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Chapitre 1 : La participation publique, d’une dynamique à un impératif

1.4 L’étude de la participation publique : une analyse partielle et peu ouverte sur les

1.4.1 La variation de la mise en œuvre de la participation publique : un objet peu étudié

Les travaux sur la participation publique sont issus de différents domaines et de traditions de recherche variés (Bacqué, Rey et Sintomer 2005), laissant apparaître un certain éclatement des références, des concepts et des buts (Blondiaux et Fourniau 2011). Au regard de cette densité, certains auteurs tentent de réunir les recherches dans le domaine autour d’un certain nombre de postures partagées et de questions transversales. Par exemple, tout en soulignant la tendance normative initiale et son dépassement, Blondiaux et Fourniau (2011, 24) identifient « huit questions travaillées à titre principal par les recherches » : l’impact des mécanismes sur la décision, leurs effets sur les individus, les effets structuraux et substantiels, c’est-à-dire « les changements qui affectent les rapports de force entre groupes et les représentations sociales d’un problème » (Blondiaux et Fourniau 2011, 26); l’influence des dispositifs sur les publics, l’institutionnalisation et la codification juridique de la participation, sa professionnalisation et enfin la redéfinition de l’expertise, marquée par la tension entre autorité de la science et légitimité démocratique. En outre, Bherer (2010) regroupe les études en trois approches (historique, développementale et gouvernance) :

28 The historical approach explains the participatory movement from the viewpoint of the global evolution of the democratic system. The developmental approach in turn looks at relations between the state and civil society. The governance approach sees the source of the participatory movement as lying in the transformation of processes of legitimization of public decisions through the adoption of new public policy instruments (Bherer 2010, 289).

Ces trois approches correspondent à différents niveaux d’analyse : macro pour l’approche historique, méso pour l’approche développementale et micro pour celle de la gouvernance. Dans la même tendance, Gariépy et Morin (2011) jettent un regard sur « les écrits sur la participation publique au Québec. » Ces auteurs identifient particulièrement « trois pôles majeurs » relatifs aux recherches sur la démocratie participative et l’action collective, aux effets de la participation publique ainsi que les publications à tendance normative axées sur l’analyse des processus des dispositifs de participation publique (Gariépy et Morin 2011). Selon ces auteurs, cette dernière tendance axée sur l’étude des « caractéristiques de la procédure mise en œuvre […] est particulièrement prolifique » (Gariépy et Morin 2011, 188).

Ainsi, si ces différentes classifications témoignent de la richesse des études dans le domaine, ces dernières sont particulièrement marquées par « la prégnance d’un schème d’analyse : celui de l’évaluation normative […], qui consiste à se focaliser sur les procédures dans le but d’en rechercher les effets » (Mazeaud 2009, 3). Autrement dit, les travaux sont particulièrement centrés sur l’analyse de l’efficacité de la participation sous l’angle des processus et des effets. Cette perspective est clairement mise en exergue par Rowe et Frewer :

the ultimate aim of research, following the presented agenda, is to identify which participation-mechanism class to use in which particular situation class to increase the chance of effective participation. Development of such a theory of “what works best when” would not only be of academic interest but also of pratical importance. (2004, 551) Ainsi, de nombreuses grilles d’analyse ressortent des travaux. Elles se focalisent sur les processus en vue de vérifier l’atteinte des effets escomptés (Beierle et Koninsky 2000, Rowe et frewer 2004, Fung 2006, Slotterback 2008). Parmi ces études, la perspective de Fung (2003, 2006) est considérée comme « la plus avancée » (Bherer 2011a, 116). Elle met en avant trois aspects principaux: « who participates […]. How participants exchange information and make decisions […and] the link between discussions and policy or public action » (Fung 2006, 66). Cette grille désignée sous le nom de « design participatif » est régulièrement employée par Bherer (2011a, 2011b) et Bherer et Breux (2012) qui l’adaptent en six niveaux d’analyse : le

29 choix des participants, l’enjeu de la participation pour les participants, les modalités de participation, la portée de la participation, la fréquence de la participation et le degré d’influence accordée aux participants. Le tableau 1.1 présente le modèle d’analyse du design participatif (Bherer et Breux 2012).

Tableau 1.1 : Le modèle d’analyse du design participatif

Qui participe ? - Citoyens volontaires

- Recrutement ciblé - Tirage au sort

- Parties prenantes citoyennes

L’enjeu de la participation pour les participants - Les participants ont un intérêt direct - Les participants ont un intérêt indirect

Comment les participants participent-ils ?

- Spectateur

- Expression spontanée de ses préférences - Justification de ses préférences

- Agrégation des préférences individuelles et négociation - Délibération et discussion raisonnée

La portée de la participation - Un sujet spécialisé

- Un sujet large

Quelle est la fréquence de la participation - Régulière

- Processus limité dans le temps

- Garanties législatives pour permettre la répétition

Quel est le degré d’influence des participants ?

- Bénéfices personnels seulement - Influence de type informationnel - Recommandation et consultation - Co-production

- Décision Source : Bherer (2011a, 2011b), Bherer et Breux (2012)

Cette posture procédurale d’analyse interne a considérablement amélioré la connaissance des dispositifs de participation publique (Bherer 2011a). En général, ces travaux tentent de dégager certaines conditions jugées nécessaires au succès des processus participatifs (Sintomer, Herzberg et Röcke 2008, Thibault, Lequin et Tremblay 2000, Breux, Bherer et Collin 2004, Hickey et Mohan 2005, Solitare 2005, Samaddar, Yokomatsu, Dayour, Oteng-Ababio, Dzivenu, Adams et Ishikawa 2015). Rowe et Frewer mettent particulièrement en avant ce lien entre la procédure interne de la participation publique et son succès : « in summary, the effectiveness of public engagement will depend on the particular mechanism chosen and the way in which this mechanism is applied » (2005, 264). Comme le mentionne Bherer (2011a), cette tendance procédurale permet aussi d’avancer dans la compréhension des effets de la participation publique notamment les écarts entre ses objectifs et son impact observé sur le terrain (Bherer 2003, Goodin et Dryzed 2006, Mazeaud 2012).

Néanmoins, cette prégnance procédurale des études isole la participation publique de son contexte (Bherer 2011a). Selon Blondiaux et Fourniau, le risque principal de cette posture procédurale des études « est celui d’une décontextualisation de la procédure, au regard des

30 institutions qui l’entourent, de l’univers des relations sociales dans lequel elle s’inscrit » (2011, 21). En effet, les analyses mettent la focale sur le fonctionnement interne (la procédure) des dispositifs afin d’appréhender leurs incidences sur les acteurs, et les problèmes soumis à la délibération (Mazeaud 2009, Fourniau s.d.). C’est dans ce sens qu’Alice Mazeaud (2009) parle de « tropisme procédural » des études sur la participation publique. Or, le contexte de production et de déploiement de la participation publique reste un élément central de son analyse (Bherer 2011a, Bryson, Quick, Slotterback et Crosby 2012). Selon Delli Carpini, Cook et Jacobs, le potentiel démocratique de la délibération est aussi fonction de son contexte : « the democratic potentiel of délibération […] is highly context dependent » (2004, 328). Il semble donc pertinent de s’interroger « sur les contextes d’action publique et leurs capacités différenciées à produire une offre de participation » (Fourniau s.d., 3).

Plus spécifiquement, l’approche procédurale ne répond pas à la question de savoir pourquoi les mêmes obligations législatives de participation publique sont différemment mises en œuvre d’une municipalité à l’autre. Selon Van Eijk (2013), la réponse à cette préoccupation nécessite un regard allant au-delà des arrangements procéduraux des mécanismes de participation publique : « We need to investigate more variables in an integrated framework in order to explain why municipalities implement citizen participation and why they differ from each other. To better understand the impact of participatory policies, we need to consider the context » (Van Eijk 2013, 3). Tel que cette dernière auteure le mentionne, l’étude de la variation de la mise en œuvre de la participation publique entre les municipalités fait donc écho à ce défi de la contextualisation de son analyse. En ce sens, Bacqué et Gauthier (2011) soulignent l’intérêt d’une prise en compte des contextes des pays du Sud.

Une telle perspective trouve toute sa pertinence dans ces pays, où la participation telle qu’on l’a exposée précédemment23 émerge d’en haut dans le cadre des politiques de décentralisation venant de l’État central (CGLU 2008, PDM 2003, Mback 2003). Or, comme nous le rappellent bien Blondiaux et Fourniau (2011), la participation publique ne se vulgarise pas de manière homogène dans un pays. Elle est soumise aux aléas de la mise en œuvre par les administrations locales. Autrement dit, le succès ou l’échec de la participation publique institutionnalisée par le gouvernement est aussi fonction des structures infranationales chargées de la mise en œuvre, à savoir les municipalités (communes) (Boyer-Gendron 2014). En ce sens, Devas et Grant (2003) constatent en Ouganda une faiblesse générale de la participation au niveau des autorités locales, avec cependant certains cas de succès relatifs. Grant

31 mentionne cette même variation de la participation entre les autorités locales au Kenya : « practices of citizen participation and local accountability vary widely between local authorities in Kenya. Although in most cases they remain quite weak, there are signs of change » (2002, 11). Tel est aussi le cas du Mali, où l’on observe la faiblesse de la participation dans les collectivités en général (MATCL 2011) avec cependant, des expériences de succès dans certaines communes (Konaté, Simard, Giles et Caron 2009, DNCT 2009, DDC Mali 2012)24. À notre connaissance, l’analyse de cette variation de la mise en œuvre de la participation publique par les administrations locales est très peu étudiée (Van Eijk 2013). Les quelques travaux qu’on rencontre dans cette perspective portent essentiellement sur les cas nord- américains ou européens25. On peut donc s’interroger sur la généralisation de leurs résultats pour les pays du Sud, notamment ceux d’Afrique subsaharienne francophone dont les expériences participatives restent peu étudiées en général et encore moins, sous l’angle de la variation de leurs mises en œuvre en particulier.

1.4.2 La participation publique en Afrique subsaharienne : des expériences