• Aucun résultat trouvé

3.2.4.1.2.2 V ARIATION DE LA REPONSE DES ESSENCES LE LONG DES GRADIENTS CLIMATIQUES

3.2.5 I NSTABILITE TEMPORELLE DE LA SENSIBILITE AU CLIMAT

3.2.5.1 U

NE INSTABILITE FORTE ET GENERALE

Les différentes contributions scientifiques de cette thèse mettent toutes en évidence de fortes instabilités temporelles des conditions climatiques et des relations cerne-climat au cours du 20ème siècle (articles [3] et [4], chapitre 3.3.5). Ces variations, très nombreuses, ne seront pas toutes détaillées dans cette synthèse. Des exemples seront donnés à titre illustratif, les lecteurs étant invités à se référer au chapitre 3.3 pour une vision complète de la variabilité temporelle des relations cerne-climat. Rappelons que cette dernière a été quantifiée par le calcul de fonctions de corrélation mobiles de largeur de fenêtre 50 ans (Biondi, 1997 ; Biondi et Waikul, 2004). Pour chacune des périodes définies, les caractéristiques climatiques moyennes ont été calculées : la valeur moyenne du paramètre climatique (MV) et son écart-type (SD) (articles [3] et [4]). La significativité des tendances des séries temporelles de BCC, MV et SD ont été évalués par un test des rangs de Spearman (Myers et Well, 2003), la probabilité critique étant fixée à 10-4 (chapitre 3.3.5).

3.2.5.1.1 I

NSTABILITE CLIMATIQUE

Quelle que soit la zone géographique, l’analyse des séries climatiques révèle des instabilités fortes et massives aussi bien pour les températures que pour les précipitations. La majorité d’entre-elles ne dépassent pas 0,6 °C pour les températures, et 30 mm pour les précipitations. A l’échelle de la zone géographique (i.e. moitié nord de la France, Massif des Vosges ou Alpes du Sud), ces instabilités sont spatialement très cohérentes. En d’autres termes, le sens et l’intensité de la variation du climat sont hautement similaires entre les contextes climatiques et ne dépendent que peu des caractéristiques du climat moyen. Ces résultats confirment que les signaux haute

fréquence des séries météorologiques sont homogènes sur de vastes gradients climatiques

(Mäkinen et al., 2003 ; Martin-Benito et al., 2010a ; Rolland, 2002).

En revanche, les instabilités climatiques diffèrent entre les Alpes du Sud et le nord de la France (plaine et Massif des Vosges). Dans les Alpes, le climat est devenu généralement plus chaud, plus sec au printemps et plus arrosé en été et automne ; de plus, la variabilité interannuelle des conditions a sensiblement diminué. L’évolution du climat est relativement cohérente entre la plaine de la moitié nord de la France et le Massif des Vosges. Pour un mois donné, une hausse des températures est souvent accompagnée d’une baisse des précipitations, et inversement. Ainsi, le climat est devenu sensiblement plus froid et pluvieux de décembre à juin. A l’inverse, entre juillet

et novembre, le climat s’est plutôt réchauffé (Massif des Vosges uniquement) et asséché, avec une baisse systématique de la variabilité interannuelle des précipitations. Ces différences entre le nord de la France et les Alpes du Sud rappellent que le réchauffement climatique est hétérogène à large échelle spatiale (Déqué et al., 2005 ; Moisselin et al., 2002) et se prononce plus fortement en contextes méditerranéen et de montagne (Déqué, 2007 ; Giorgi et al., 2004b ; Giorgi et Lionello, 2008 ; Goubanova et Li, 2007).

3.2.5.1.2 I

NSTABILITE DES RELATIONS CERNE

-

CLIMAT

Tout comme pour les séries climatiques, l’instabilité des relations cerne-climat est fortement cohérente le long des gradients climatiques (articles [3] et [4], chapitre 3.3.5), en accord avec les précédentes études menées en Europe tempérée (D'Arrigo et al., 2008 ; Friedrichs et al., 2009a). Dans les Alpes du Sud, en contexte a priori plus limitant pour la croissance, les tendances des corrélations cerne-climat ne sont que très faiblement modulées par les conditions écologiques locales (article [4]), et notamment par le niveau de disponibilité en eau du sol. L’interaction « milieu – sensibilité au climat » la plus évidente concerne la réponse aux températures d’avril, avec un effet d’autant plus bénéfique du réchauffement printanier que l’altitude est faible ; l’hypothèse étant qu’à haute altitude (en conditions froides), le réchauffement n’est pas suffisant pour induire une levée de contrainte thermique. Nos résultats tendent ainsi à conclure que l’instabilité temporelle de la réponse des essences en conditions tempérées et subméditerranéennes est un phénomène à large échelle spatiale, faiblement modulé par les caractéristiques climatiques moyennes.

Les instabilités des réponses peuvent être homogènes entre les essences, notamment durant la saison de végétation (avril et août) et sont particulièrement marquées dans le Massif des Vosges (chapitre 3.3.5, Figure 3.3.5.4). Dans les Alpes du Sud, les espèces du genre Pinus ont des réponses très voisines, mais différentes de celles d’A. alba et F. sylvatica. Par exemple, pour les précipitations de mai, Pinus sp. montre un léger renforcement de la corrélation positive, à l’inverse d’A. alba et F. sylvatica dont les BCC se rapprochent peu à peu de zéro (Figure 3.2.10). En revanche, la plupart des différences interspécifiques s’observent en dehors de la saison de végétation, entre octobre et mars. Dans le Massif des Vosges et pour les températures de décembre à mars, le signe des tendances d’A. alba et Q. petraea s’oppose à celui de F. sylvatica et P. abies. En effet, les deux premières essences présentent des BCC en baisse, contre des corrélations majoritairement en hausse pour les secondes.

Enfin, pour une essence donnée, les tendances peuvent varier entre les zones géographi- ques. Ces comparaisons n’ont pu être faites que pour (i) Q. petraea entre le Massif des Vosges et la moitié nord de la France, et (ii) A. alba et F. sylvatica entre le Massif des Vosges et les Alpes du Sud (Figure 3.2.10). Deux cas sont clairement identifiables : (i) pour Q. petraea, les tendances dans la moitié nord de la France sont très proches de celles du Massif des Vosges, bien que les niveaux moyens des BCC différent ; (ii) en revanche, de forts écarts sont observés entre les réponses d’A. alba et F. sylvatica des Vosges et des Alpes. En juin par exemple, la croissance de ces deux essences devient de plus en plus dépendante des précipitations dans le Massif des Vosges avec une hausse des corrélations positives, alors que la tendance inverse est observée dans les Alpes du Sud.

Massif des Vosges Alpes du Sud

Moitié nord de la France

Fagus sylvatica

Picea abies

Pinus sp.

Quercus petraea Abies alba

Précipitation de mai (P5) Précipitation de juin (P6) Précipitation de juillet (P7)

B

CC

Période

Figure 3.2.10 : Illustration par essence de l'instabilité temporelle de la sensibilité au climat pour les précipitations de mai (gauche), juin (centre) et juillet (droite). L'année en abscisse correspond à la dernière année de la période de 50 ans (e.g. 1950 pour la période 1901-1950). La couleur dépend de la zone d'étude. Les séries présentées correspondent à la moyenne des séries de BCC par essence et zone d'étude. La plage colorée correspond à l'écart-type de ces séries moyennes.

La grande majorité des instabilités significatives indiquent un changement de signe des BCC dans le temps, i.e. des corrélations passant de valeurs positives à négatives et inversement. En revanche, les renforcements ou les levées de contrainte sont rares. L’exemple le plus évident est une augmentation de la réponse au stress hydrique de juin dans le Massif des Vosges avec des corrélations de plus en plus positives avec les précipitations et négatives avec les températures (chapitre 3.3.5, Figures 3.3.5.4 et 3.3.5.5). Les nombreux changements de signe des BCC impliquent que le déterminisme de la croissance de la largeur radiale s’est progressivement inversé dans le temps. En effet, pour la grande majorité des séries de BCC et pour une largeur de fenêtre mobile de 50 ans, la variation de la corrélation est supérieure à 0,30 points au cours du siècle dernier, avec 22 % des cas à plus de 0,45 points.

3.2.5.2 U

NE FAIBLE COHERENCE ENTRE INSTABILITE CLIMATIQUE ET INSTABILITE DE LA SENSIBILITE AU CLIMAT

L’analyse des séries temporelles révèle cependant que le synchronisme entre les variations de sensibilité et les variations climatiques est faible (automne, hiver, printemps) ou écophysiologiquement peu logique (été). L’instabilité des corrélations cerne-climat de juin illustre bien ce dernier point. Dans le Massif des Vosges, le climat de ce mois est devenu plus froid et plus humide dans le temps, ce qui pourrait laisser croire à une baisse de la sensibilité au stress hydrique. Pourtant, la réponse inverse est observée quelle que soit l’essence, avec des BCC de plus en plus négatifs pour les températures et de plus en plus positifs pour les précipitations. De même, dans les Alpes du Sud, le stress hydrique de juin a augmenté dans le temps (climat plus chaud et sec) alors que (i) les corrélations négatives avec les températures se sont rapprochées de zéro depuis les années 1985 (Pinus sp.) ou sont devenues positives (A. alba), et (ii) la force des corrélations positives avec les précipitations a plutôt diminué (sauf pour P. sylvestris ; article [4], Figure 3.2.10).

Ces résultats tendent à conclure que la variation temporelle de la sensibilité au climat est très peu dépendante des variations climatiques, ce qui est cohérent avec de précédentes études menées sous climat tempéré (Friedrichs et al., 2009a ; Friedrichs et al., 2009b). La cause la plus fréquemment évoquée est l’absence d’une contrainte majeure de croissance qui pourrait induire des phénomènes complexes de compensation de contraintes environnementales. Par exemple, dans la moitié nord de la France, la baisse de la sensibilité au stress hydrique estival de Q. petraea, alors que le climat est devenu plus sec, a été interprétée comme une possible conséquence de la hausse des apports en eau entre décembre et juin qui retarderait l’apparition et diminuerait l’intensité du stress (article [3]). D’autres auteurs soulignent également l’effet possible de facteurs environnementaux non pris en compte dans les analyses dendroécologiques, tels que la variation du CO2 dans le temps (Carrer et al., 2007 ; Carrer et al., 2010 ; Garcia-Suarez et al., 2009). Hors saison de végétation, de nombreux auteurs ont également mis en évidence que les instabilités dans la sensibilité au climat étaient peu cohérentes avec les instabilités climatiques et que les mécanismes écophysiologiques sous-jacents étaient difficiles à appréhender (Carrer et al., 2007 ; D'Arrigo et al., 2008 ; Garcia-Suarez et al., 2009 ; Wilmking et Myers-Smith, 2008). Mäkinen et al. (2003) mettent de plus en garde contre l’augmentation du nombre de régresseurs climatiques confrontés aux chronologies moyennes de croissance qui accroît le risque de trouver « par chance » des corrélations et des tendances significatives. Malgré cela, certains de nos résultats

semblent en accord avec les connaissances actuelles de l’autécologie des essences. Par exemple, dans la moitié nord de la France et dans le Massif des Vosges, la réponse positive de la croissance à la hausse de la température d’octobre pourrait être reliée à un prolongement de l’activité physiologique des arbres en fin de saison de végétation qui favoriserait la production et le stockage de molécules carbonées, elles-mêmes remobilisées en début de saison de végétation suivante pour la mise en place du cerne et des feuilles (Barbaroux et Bréda, 2002 ; Gruber et al., 2011 ; Piao et al., 2008).

L’analyse de la variation spatiale de la réponse au climat fournit des résultats cohérents avec les précédentes études menées sur des gradients climatiques plus restreints (cf.

chapitre 3.2.4). En revanche, les résultats surprenants obtenus lors de l’analyse de la variabilité