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En revanche, les résultats surprenants obtenus lors de l’analyse de la variabilité temporelle de la sensibilité questionnent sur la capacité de l’approche dendroécologique à

comprendre les causes environnementales et physiologiques de telles insatiabilités en contexte tempéré. La forte cohérence intra-spécifique des tendances le long des gradients écologiques et leur faible synchronisme avec les variations climatiques pourraient laisser penser que l’instabilité des relations cerne-climat dépendrait de facteurs autres que climatiques, rendant ainsi délicate voire risquée l’interprétation des tendances à long terme des coefficients de corrélation Bootstrap.

3.2.6 I

NSTABILITE SPATIALE VERSUS INSTABILITE TEMPORELLE

:

PEUT

-

ON INTERPRETER LES TENDANCES DE SENSIBILITE A LONG TERME

?

Le calcul de la valeur moyenne MV de chaque paramètre climatique sur 1914-1993 (approche spatiale) et pour chaque période des fonctions de corrélation mobiles (approche temporelle) a permis de faire correspondre une variation de BCC à une variation du climat aussi bien dans l’espace que dans le temps. La Figure 3.2.11 illustre ces correspondances et leur comparaison spatio-temporelle pour quatre chronologies d'A. alba du Massif des Vosges. Ces chronologies présentent des contextes hydriques proches mais des températures annuelles moyennes contrastées. La variabilité spatiale des conditions thermiques (∆MVspatial) couvre une gamme de 5,4 °C (11,4 à 16,8 °C) alors que les BCC varient entre -0,19 et -0.24 (∆BCCspatial = 0,05). Le rapport ∆BCC/∆MV vaut alors 0,01, c’est-à-dire le la variation de 1 °C dans l’espace correspond à une variation moyenne de 0,01 point du coefficient de corrélation Bootstrap. En adoptant la même approche pour les variations temporelles (∆MVtemporel et ∆BCCtemporel), le rapport ∆BCC/∆MV varie entre 0,72 et 0,92 selon la chronologie considérée, avec une valeur moyenne de 0,85. Ainsi, une variation de 1 °C dans le temps conduit à une variation de 0,85 points des corrélations. Dans cet exemple, une variation donnée de la température aurait un poids 72 à 92 fois supérieur dans le temps que dans l’espace sur la variation des BCC. L’extension de ces analyses aux autres essences, régresseurs climatiques et zones géographiques révèle que ce poids varie de 25 à 270, avec des valeurs plus faibles pour les précipitations que pour les températures (valeurs moyennes respectives de 53 et 82).

-0.4 -0.3 -0.2 -0.1 0 10 12 14 16 18 BC C Température de juin (MV ; oC) Abies alba B C Cte m p o re l B C Cs p a ti a l ∆MVtemporel ∆MVspatial

Figure 3.2.11 : Illustration des différences de variations spatiales et temporelles des BCC selon la variation des températures de juin (MV). La variation spatiale est estimée au travers de la réponse moyenne sur la période 1914-1993 de quatre chronologies d'A. alba présentant des contextes hydriques proches mais des températures annuelles moyennes contrastées (carrés gris). La variation temporelle est appréhendée au travers de la dispersion des valeurs de BCC et de MV pour les 50 périodes successives (1901-1950 à 1951-2000 ; symboles vides). Dans cet exemple, une variation de 1 °C correspond à une gamme « spatiale » de BCC de 0,01, contre une gamme « temporelle » de 0,85. Pour une même variation de températures, la gamme « temporelle » de BCC est donc 85 fois plus large que la gamme « spatiale ».

Le déséquilibre très élevé entre les effets respectifs des variations climatiques spatiales et temporelles ainsi que la faible cohérence entre les tendances de sensibilité et les instabilités du climat portent à croire que les tendances temporelles des BCC ont de multiples causes, notamment autres que climatiques. Plusieurs facteurs jouant à grande échelle peuvent être pressentis, dont les effets sur la croissance pourraient être directs et/ou en interaction avec les facteurs climatiques :

Des facteurs environnementaux non pris en compte dans les analyses dendroécologiques :

des facteurs tels que le CO2 ou les dépôts atmosphériques ne sont jamais intégrés dans l’approche dendroécologique classique, i.e. le calcul des fonctions de réponse ou de corrélation. Pourtant, ces variables sont instables dans le temps (cf. chapitre 1.1), l’échelle de temps de ces instabilités étant de plus voisine de celle des changements climatiques (décennale à multi-décennale). L’effet direct du CO2 dans la modification du rythme de croissance et de la sensibilité au climat a été largement évoqué dans la littérature (Becker, 1989 ; Cooper, 1986 ; Lamarche et al., 1984 ; Luo et al., 2006 ; Rathgeber et al., 2000). La hausse du taux atmosphérique de dioxyde de carbone stimulerait la croissance des arbres, bien que de récents travaux ont mis en évidence un effet inverse, notamment dans les milieux xériques (Andreu-Hayles et al., 2011 ; Penuelas et al., 2011 ; Silva et al., 2010). De même, les dépôts atmosphériques (soufre et azote principalement) semblent jouer un rôle dans la croissance et la vitalité des arbres (Bert, 1993 ; Bontemps et al., 2011b ; de Vries et Posch, 2011 ; Elling et al., 2009 ; Pinto et al., 2007 ; Sun et al., 2010) ; les dépôts azotés entrainant le plus souvent une levée de contrainte nutritionnelle, les dépôts soufrés réduisant entre autres la capacité photosynthétique des feuilles et la résistance aux froids hivernaux.

Une évolution des pratiques sylvicoles : la gestion des forêts européennes et notamment

françaises s’est intensifiée au cours du siècle dernier. Ces modifications peuvent avoir de nombreuses conséquences sur la sensibilité des essences au travers, par exemple, de changements de statut social (Seynave, 1999) ou d’accès aux ressources (Aussenac, 2000 ; Jonard et al., 2006 ; Linares et al., 2010 ; Piutti et Cescatti, 1997). Les individus dominés sont généralement moins sensibles aux stress hydriques printaniers et estivaux (De Luis et al., 2009 ; Martin-Benito et al., 2008 ; Mérian et Lebourgeois, 2011 ; Piutti et Cescatti, 1997) et les éclaircies jouent un rôle central dans la baisse de la sensibilité des arbres aux stress hydriques (Boncina et al., 2007 ; Kohler et al., 2010 ; Martin-Benito et al., 2010b ; Misson et al., 2003 ; Perez-de-Lis et al., 2011).

Les conséquences du vieillissement des arbres sur les processus physiologiques : souvent

rassemblés sous l’appellation d’effet « âge », ces variations des processus physiologiques peuvent affecter la sensibilité au climat (Abdul-Hamid et Mencuccini, 2009 ; Mencuccini et al., 2005 ; Penuelas, 2005). Des études dendroécologiques ont d’ailleurs montré une instabilité de la réponse entre les classes d’âge (Wang et al., 2009), ces différences pouvant être reliées à des modifications de la physiologie de l’arbre, telles que (i) des changements dans l’allocation des molécules carbonées entre croissance en hauteur, croissance radiale et fructification (Genet et al., 2010), (ii) une baisse de la transpiration par unité de surface de

feuille (Delzon et Loustau, 2005), ou encore (iii) une modification de la dynamique intra- annuelle de la formation du cerne (Rossi et al., 2008a).

Ces facteurs étant énoncés, la faiblesse des variations spatiales de la sensibilité par rapport aux variations temporelles pourraient également témoigner de l’adaptation locale des essences aux conditions environnementales. Comme souligné dans l’introduction de cette thèse, l’approche dendroécologique ne distingue pas proprement les effets « climatiques » et « variabilité génotypique » (chapitre 1.2, Figure 1.3). La variabilité spatiale de la sensibilité contient ainsi l’effet propre de la variation du climat mais aussi l’effet de la variabilité génétique entre les populations échantillonnées. Les individus poussant en un lieu donné pouvant être considérés comme les mieux adaptés aux conditions environnementales locales, il est raisonnable de supposer que la magnitude des variations spatiales des corrélations cerne-climat liées aux variations climatiques soit atténuée par l’adaptation locale des populations. En revanche, ces populations n’étant pas adaptées à une modification brutale des conditions environnementales en un point donné (telles que le réchauffement climatique), une faible instabilité temporelle pourrait conduire à une forte variation de la réponse.

3.2.7 C

ONCLUSION

Notre analyse multispécifique sur de vastes échelles spatiale et temporelle a permis de montrer que les traits fonctionnels ne s’expriment pas de la même façon selon les saisons, avec une expression forte en automne et hiver. Durant la saison de végétation, la sécheresse estivale joue un rôle central, avec une modulation de l’intensité de cette réponse le long des gradients climatiques. Plus la xéricité locale augmente, plus la sensibilité au stress hydrique estival est élevée, avec notamment une hausse de la fréquence et de l’intensité des années à croissance extrême. Pour un contexte écologique donné, les traits fonctionnels s’expriment au travers du niveau de la réponse, mais ne modulent pas le sens et l’intensité de la variation de la réponse des essences le long des gradients climatiques.

Au cours du 20ème siècle, on observe une forte variation de la sensibilité des essences au climat, ces instabilités étant très homogènes le long des gradients climatiques pour une essence donnée. En revanche, toutes les essences ne répondent pas de la même façon, avec des variations de comportement pour les saisons hivernale et printanière. Enfin, quels que soient l’essence et le contexte climatique, ces instabilités de la réponse sont faiblement cohérentes avec les variations climatiques.

3.3 C

ONTRIBUTIONS SCIENTIFIQUES

3.3.1 L

A DIVERGENCE

:

ETAT DE L

ART

Article [1] La sensibilité au climat des arbres forestiers a-t-elle changé au cours du