contexte géologique si particulier découle naturellement des sociétés originales, toutes ressemblantes de par leur caractère profondément agro-pastoral.

La montagne, c’est avant tout des espaces. Si ceux-ci sont extrêmement étendus, le relief fait qu’il ne se prêtent guère à l’agriculture; elle doit donc se cantonner aux terres les plus accessibles: fonds de vallées, rares plaines et autres versants relativement peu pentus lui sont généralement consacrés. Ces espaces existent mais ils accueillent également le patrimoine bâti de la population locale, les villages ne s’élèvant pas au-delà de 1000 mètres d’altitude68

. Les diverses possibilités

68 Voir la carte p. 7 publiée dans M. BERTHE, Le comté de Bigorre, un milieu rural au bas Moyen Âge,

de cultures sont donc considérablement restreintes vis-à-vis de celles que l’on peut voir se développer dans le piémont ou la plaine voisine. C’est en ce sens que l’élevage constitue une nécessité cruciale pour les montagnards, puisqu’il leur permet d’assurer leur subsistance en utilisant les vastes pâturages offerts par le milieu.

Au sein de ces territoires et espaces herbeux se nichent bien d’autres richesses exploitables par l’homme, à commencer par l’eau. Omniprésente en Lavedan, sous forme de sources, cascades, torrents ou gaves, elle conditionne toutes les activités humaines, et les grands nombres de litiges concernant son utilisation – que ce soit pour irriguer des terres ou alimenter un moulin‒ de même que les onze actes relevés mentionnant un moulin témoignent ensemble de l’importance de l’eau dans l’économie lavedanaise69

. Indispensable aux hommes, aux bêtes, à l’agriculture, à la mouture, à l’artisanat et au transport, sans parler de son potentiel en matière de pêche: les lavedanais sont riches. Le bois, la pierre et et les ressources minières représentent d’autres exemples de matières premières qui leur sont directement accessibles et dont l’importance n’est pas à démontrer en termes de matériaux de construction, de sources d’énergie, de glanage ou autres activités. Leur exploitation n’est cependant mentionnée que brièvement et indirectement par nos sources qui signalent uniquement trois réparations –celle du mur arrière d’une grange70, celle de la roue et de la meule

d’un moulin71et celle de «la ferra» (du fer) d’un autre moulin72

‒; citent «un pêne et une clé73», ainsi que la présence de deux forgerons : l’un de Lourdes74, l’autre des

Angles75

.

Après le minéral et le végétal, venons-en à l’animal. Voici ce qu’écrit Pierre Luc en 1943, parlant du Béarn voisin:

«L’élevage du bétail était, en Béarn, l’une des principales formes de l’activité économique : des prairies bien irriguées, de nombreux

69 Les actes 30 (f°7 verso), 43 (f°10 recto-verso) et 67 (f°15 verso) du registre 3E44/2 ; 22 (f°4 recto-

verso), 53 (f°12 verso), 123 (f°34 verso), 124 (f°35 recto), 136 (f°38 recto-verso) et 157 (f°43 verso) du registre 3E44/1 ; 35 (f°16 recto-verso) et 49 (f°21 recto-verso) du registre I3852.

70 Dans l’acte 51 (f°12 recto-verso) du registre 3E44/2. 71 Dans l’acte 124 (f°35 verso) du registre 3E44/1. 72 Dans l’acte 136 (f°38 recto-verso) du registre 3E44/1. 73 Dans l’acte 21 (f°5 verso) du registre 3E44/2. 74 Dans l’acte 11 (f°5 verso) du registre I3852. 75 Dans l’acte 66 (f°34 recto) du registre I3852.

terrains incultes (herms) ou boisés dans les zones de plaine et de coteaux de riches pacages étagés, dans la montagne, aux diverses altitudes, offraient aux troupeaux de toute sorte une abondante nourriture. L’étroite association de la plaine et de la montagne se manifestait par la transhumance.76

»

Nous laisserons de côté les animaux sauvages qui ne sont guère cités dans les sources notariales pour nous intéresser au animaux domestiqués. Chevaux et juments apparaissent à six reprises dans les actes dépouillés77

: roussins, chevaux « aubielh » (isabelle) ou chevaux à poil bai, ils appartiennent à des nobles dans trois actes, et à un moine de Saint Orens dans un autre. La possesion d’un cheval nécessite visiblement une richesse conséquente. Pagezia d’Anclades, de Pierrefitte, s’endette ainsi à auteur de 29 écus (de 18 sous chacun) auprès de besis lavedanais pour acquérir un cheval à poil bai78

. L’élevage de bovins semble prédominant en Lavedan comme l’attestent les innombrables achats de bœufs, contrats de gasaille ou actes relatifs au pacage des bovins présents dans les minutiers. De plus, il est plus qu’habituel de régler ses dettes en «or, argent o bestiaa boy». Des caprins sont mentionnés dans un contrat de

gasaille79, de même que des ovins : brebis et agneaux le sont à trois reprises80, attestant

finalement de la diversité de l’activité pastorale. Le détail des redevances réclamées aux tenanciers nous renseignent également sur la forte présence d’un élevage d’un autre type, qui est à vocation vivrière: celui des volailles. Une douzaine d’actes relatifs à un cens incluent une à deux poules dans le montant réclamé annuellement, ce qui nous permet d’affirmer que cet élevage est très répandu parmi la population. Enfin, l’acte 73 (f°17 recto) du registre 3E44/2 décrit un litige opposantBernadolo de Begaria, de Vidalos, à Bernard d’Abadia et à sa femme Condoo : ceux-ci auraient en effet «penherat» (saisi) un porc lui appartenant.

Ce que produisent les lavedanais grâce à leur bétail, nous tenterons de le déterminer plus avant dans notre travail; mais toujours est-il qu’ils disposent d’un

76 Dans P. LUC, Vie rurale et pratique juridique en Béarn (XIVè-XVè siècles), Toulouse, Boisseau,

1943, p. 163.

77 Dans les actes 24 (f°6 verso) et 44 (f°10 verso) du registre 3E44/2 ; 16 (f°3 verso) et 170 (f°46 verso)

du registre 3E44/1 ; 41 (f°18 verso) et 47 (f°19 verso) du registre I3852.

78 Dans l’acte 41 (f°18 verso) du registre I3852. 79 Dans l’acte 85 (f°20 recto) du registre 3E44/2.

80 Dans les actes 68 (f°16 recto) et 197 (f°51 verso) du registre 3E44/1 ; 43 (f°19 recto) du registre

large panel de richesses accordé par leur environnement naturel. Encore faut-il suffisamment d’hommes pour les exploiter, ce qui ne semble pas faire défaut dans ce pays. En effet, l’étude démographique de la Bigorre aux XIVè

et XVè

siècle réalisée par Maurice Berthe81

fait certes état d’un déclin de la population observé au XIVè

et jusqu’au début du XVè

siècle; mais celui-ci est grandement relativisé en Lavedan par la survivance de tous les villages et hameaux préexistants à cette période troublée82

. De plus, «les chiffres fournis par le censier de 1429, même s’ils ne constituent qu’un ordre de grandeur, prolongent dans tous les secteurs de montagne l’impression d’un peuplement qui était, au début du XIVè

siècle, plus dense qu’aujourd’hui [en 1962]» y écrit-il83

. L’état actuel de nos recherches ne nous permet pas encore de compléter par l’ajout de données provenant d’un large corpus d’actes notariés ‒ cette analyse démographique réalisée il y a déjà plus de 50 ans à partir de recensements officiels.

«Parler d’un déterminisme géographique serait peut-être excessif, mais il est indéniable que la topographie comme les possibilités végétales ont favorisé, dans ce climat montagneux, l’implantation d’un habitat et d’un peuplement stable. Un équilibre durable s’est ainsi établi entre la nature et les hommes84