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Chapitre 1 : La participation publique, d’une dynamique à un impératif

1.3 Une pluralité de dispositifs avec des objectifs divers

1.3.2 L’exemple des pays du Sud

Certains auteurs (Fassin 1996) situent les prémices de la participation dans les pays du Sud dans la période coloniale dans le cadre des opérations de développement rural (Mawhood 1983) qui seront intensifiées dans les premières années des indépendances à travers des politiques nationalistes. Cependant, comme dans les pays du Nord, la tendance générale à l’implication des populations à l’action publique notamment au niveau local intervient dans les dernières décennies dans le cadre des politiques de décentralisation (CGLU 2008, Andrews et De Vries 2007). Comme ailleurs, les objectifs de la rhétorique participative y sont aussi variés.

21 Ces concepts sont entendus ici dans le sens « d’un processus d’apprentissage des individus membres des groupes

défavorisés en vue d’une insertion sociale où ils peuvent faire valoir leur culture et leurs intérêts » (Bacqué, Rey et Sintomer 2005, 29-30). Voir dans le même sens Bacqué et Biewener (2013).

25 Dans la plupart de ces pays, « les progrès réalisés en matière de démocratie représentative sont soutenus par des avancées en matière de pratiques participatives » (CGLU 2008, 46). Dans cette perspective, divers mécanismes sont institués pour associer les populations à la gestion publique locale. En Amérique latine, différents mécanismes de participation sont formellement mis en place. Par exemple, la Constitution brésilienne souligne « que la souveraineté populaire peut être exercée non seulement à travers le vote, mais aussi à travers l’initiative populaire » (Avritzer 2005, 231). En outre, sont mentionnés entre autres le référendum ou les conseils populaires, etc. (CGLU 2008). Cependant, c’est incontestablement le budget participatif inventé à Porto Alegre et reconnu comme « best practice » par la Banque mondiale (Bacqué, Rey et Sintomer 2005) qui semble le modèle le plus connu et largement diffusé en Amérique latine (Montecinos 2006), en Europe (Sintomer, Herzberg et Röcke 2008) et en Afrique (Kanoute 2011)22. Par ailleurs, on rencontre des conseils de citoyens au Venezuela, des organisations territoriales de base (OTB) en Bolivie (CGLU 2008) ou des plans de développement municipal au Mexique et au Chili (Raufflet 2009, Montecinos 2006). Dans la même logique, des mécanismes d’intégration des citoyens à la gestion publique locale sont développés en Asie (CGLU 2008). Aux Philippines par exemple, des conseils de développement local sont en place avec un quart de représentants d’organisations non gouvernementales et populaires, et le quart du budget de développement local serait réservé aux organisations communautaires au Pakistan. De même, en Chine, des comités villageois sont en place depuis 1987 (Yawei et Tran 2000) sans oublier le développement des associations de résidents dans certains quartiers qui stimuleraient une certaine forme de démocratie locale (Lo 2013).

En Afrique, des dispositions légales imposent la participation. C’est notamment, le cas de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) qui adopte en 1990 une charte : « African Charter for popular participation in development and transformation. » Cette charte considère la participation comme un droit fondamental pour la population en son point 10: « popular participation is the fundamental right of the people to fully and effectively participate in the determination of the decisions which affect their lives at all levels and at all times » (OUA 1990). Plus particulièrement, en Afrique subsaharienne, des dispositions légales imposent aux municipalités d’informer les populations à travers la publicité des séances, l’affichage ou la notification des décisions (PDM 2003). En outre, diverses « périodes de débats et de concertation entre assemblées et populations » sont instituées (CGLU 2008, 46). Dans ce sens, le PDM (2003) souligne des avancées sur le plan juridique dans trois pays. Tout d’abord, le

22 Kanouté, Mamadou B. 2011. « Quand l’Afrique réinvente la citoyenneté locale. » Le Monde diplomatique, octobre

26 PDM (2003) mentionne le cas du Mali où le cadre législatif subordonne la décision du conseil municipal à la consultation des chefs de quartier et de village dans certaines matières. Ensuite, au Cap-Vert, la loi encourage la contractualisation entre les conseils locaux et les institutions de la société civile dans la mise en œuvre des projets de développement. De même, au Ghana, « la loi exige qu’avant toute session du conseil, l’élu réunisse les populations de sa circonscription et discute avec elles de ses besoins et de ses priorités » (PDM 2003, 36). Outre les expériences de ces trois pays, plusieurs formes de structures locales de participation comme les conseils de quartier sont en cours. Dans les années 1995, ce modèle de structure est expérimenté par la ville de Saint-Louis au Sénégal (Diao 2004). Dans la même veine, les « ward committees » sont en place en Afrique du Sud depuis 1998 (Piper et Deacon 2008). Par ailleurs, le budget participatif est de plus en plus implanté sur le continent (UN-Habita et MDP 2008, Sintomer, Herzberg et Allegretti 2014).

Comme dans les pays du Nord, les trois grands objectifs de la participation, à savoir politique, social et gestionnaire (Fassin 1996; Bacqué, Rey et Sintomer 2005) sont aussi visés dans les pays du Sud. La scène publique de la plupart de ces pays est longtemps marquée par un système d’administration centralisé (CGLU 2008). Les politiques de décentralisation et de participation publique sont alors vues comme des moyens d’approfondissement de la démocratie (CGLU 2008, PDM 2003). De même, ces politiques s’inscrivent dans une perspective de recherche d’efficacité des appareils administratifs (Crook 1996, Gallegos 2005). Sur le plan social, Lo (2013) souligne par exemple que l’introduction des associations de résidents en Chine est un moyen de gérer les conflits sociaux liés à la réforme du logement. Cependant, il semble y avoir un contraste entre la prolifération de mécanismes pratiques de participation et l’atteinte des espoirs escomptés que ce soit au Nord ou au Sud. En effet, si une certaine forme d’ « obligation d’informer et de débattre » (Lascoumes 2001) se met en place, l’analyse des pratiques participatives révèle « une faible effectivité des procédures participatives » (Blondiaux et Fourniau 2011, 26). Par exemple, les différentes expériences mobilisent peu les populations marginalisées (Bherer 2011a) ou sont rarement en lien direct avec la décision (Blondiaux 2005). Cependant, certains travaux permettent de nuancer cette perspective d’échec. Des auteurs montrent des transformations des représentations et des pratiques des agents publics ou même l’évolution de l’organisation des services suite à la mise en œuvre de la participation (Bherer 2003, Avritzer 2005, Muro et Jeffrey 2008). D’autres auteurs (Chess et Purcell 1999) soulignent des effets sur le contenu des politiques publiques. En même temps, la présence de mécanismes rendrait les objets mis en débat, discutables en

27 ouvrant la scène publique à des acteurs autrefois exclus (Barthe 2002). Plus précisément, la profusion des mécanismes de participation donne lieu à une analyse plus concrète de la participation à travers les expériences pratiques au-delà des affirmations générales sur les effets positifs ou pervers du phénomène (Blondiaux et Fourniau 2011).

1.4 L’étude de la participation publique : une analyse partielle et peu ouverte sur