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CHAPITRE III : LES DYNAMIQUES HYDROSÉDIMENTAIRES HOLOCÈNES EN LIMOUSIN

1 LES BANQUETTES AGRICOLES : DES ARCHIVES COLLUVIALES

1.3 D’autres références chronologiques

1.3.2.2 Le Vallon des Anglais (Brive, Corrèze, 130 m, figure 2-17)

Située dans le bassin sédimentaire de Brive, la vallée de la Planchetorte est un haut lieu de l'archéologie limousine : de nombreuses grottes y ont été occupées au Paléolithique moyen et supérieur (Tillet, 1994). Il faut encore signaler, pour la période historique, la présence probable d'une villa gallo-romaine sur le plateau de Ressaulier (Lintz, 1992), ainsi que l'abri troglodytique médiéval de la grotte des Anglais (fichier Dracar). La construction d’un terrain de golf dans la partie aval de la vallée de la Planchetorte a donc été précédée d’un diagnostic archéologique. Cette opération a permis de mettre à jour deux nouveaux sites d’époque historique (Brenet, 1992). Sur le replat de la Jargasse, sur la rive gauche de la Planchetorte, un bâtiment gallo-romain en forme de U a été découvert, auquel est associé du mobilier céramique de la fin IIe siècle / début IIIe siècle. En contrebas de l'habitat troglodytique de la Grotte des Anglais, le diagnostic a également mis à jour un bâtiment

Le vallon des Anglais, dans lequel sont localisées les structures médiévales, est un axe hydrographique de rang 0, sans écoulement permanent. A l’aval du vallon, à sa confluence avec la vallée de la Planchetorte, un cône de déjection s’est accumulé. Le caractère discontinu des écoulements n’a apparemment pas gêné sa mise en culture, car sa topographie est accidentée par des banquettes d’accumulation agricoles.

Figure 2-17 : Le Vallon des Anglais, coupe stratigraphique

Stratigraphie

L'ouverture, dans le cône, de fossés d’assainissement préalables aux travaux de terrassement du golf, a permis d'en étudier la stratigraphie. Trois unités sédimentaires ont été observées.

- La base est formée par un dépôt argilo-sableux gleyifié contenant quelques nodules de quartz. Ce niveau est stérile en artéfact.

- La seconde unité sédimentaire est peu épaisse, 0,1 à 0,2 m seulement. Ce niveau est gris foncé, mais il porte aussi des traces de rubéfaction. Il contient de nombreux artéfacts, des blocs de grès de forme rectangulaire, des macrorestes végétaux et de gros fragments de charbons de bois, conservés essentiellement sous les tessons et sous les pierres. Le mobilier est constitué de tegulae, de tessons de poteries communes d’époque gallo-romaine et d’un fragment de meule de la même époque (Lintz, comm. orale). En revanche, la datation radiométrique des charbons de bois a donné comme résultat 1525 ± 40 BP, soit 445 - 625 ap. J.-C. (Ly 6852), ce qui correspond au début du haut Moyen Age. Le niveau à artéfacts fossilise une petite entaille triangulaire qui évoque une paléorigole d’assainissement.

- Le cône de déjection proprement dit est formé d'une accumulation sablo-limoneuse de 1,5 m d'épaisseur, dont la moitié inférieure est affectée par des phénomènes d’oxydoréduction. Son faciès est nettement colluvial et évoque bien un horizon Ap dont la structure originelle a été homogénéisée par les labours. Seule une lentille alluviale sableuse, conservée à la base, témoigne du balayage occasionnel du cône par les débits de crue du vallon.

Synthèse et discussion

Le principal apport scientifique de la coupe du vallon des Anglais réside dans la présence, à la base de la sédimentation détritique, d'un niveau riche en artéfacts. Cet horizon présente les mêmes caractéristiques archéologiques, sédimentologiques et stratigraphiques que celles qui ont été observées à la Boisserie et Chez Nicolas. L'absence d’émoussé des charbons et leur fossilisation préférentielle sous des blocs qui dépassent la compétence de ce petit ruisseau évoquent davantage un épandage anthropogène qu'une sédimentation naturelle. Comme à la Boisserie et Chez Nicolas, la datation isotopique des charbons place cet aménagement au haut Moyen Age et témoigne donc d'un maintien des activités agraires sur le site pendant la période mérovingienne. La structure d'habitat médiévale découverte à l'amont du vallon n'est hélas pas suffisamment bien calée chronologiquement pour pouvoir être reliée à cette découverte. En revanche, il est probable que les débris gallo-romains ont été prélevés sur les structures de la Jargasse ou du Ressaulier, sites antiques les plus proches connus dans l’environnement du vallon.

Autre enseignement de cette coupe : la fossilisation de l’horizon à artéfacts et la bonne conservation des charbons de bois suggère une période de forte activité alluviale du cône au début du haut Moyen Age, dont la lentille sableuse reste un témoin.

1.3.2.3 La Barre (Veyrac, Haute-Vienne, 290 m, figure 2-18)

L’opération de sauvetage urgent réalisée lors de la construction de la déviation du village de la Barre, sur la RN 141, a mis à jour, dans la parcelle dite du Pré de la Cane, plusieurs structures archéologiques fortement arasées (Beausoleil, 1994). Localisés sur le vaste versant d’adret qui domine la Vienne, ces vestiges d’occupation sont distants de quelques dizaines de mètres, de part et d’autre d’un vallon élémentaire de rang 0, à écoulement intermittent. Sur la rive droite du vallon, cinq fosses dépotoirs riches en matériel céramique de la fin du 1er Age du Fer (2e moitié du VIe s – début du Ve s. av. J.-C.) ont été découvertes. Sur la rive gauche, la fouille a permis d’exhumer les vestiges d’un établissement rural gallo-romain de la 1ère moitié du Ier s. ap. J.-C. Le décapage extensif a révélé l’existence d’une ferme indigène en matériaux périssables, à laquelle étaient associées des constructions diverses (greniers surélevés et granges). L’ensemble était ceint par un enclos fossoyé. Une tranchée d’une quarantaine de mètres de longueur a été ouverte dans l’axe longitudinal du vallon, révélant l’existence d’un complexe sédimentaire varié. Strictement colluvial dans la partie amont du vallon, le remplissage historique devient alluvio-colluvial et tourbeux vers l’aval, en contrebas d’une rupture de pente formant ligne de source. L’analyse ci-dessous ne concerne que le complexe colluvial amont. Le remblaiement organominéral aval, qui a donné lieu à une analyse palynologique, est étudié dans le chapitre 2.2.

Le complexe colluvial

Sa surface topographique, accidentée par un talus de 1 m de dénivelé, dessine une banquette d’accumulation agricole.

- Bien qu’elle s’apparente à un Ap hypertrophié, la nappe colluviale, de texture limono-sableuse, présente dans le détail de multiples variations granulométriques, structurales ou d’oxydoréduction. Vers 0,75 m de profondeur, une lentille caillouteuse riche en tuiles et en charbons de bois (du

Fagus pour plus de 80 %, Alnus constituant le reste de l’assemblage) a d’ailleurs été fossilisée le long d’une discontinuité structurale. Elle marque une étape dans l’aggradation de la banquette, qu’il est possible de dater grâce à la présence des charbons de bois : 1080 ± 35 BP soit en âge

romains, issus des structures archéologiques voisines, sont également disséminés dans l’ensemble du profil, dans sa partie inférieure notamment.

- Les colluvions, dont la puissance peut atteindre 1,5 m, reposent sur une nappe sablo-graveleuse compacte et abiotique, identifiée comme un héritage périglaciaire. Si son épaisseur reste modeste (inférieure à 0,25 m), elle est en revanche très étendue et tapisse l’ensemble du vallon, d’amont en aval.

- Dessous, la roche en place, formée de paragneiss à faciès micaschisteux, est très altérée, parfois même argilifiée.

Figure 2-18 : La Barre, coupe stratigraphique longitudinale

Une structure archéologique originale a été exhumée, au contact entre la nappe graveleuse et les colluvions agricoles. Il s’agit d’une aire galetée de 7 m de long sur 2 m de large environ, formée par un assemblage rudimentaire de petits blocs et de cailloux de granite et de quartz. Les cailloux, le plus souvent jointifs, forment une couche d’une quinzaine de centimètres d’épaisseur. Le démontage d’une petite partie du galetage a permis de découvrir, incorporé à l’appareillage, des tessons et des tuiles à rebord de tradition gallo-romaine, ainsi qu’une grande quantité de charbons de bois. L’assemblage anthracologique est dominé par Quercus à 60 %, puis Fagus 25 %, Alnus 9 % et Corylus 6 %. Si la présence du mobilier incite, en premier lieu, à faire du galetage un aménagement contemporain de la ferme indigène du Ier siècle, la datation radiocarbone des charbons infirme cette hypothèse. Leur âge, 1405 ± 40 BP soit 585 – 680 ap. J.-C. (Ly 8776), montre que le galetage n’a été réalisé qu’à l’époque mérovingienne, en partie grâce au réemploi du mobilier prélevé sur des ruines gallo-romaines voisines. Quant à la fonction de cet aménagement, l’hypothèse la plus économique est qu’il pourrait

Synthèse et discussion

Des occupations humaines de la fin du 1er Age du Fer et du Ier siècle de notre ère, pourtant distantes de quelques dizaines de mètres seulement, il ne reste aucune archive sédimentaire dans le vallon, sinon sous forme de tessons baladeurs ou de réemploi. Ce réemploi est matérialisé par la réalisation, à l’époque mérovingienne, d’un aménagement s’apparentant à un gué. Cette structure, édifiée directement sur la nappe à cailloutis héritée du pléistocène, sert de terminus post quem à l’ensemble du complexe colluvial. L’accumulation, postérieure à la période mérovingienne, est corrélative à l’érosion des sols labourés sur les versants environnants, comme en témoignent son faciès d’Ap et la présence de tessons baladeurs originaires des structures archéologiques fortement arasées situées alentours. L’aggradation de la banquette est attestée au Moyen Age central.

Conclusion du chapitre 1.3.2

Comme à la Boisserie, les chantiers géoarchéologiques ouverts sur les sites de Chez Nicolas, du vallon des Anglais et de la Barre ont permis de mettre à jour des aménagements agraires mérovingiens, utilisant des artéfacts gallo-romains en réemploi. Leur nature est diverse : remblais, terre plein ou gués. Tous ces aménagements sont localisés à proximité de structures d’habitats antiques. Ils témoignent d’une continuité entre les cadres agraires gallo-romains et mérovingiens que la méconnaissance des sites d’habitats du haut Moyen Age ne pouvait laisser supposer.

1.3.3 Trois exemples complémentaires

On dispose, dans la bibliographie, de trois autres études entreprises sur des banquettes agricoles limousines. Dans ces publications, l’apparition des banquettes s’échelonne de la période gallo-romaine au Moyen Age central. Les banquettes du Mas et de Combort sont des indices supplémentaires d’activités agraires non négligeables sur les grands replats limousins.

1.3.3.1 Le Mas (Lamongerie, Corrèze, 420 m)

Sur le replat du Mas, une banquette de culture de 2 m d’épaisseur a été étudiée par Etienne (1992), quelques dizaines de mètres en aval de structures gallo-romaines. Deux phases distinctes d’occupation agricole ont été identifiées par l’auteur.

La première semble contemporaine des structures antiques (elle n’est datée qu’en chronologie relative). Elle a donné naissance à une protobanquette de 0,6 m de hauteur, riche en tegulae.

La présence, à 1,4 m de profondeur, d’un horizon humifère riche en charbons de bois, évoque un abandon temporaire du site, suivi d’un nouvel essartage. La datation isotopique des charbons place le début de cette seconde période d’occupation du sol vers 1255 ± 175 BP (ARC 651), soit le haut Moyen Age. La fourchette chronologique de la date calibrée reste hélas très imprécise : 430 - 1155 ap. J.-C. Les colluvions médiévales ont progressivement fossilisé la protobanquette gallo-romaine, selon un dispositif semblable à celui décrit à la Boisserie et au Bois des Brigands. (cf. supra).

En dépit du hiatus observé dans l’occupation du sol et dans l’habitat (rupture qui se traduit par la perte du patronyme gallo-romain : le Mas, dérivé de manse, étant d’origine médiévale), la limite aval du champ médiéval est venue se recaler sur celle du parcellaire antique, soulignée alors par un talus de 0,6 m de hauteur. Le schéma observé au Mas est donc identique à celui qui a été décrit au Bois de Brigands. En donnant naissance à des banquettes, l’érosion des sols impose, à travers les siècles, une permanence des limites aval de parcelles, en dépit de périodes d’abandon du milieu.

1.3.3.2 Combort (Peyrat-la-Nonière, Creuse, 500 m)

Comme celui du Mas, le replat de Combort porte les traces d’une structure antique assimilée à une villa (Dussot, 1989). Ballet (1994) a étudié quelques-unes des banquettes de culture qui accidentent le replat, en contrebas de la structure gallo-romaine. L’une d’elle a pu être datée, grâce à la présence, à sa base, d’une lentille charbonneuse (composée de fragments de hêtre et de noisetier). Son âge est voisin de celui obtenu au Mas : 1240 ± 65 BP, soit 670 - 940 ap. J.-C. (Ly 6151). La genèse de cette banquette témoigne d’une mise en valeur agricole du replat de Combort durant le haut Moyen Age. S’il y a eu abandon du site après l’Antiquité, celui-ci a été, comme au Mas, de courte durée.

1.3.3.3 Le Châtelard

Au Châtelard, dans les monts d’Ambazac, la banquette étudiée par Valadas (1984) est plus tardive, car sa base est datée de 1120.ap. J.-C. / Ny 479 (aucune information n’est donnée par l’auteur sur l’intervalle de confiance de la datation radiocarbone). Cette banquette, localisée à mi-pente sur un versant de 18°, a donc commencé à s’accumuler au Moyen Age central.