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1.3.1 L

ES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA DENDROECOLOGIE

La dendroécologie analyse les relations cerne-climat et leurs modulations par les conditions écologiques locales (signaux de la catégorie C). Pour pouvoir accorder une valeur générale aux résultats obtenus, cette discipline se fonde sur deux principes majeurs : le principe d’uniformité et le principe du facteur limitant (Fritts, 1976).

Le principe d’uniformité [inspiré de Fritts (1976), chapitre 1.IV.A] : celui-ci stipule que les processus physiques et biologiques qui relient aujourd’hui les variations environnementales aux variations de croissance de l’arbre sont les mêmes que dans le

passé. Cela n’implique pas que le climat soit stable dans le temps ou dans l’espace, mais

seulement que les différents facteurs limitants affectent les différents processus

biologiques de la même manière en tout point de l’espace et du temps (Figure 1.4).

Seules la localisation, la fréquence et l’intensité de ces facteurs limitants peuvent changer. Par conséquent, les relations cerne-climat établies dans un contexte climatique donné peuvent être extrapolées aux zones géographiques ou aux périodes présentant des caractéristiques climatiques proches (niveau moyen des facteurs, variabilité inter- annuelle). Sous l’hypothèse d’une largeur de cerne limitée par un facteur unique, la relation cerne-facteur est fixée et le déplacement dans l’espace et dans le temps se traduit par un déplacement sur la courbe de réponse en fonction de la variation du facteur (Figure 1.4). Cependant, en milieu naturel, les facteurs influant la croissance sont multiples, ce qui conduit au principe du facteur limitant.

Le principe du facteur limitant [inspiré de Fritts (1976), chapitre 1.IV.B] : celui-ci stipule qu’un processus biologique, comme la croissance, ne peut pas s’opérer plus rapidement que ne l’autorise le facteur physique le plus limitant. Les mêmes facteurs peuvent être limitants quelle que soit l’année considérée, mais l’intensité et la durée de leur effet limitant peuvent fortement varier d’une année à l’autre. Si l’un de ces facteurs change dans l’espace ou dans le temps, la croissance de la plante augmentera jusqu’à ce qu’un autre facteur devienne limitant. L’exemple classique d’une substitution de contrainte climatique est le gradient latitudinal ou altitudinal (Figure 1.5) (Boisvenue et Running, 2006). En contexte boréal (i.e. froid et humide), la largeur de cerne est généralement thermo-dépendante, c’est-à-dire que les faibles températures limitent la croissance radiale ; en contexte méditerranéen (i.e. chaud et sec), la croissance est souvent pluvio- dépendante bien qu’un effet négatif des températures soit fréquemment observé, les facteurs hydriques et thermiques n’étant pas indépendants ; enfin, en contexte tempéré, la largeur de cerne dépend à la fois, mais plus faiblement, des températures et des précipitations. Rappelons ici que la sensibilité aux facteurs climatiques peut être modulée par les conditions locales, l’importance de ces conditions étant généralement d’autant plus fortes que le climat est limitant.

Figure 1.4 : Variation de la largeur de cerne (trait noir) et de la corrélation cerne-climat (trait gris) le long d'un gradient de température. La corrélation cerne-climat est définie comme la dérivée première de la largeur de cerne (LC), puisqu'elle quantifie la variation de la LC par unité de température. Cette figure illustre également l'effet d'un réchauffement sur la modification de la LC et de la corrélation cerne-climat. Co rr é la ti o n c e rn e -c lim at La rg e u r d e c e rn e ( m m ) Température (oC) Largeur de cerne Corrélation cerne-climat Augmentation de la température (spatiale : baisse d'altitude) (temporelle : réchauffement climatique)

Levée de contrainte thermique P o si ti ve N é ga ti ve

Gamme thermique optimale

Limitation par le froid Limitation par la chaleur

Figure 1.5 : Substitution de contraintes climatiques sur la croissance radiale le long d'un double gradient de baisse des températures et de hausse des précipitations (gradient latitudinal ou altitudinal). C o rr él at io n c er ne -f ac te u r Température Précipitation Climat total

Altitude, latitude, période ancienne

Température Précipitation

Croissance thermo-dépendante Croissance pluvio-dépendante Contexte boréal Contexte tempéré Contexte méditerranéen

P o si ti ve N é g.

1.3.2

V

ARIATIONS CLIMATIQUES ET VARIATIONS DE LA REPONSE AU CLIMAT

Les variations climatiques peuvent être spatiales et temporelles. Jusqu’au milieu des années 1990, seul l’effet de la variabilité spatiale était étudié au travers de la comparaison des relations cerne-climat établies pour des peuplements échantillonnés le long d’un ou plusieurs gradients climatiques (Gutiérrez, 1988 ; Pilcher et Gray, 1982 ; Tessier et al., 1994). La problématique de la non-stationnarité temporelle de la réponse a été abordée au milieu des années 1980 (Visser, 1986). Afin d’analyser d’éventuelles instabilités temporelles de sensibilité en lien avec les changements globaux, Biondi (1997) propose le calcul de fonctions de réponse (ou de corrélation) sur des périodes successives. L’idée générale est d’obtenir un jeu de coefficients de corrélation cerne- climat pour chacune de ces périodes, de les comparer et de relier les instabilités aux variations environnementales. Cette méthode est depuis largement utilisée pour quantifier les variations temporelles de la réponse au climat (Büntgen et al., 2008 ; D'Arrigo et al., 2008 ; Driscoll et al., 2005 ; Fang et al., 2010 ; Wilson et al., 2007 ; Wilson et Elling, 2004 ; Zhang et Wilmking, 2010). Les instabilités temporelles ont surpris par leur magnitude. La review de D’arrigo et al. (2008) rassemble plusieurs cas d’inversions de corrélations cerne-climat au cours du 20ème siècle, notamment avec les températures. En effet, même si certaines observations sont contradictoires, la plupart des études menées en contextes boréal et montagnard révèlent une baisse de sensibilité de la croissance, ce résultat étant interprété comme une levée de contrainte thermique induite par le réchauffement climatique. En contexte pluvio-limitant (e.g. méditerranéen), les études montrent généralement une hausse de la sensibilité à la sécheresse ou à la chaleur estivale au cours du siècle dernier ; la hausse des températures ayant conduit à un renforcement des contraintes hydrique et thermique estivales (Andreu et al., 2007 ; Dolezal et al., 2010 ; Macias et al., 2006).

Ces instabilités, regroupées aujourd’hui sous le terme de « divergence », impliquent que la sensibilité au climat estimée par les approches dendrochronologiques dépend fortement de la période considérée. L’hypothèse la plus fréquemment rencontrée est celle d’une modification temporelle de la hiérarchie des facteurs limitants la croissance (levée, renforcement ou substitution de contrainte), cette modification pouvant être conceptualisée par un déplacement sur la courbe de réponse d’une essence à chaque facteur climatique suite à la modification du climat (Figure 1.4) (Driscoll et al., 2005 ; Wilmking et Myers-Smith, 2008 ; Wilson et Elling, 2004 ; Zhang et al., 2009). D’autres études interprètent ce phénomène de divergence comme un écart au principe d’uniformité exposé par Fritts (1976), i.e. que les différents facteurs limitants n’affecteraient pas les différents processus biologiques de la même manière dans le temps (Carrer et al., 2010 ; Carrer et Urbinati, 2006 ; D'Arrigo et al., 2008). Cette hypothèse impliquerait que les changements climatiques seraient à l’origine de modifications de la physiologie des espèces. Quelle qu’en soit l’explication, le phénomène de divergence pourrait remettre en question le caractère universel des résultats obtenus, et ainsi partiellement invalider les reconstructions climatiques multi-centenaires établies à partir de chronologies maîtresses (Daux et al., 2011 ; Gunnarson et al., 2011 ; Loehle, 2009 ; Shi et al., 2010), les prévisions de croissance des forêts (Keenan et al., 2011) et de séquestration de carbone (Davi et al., 2006 ; Delpierre et al., 2009b ; Peng et al., 2009).