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3.2.4.1.2.2 V ARIATION DE LA REPONSE DES ESSENCES LE LONG DES GRADIENTS CLIMATIQUES

3.2.4.3 VARIATION SPATIALE DU DETERMINISME CLIMATIQUE DE LA CROISSANCE RADIALE DES ESSENCES TEMPEREES

3.2.4.3.1 R

ISQUE DE CONFUSION ENTRE LA VARIATION DE L

INTENSITE DE REPONSE DES ARBRES ET LA VARIATION DE LA CONTRAINTE CLIMATIQUE

Avant toute interprétation autécologique, l’analyse qualitative et quantitative des années caractéristiques sur de vastes échelles spatiales révèle une forte variation des évènements de croissance extrêmes, en lien avec des phénomènes climatiques localisés (Drobyshev et al., 2008 ; Kelly et al., 1989 ; Neuwirth et al., 2007). Par exemple, le froid intense de février 1956 observé dans la moitié nord de la France et dans le Massif des Vosges a été très limité dans les Alpes du Sud, avec une température minimale 3 à 5 °C inférieure aux normales 1961-1990, contre 6 à 12 °C ailleurs. De même, en 1976, la sécheresse a été nettement moins intense dans les Alpes, avec par exemple, des précipitations de juin 12 % plus faibles que la normale, contre 91 à 93 % dans le nord de la France. De telles différences ont également été observées en plaine pour Q. petraea. En effet, bien que certaines PY aient été communes à toute la zone (e.g. 1921, 1946, 1956, 1958, 1976), la plupart d’entre-elles étaient caractéristiques de la partie ouest ou est (articles [2] et [3]). Cette différence de comportement de croissance le long du gradient de continentalité avait déjà été mis en évidence dans des études dendroarchéologiques (Girardclos et al., 1996 ; Lambert, 1996) qui

distinguaient clairement deux ensembles de chronologies régionales de Quercus sp., avec une limite longitudinale vers le Massif du Morvan.

Cette hétérogénéité spatiale des extrêmes climatiques et de ses conséquences sur la croissance conduit à la confusion de deux effets : (i) la variation de l’intensité de la réponse des arbres à une contrainte donnée en lien avec une capacité propre des populations à supporter ce stress (variabilité génotypique), et (ii) la variation de la contrainte en elle-même liée à des différences de climat (Drobyshev et al., 2008). En d’autres termes, une variation d’ERM entre deux populations est certainement liée à la fois à une variation effective de la réponse à un même stress entre les populations et à une variation de l’intensité de ce stress. Par exemple, la réponse plus faible des chronologies des Alpes du Sud au froid de 1956 et à la sécheresse de 1976 n’est pas révélatrice d’une meilleure résistance de ces populations aux extrêmes climatiques, mais à la moindre intensité de ces derniers. Ainsi, l’approche des années caractéristiques analyse la réponse des arbres d’une population à un évènement climatique ponctuel dans le temps et parfois dans l’espace. Cette confusion de facteurs est inhérent à l’approche dendroécologique et se rencontre également dans l’interprétation des fonctions de réponse ou de corrélation (cf. chapitre 1,

Figure 1.3). L’analyse de l’évolution de la sensibilité des essences au climat le long de gradients

climatiques doit être faite en gardant à l’esprit que les différences observées sont le résultat des effets combinés des variations climatiques et génétiques.

3.2.4.3.2 R

APPEL DES PRINCIPAUX PROCESSUS PHYSIOLOGIQUES DE LA MISE EN PLACE DU CERNE

Les nombreux travaux menés durant les dernières années notamment dans le domaine de l’écophysiologie ont permis d’apporter des éléments d’information quant aux processus physiologiques liés aux facteurs climatiques dont dépend la xylogénèse. Ainsi, la mise en place du cerne et la croissance des cellules cambiales vont dépendre non seulement des facteurs climatiques agissant au cours de la saison de végétation (action directe lors des phases printanière et estivale, et en partie automnale) mais également de processus se déroulant hors de la période photosynthétiquement active (action indirecte pendant la phase hivernale). La chronologie de ces évènements détermine donc la période d’activité physiologique qui joue directement sur la quantité des assimilats disponibles dont dépend le taux de croissance (Deslauriers et al., 2009 ; Rathgeber et al., 2011b). Même si la sensibilité des espèces à ces périodes et aux facteurs climatiques les caractérisant varie, il est possible d’établir un modèle général des réponses (Figure 3.2.9).

Pendant la phase automnale, les conditions climatiques peuvent moduler tout d’abord la longueur de la saison de la végétation (Delpierre et al., 2009a ; Lebourgeois et al., 2010a ; Vitasse et al., 2009b). Ainsi, une absence de sécheresse et/ou de conditions thermiques favorables (températures clémentes en octobre ou novembre, absence de gelées précoces) peut fortement rallonger la saison de végétation. Par exemple, sur Q. robur, Q. petraea et F. sylvatica, les travaux de Lebourgeois et al. (2008) ont montré qu’une augmentation de 1 °C en octobre se traduisait par un jaunissement retardé de 2 à 4 jours. A court terme, ces bonnes conditions automnales favorisent le stockage de molécules carbonées, qui seront remobilisées lors démarrage de la croissance l’année suivante (Barbaroux et Bréda, 2002 ; Genet et al., 2010). A plus long terme, des

questions se posent néanmoins. En effet, les travaux de Piao et al.(2009 ; 2008) suggèrent que des modifications trop importantes pendant cette phase automnale pourraient davantage stimuler les processus respiratoires par rapport aux processus photosynthétiques. Cela se traduirait à terme par un effet négatif sur la croissance et la production de biomasse en lien avec une consommation de carbone supérieure à l’assimilation. De bonnes conditions pendant cette période peuvent également stimuler le renouvellement des racines fines ; racines qui jouent un rôle central dans l’alimentation hydrique et minéral (Riedacker, 1976).

Figure 3.2.9 : Schéma de synthèse par saison des principaux processus écophysiologiques et de leur déterminisme climatique en lien avec la xylogénèse en contexte tempéré non hydromorphe. Mise en dormance Dormance Levée de dormance Plante en activité Ratio photosynthèse / respiration Mise en réserves de molécules carbonées Embolie / cavitation Photosynthèse hivernale Débourement - mise en place des feuilles Reprise de l'activité cambiale - production de

cellules

Elongation des cellules

Lignification des cellules

C h a le u rs p ri n ta n re s / e sti v a le s Activité photosyn- thétique Importance des températures F ro id s h iv e rn a u x F ro id s/ ch a le u rs a u to m n a le s F o rts a p p o rts p ri n ta n ie rs / e sti v a a u x Importance des précipitations Activité végétale Physiologie de l'arbre Automne Hiver Printemps Eté Saisons

Pendant la phase hivernale, des températures clémentes et l’absence de très fortes gelées diminuent la cavitation et l’embolie cellulaire ce qui permet le maintien de l’intégrité du système conducteur (Cochard et al., 1992 ; Cochard et al., 2001 ; Lemoine et al., 2002 ; Maherali et al., 2004). Dans des conditions xériques, la sécheresse hivernale peut également conduire à un dysfonctionnement hydraulique du xylème (Eilmann et al., 2009 ; Eilmann et al., 2011). Pour les résineux, de telles conditions peuvent également se traduire par des activités photosynthétiques et donc par la production de photosynthétats utilisables pour les processus de croissance (Guehl, 1985). En revanche, des températures trop élevées peuvent perturber le développement aérien pendant la phase printanière en modifiant le ratio « besoin en froid / besoin en chaud » en période de dormance (Chuine, 2000 ; Chuine et al., 2010 ; Morin et al., 2010). En effet, les processus de développement foliaire au cours de la saison de végétation ne peuvent se faire d’une façon satisfaisante que si les équilibres « thermiques » pendant la phase de repos sont respectés ; une absence de froid pouvant se traduire, à long terme, par des retards de mise en place des feuilles et donc par un raccourcissement de la période active (Morin et al., 2010). Enfin, les conditions hivernales peuvent également moduler la sensibilité des cellules aux hormones telles que l’auxine qui joue en rôle essentiel dans la reprise de l’activité cambiale, la durée des phases du développement cellulaires, et au final la taille et le nombre des vaisseaux conducteurs (Aloni et Zimmermann, 1983 ; Fonti et al., 2007 ; Sundberg et al., 2000).

La phase printanière est une saison clef dans la mise en place de l’appareillage

photosynthétique et circulatoire qui va servir au cours de la saison, car elle correspond à la période durant laquelle la production de cellules (Cuny et al., 2012 ; Deslauriers et al., 2008 ; Rathgeber et al., 2011b ; Rossi et al., 2008b) et de feuilles est maximale (Chuine et al., 2010 ; Lebourgeois et al., 2010a ; Vitasse et al., 2011). Pendant cette phase, des températures trop faibles (Rossi et al., 2007 ; Rossi et al., 2008b), des sécheresses, voire une photopériode réduite (Korner et Basler, 2010a, 2010b) vont généralement avoir une action négative sur la feuillaison et la mise en place du cerne. Par exemple, concernant la feuillaison, une diminution de 1 °C de la température en mars en contexte tempérée français retarde la mise en place des feuilles de 2 à 5 jours selon les essences considérées (Lebourgeois et al., 2008 ; Lebourgeois et al., 2010a). Concernant la croissance, le développement assez récent des travaux sur la xylogénèse à l’échelle intra-annuelle a permis de montrer que, pour la grande majorité des espèces forestières, les taux d’élongation de la pousse aérienne annuelle ou de production cellulaire cambiale atteignent leur maximum au début du printemps (Cuny et al., 2012 ; Deslauriers et al., 2008 ; Rathgeber et al., 2011a). Les travaux récents de Cuny et al. (2012) ont montré par exemple que l’activité cambiale d’A. alba, P. abies et

P. sylvestris en contexte montagnard moyen commençait fin avril – début mai, avec un taux de

production cellulaire et une élongation maximale en juin et une maturation (épaississement) en août – septembre.

Pendant la phase estivale, la sécheresse (association des températures élevées et de pluies faibles) joue un rôle clef sur le fonctionnement cellulaire. Ces stress hydriques estivaux se traduisent par une baisse de la turgescence cellulaire (Aranda et al., 2005 ; Leuschner et al., 2001 ; Thomas et Gausling, 2000) et une hausse de l’embolie du xylème (Cochard et al., 1992 ; Cruiziat et al., 2002 ; Köcher et al., 2009 ; Rice et al., 2004). Ceci va stopper la production cellulaire et/ou perturber les processus de maturation (Cuny et al., 2012), et au final diminuer fortement la

croissance (Bréda et Badeau, 2008 ; Bréda et al., 2006 ; Granier et al., 2007). Des températures trop élevées peuvent également agir directement et négativement sur le taux de photosynthèse à travers le dépassement des seuils physiologiques de réponse des arbres (Medlyn et al., 2002). Cette dernière étude a notamment mis en évidence que l’optimum de photosynthèse se rencontrait entre 20 et 30 °C pour la plupart des essences.

3.2.4.3.3 S

YNTHESE DES RESULTATS

La synthèse de nos résultats montre que la sensibilité des essences au climat dépend d’abord des différences fonctionnelles entre les essences. Ces variations interspécifiques s’expriment principalement en dehors de la saison de végétation, de l’automne au début du printemps. Les analyses en composantes principales sur les années caractéristiques et les fonctions de corrélation ont permis de discriminer nettement les feuillus des résineux, bien que la réponse générale de P. abies soit faible. La croissance radiale des résineux (A. alba et Pinus sp.) est stimulée par les températures automnales et hivernales (novembre, février à avril), alors que celle des feuillus (Q. petraea et F. sylvatica) dépend plus fortement des conditions thermiques du début de l’automne (septembre et octobre). Si les processus physiologiques évoqués précédemment peuvent expliquer ces différences interspécifiques, rappelons ici que la gamme de conditions climatiques couvertes varie entre les essences, les résineux étant notamment échantillonnés dans des contextes plus frais et humides (Figure 3.2.2). Malgré ces différences d’échantillonnage, le signe et l’intensité de la réponse sont stables le long des gradients climatiques quelle que soit l’espèce (Figure 3.2.6).

Durant la saison de végétation (avril à septembre), les essences montrent une réponse homogène aux conditions climatiques, avec une croissance radiale limitée par le stress hydrique estival, i.e. des températures élevées et des précipitations faibles, ce qui corrobore les précédents travaux menés en Europe (Becker, 1989 ; Becker et al., 1994 ; Desplanque et al., 1999 ; Drobyshev et al., 2008 ; Friedrichs et al., 2009a ; Friedrichs et al., 2009b ; Kelly et al., 2002 ; Kelly et al., 1989 ; Lebourgeois et al., 2005 ; Lebourgeois et al., 2010b ; Neuwirth et al., 2007 ; Rolland et al., 2000 ; Scharnweber et al., 2011 ; Tessier et al., 1994). Cependant, dans les contextes les plus humides et frais, A. alba, F. sylvatica et P. abies présentent des corrélations (i) négatives avec les précipitations de mai, juillet et août, et (ii) positives avec les températures de juillet. L’inversion de signe des BCC avec les régresseurs climatiques de fin de printemps et d’été est fréquemment observée à travers l’Europe le long du gradient altitudinal (Dittmar et Elling, 1999 ; Dittmar et al., 2003 ; Mäkinen et al., 2003 ; Toromani et al., 2011). Ces travaux mettent en évidence une levée de contrainte hydrique et thermique estivale avec la montée en altitude ; en revanche, les auteurs n’expliquent pas clairement l’apparition d’une limitation de la croissance liée à des apports trop importants d’eau. Dittmar et Elling (1999) discutent du rôle positif du rayonnement direct sur la croissance radiale de F. sylvatica à haute altitude, ce qui pourrait expliquer l’effet négatif des précipitations estivales souvent associées à de fortes couvertures nuageuses et à une diminution de l’activité photosynthétique. Ainsi, durant la saison de végétation, les traits fonctionnels s’expriment au travers du niveau de la réponse dans un contexte climatique donné, mais ne modulent pas le sens et l’intensité de la variation de la réponse des essences le long des gradients climatiques (Figure 3.2.7).

L’effet des conditions écologiques locales s’exprime principalement au travers de la réponse aux évènements climatiques extrêmes, notamment pour A. alba en contexte méditerranéen montagnard (Figure 3.2.3), avec une sensibilité d’autant plus forte que la xéricité locale est forte. De tels résultats sont essentiels à considérer dans le cadre du réchauffement climatique, notamment avec l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des sécheresses et chaleurs estivales (Déqué, 2007 ; Planton et al., 2008).