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CHAPITRE III : LES DYNAMIQUES HYDROSÉDIMENTAIRES HOLOCÈNES EN LIMOUSIN

1 LES BANQUETTES AGRICOLES : DES ARCHIVES COLLUVIALES

1.1 La rareté des paléosols holocènes fossiles

Rares sont les sites où l’on peut observer des paléosols holocènes fossilisés intacts sous les colluvions agricoles historiques. Deux sites seulement présentent ce dispositif. A la Maison des Nones de Mars, le paléosol a été scellé sous un monument routier, le cardo maximus d’Augustoritum. A la Maumone, il est en position d’angle mort, enfoui sous un colluvionnement de bas de pente.

1.1.1 La Maison des Nones de Mars (Limoges, Haute-Vienne, 260 m)

A Limoges, dans le quartier de la ville antique, la fouille de la Maison des Nones de Mars (Lousteaud, 1992) a permis de mettre à jour une section du cardo maximus, fossilisé au sein d’un épais complexe colluvial. Le monument routier a été utilisé depuis la période augustéenne jusqu’au milieu du IVe siècle, et a fait l’objet d’une dizaine de recharges successives sur une épaisseur d’environ 1,5 m. Sa présence constitue un bon repère chronologique au sein des dépôts colluviaux. Elle permet de distinguer deux unités sédimentaires d’âge très différent : un remblaiement terrigène postérieur à l’abandon de la ville romaine ; et un paléosol préaugustéen, scellé par la voirie antique.

Stratigraphie et pédochimie

Le colluvium supérieur

Le monument routier antique est fossilisé par un corps sédimentaire très homogène, épais de 2,8 m. Sa texture est sablo-limoneuse, avec une teneur en argile qui avoisine 10 %. Sa couleur noire s’explique par une très forte concentration en matière organique, variant de plus de 16 % vers le sommet, à un peu moins de 5 % à la base. Ce dépôt s’apparente à un horizon Ap hypertrophié, progressivement aggradé par colluvionnement et homogénéisé par les labours. Les analyses chimiques révèlent un pH neutre, des concentrations très élevées en phosphates (de 1000 à 5000 mg/kg) et en calcium (de 4000 à 8000 mg/kg), assez faibles en revanche en magnésium et en potassium. Pour les phosphates, c’est dans la partie sommitale que l’enrichissement est le plus important ; pour le calcium, c’est dans la moitié inférieure. Il n’a pas été possible, faute de charbon de bois fossile, de dater cet épais colluvionnement par le radiocarbone. Seule une datation relative est possible : l’accumulation s’est formée entre la fin de l’Antiquité (la présence du cardo maximus fournissant un terminus post quem) et le XVIIe siècle, époque de la construction, sur ce site, de l’ancien Hôpital général de Limoges. La fourchette chronologique est donc très large.

Le paléosol

La construction du cardo maximus, lors de la fondation d’Augustoritum vers 10 av. J.-C., a permis la fossilisation d’un paléosol préaugustéen. Il s’agit d’un sol brun lessivé aux horizons bien différenciés, mais possédant les caractères d’un ancien sol cultivé.

- L’horizon A mesure une vingtaine de centimètres d’épaisseur. Sa structure très homogène, de type Ap, témoigne d’un remaniement par les labours. Sa teneur en matière organique est de 5 à 6 %, valeur à peu près identique à celle qui a été mesurée dans la partie inférieure du colluvium post gallo-romain. Deux poches de charbons de bois ont été découvertes au sein de l’horizon Ap. Leur datation par le radiocarbone atteste d’un travail agricole durant le 2e Age du Fer : 2145 ± 105 BP (Arc 575) et 2430 ± 180 BP (Arc 577).

- Par sa teinte ocre, son «ventre» argileux, calcique et magnésique, l’horizon sous-jacent s’apparente à un B textural enrichi par illuviation. Son épaisseur est d’environ 0,25 m.

Le paléosol celtique porte la trace d’un net enrichissement phosphaté, même si les concentrations restent faibles en comparaison de celles qui ont été observées dans le colluvium supérieur (200 mg/kg dans l’Ap celtique ; 1000 à 5000 mg/kg dans les colluvions médiévales). Des traces modérées d’enrichissement s’observent également pour le calcium et le magnésium.

Synthèse et discussion

La construction du cardo maximus a entraîné, lors de la fondation d’Augustoritum, la fossilisation d’un paléosol préaugustéen. Cultivé durant le 2e Age du Fer, ce paléosol possède un horizon Ap légèrement enrichi en phosphates et en bases qui suggère l’emploi modéré de fumures. En effet, le scellage du paléosol par un galetage compacté et rechargé à de multiples reprises a créé un milieu clos qui rend improbable le risque de pollution postceltique, bien que cette éventualité ne puisse pas être toutefois totalement écartée. En l’absence de toute information sur la localisation des habitats gaulois, l’interprétation de ces résultats comme indicateurs agronomiques reste délicate. S’ils évoquent en effet un usage modéré des fumures, nous ignorons si ce champ appartenait à la première auréole de cultures, mise en valeur intensivement, ou s’il se localisait à une plus grande distance des habitats, dans un secteur cultivé de façon plus extensive. Cependant, en dépit de ces imprécisions, la présence, sous le cardo maximus d’Augustoritum, d’un paléosol celtique cultivé incite à penser que la ville antique n’a pas été fondée dans un lieu désert, mais au sein d’un espace déjà rural.

Après l’abandon de la ville antique, le cardo maximus a été fossilisé à son tour par un épais colluvionnement d’origine agricole. Son âge n’est connu que de façon très imprécise, puisqu’il s’accumule au cours d’une période qui peut s’étendre du haut Moyen Age au XVIIe

siècle. Ce dépôt colluvial possède des teneurs exceptionnellement élevées en matière organique, en phosphates et en calcium, qui témoignent d’une mise en culture intensive, caractérisée par un usage abondant des amendements organiques. Les plans cadastraux datés du bas Moyen Age et des Temps modernes attestent de la présence, en ces lieux, de jardins périurbains. Cette activité de jardinage s’accorde bien avec les dépôts corrélatifs très enrichis identifiés sur le site de la Maison des Nones de Mars.

1.1.2 La Maumone (Sadroc, Corrèze, 400 m, figures 2-5 et 2-6)

Le site de la Maumone correspond à la partie supérieure d’une tête de vallon de rang 0. Localisé au-dessus de la ligne de source, il s’agit d’un vallon sec, mais son microtoponyme «la rivierotte» évoque l’existence d’écoulements temporaires. Dans le cadre de l’opération archéologique de l’autoroute A20 (section Vigeois-Donzenac / Corrèze), diverses structures ont été mises à jour et étudiées : trois trous de poteaux, deux fosses et un fossé rectiligne repéré sur 58 m de longueur (Best, 1995 ; Allée et Duplaix-Rata, 1996). Les tranchées ouvertes pour l’analyse des structures archéologiques ont permis d’étudier le complexe colluvial qui empâte le fond de vallon. Au-dessus du substrat gneissique altéré, deux unités sédimentaires se superposent : une accumulation colluviale au sommet et un paléosol enterré à la base.

Stratigraphie et pédochimie

Le colluvium supérieur

D’une épaisseur totale de 0,7 à 0,8 m, le colluvium supérieur est composé de deux séries sédimentaires superposées. La série sommitale est un véritable horizon Ap brun homogénéisé, de

pluricentimétrique, s’intercalent au sein de l’Ap limono-sableux. Des épisodes de ruissellement concentré ont donc, à plusieurs reprises, entrecoupés la dynamique colluviale. Celle-ci a d’ailleurs été précédée par un épisode d’écoulement concentré plus important, matérialisé par l’existence d’un lit argileux de 0,1 m d’épaisseur, riche en micas et marqué par des traces d’oxydo-réduction. Cette couche argileuse fossilise l’horizon A du paléosol sous-jacent. Si le corps colluvial possède bien, dans l’ensemble, les caractères physiques d’un Ap, les analyses pédologiques montrent qu’il a été fort peu amendé. Seule la partie sommitale de l’Ap a été enrichie en cations basiques par l’usage moderne des engrais. Les teneurs y sont très fortes pour le calcium (jusqu’à 600 mg/kg), moyennes pour le magnésium et le potassium (75 mg/kg). En revanche, les concentrations en phosphates sont insignifiantes, n’excédant pas 7 mg/kg. La teneur en matière organique varie, quant à elle, de 3,5 % à 0,15 m de la surface, à 1,5 % à 0,55 m, valeurs moyennes pour un Ap.

Le paléosol

Les trois niveaux qui se distinguent au sein du paléosol évoquent d’anciens horizons A, B et C. - L’horizon sommital est le moins épais des trois : 0,1 à 0,15 m. Il s’agit d’un niveau brun, riche en

matière organique, caractéristique d’un horizon A ou plus exactement d’un horizon Ap. En effet, deux éléments plaident en faveur d’un ancien travail agricole de cet horizon : sa grande richesse en charbons de bois, témoignage probable d’un brûlis ; et l’incorporation en son sein de nombreuses poches ocres issues du B sous-jacent, qui suggère un brassage mécanique. Toutefois, la très bonne conservation des charbons, qu’il s’agisse de leur nombre ou de leur taille, au sein d’un ancien horizon superficiel pourtant peu épais, évoque une fossilisation protectrice rapide et donc une première mise en culture assez courte. Celle-ci est datée par le radiocarbone de 1970 ± 45 BP, soit en âge calendaire 40 av. J.-C. à 130 ap. J.-C. (Ly 7848). La détermination des charbons de bois a mis en évidence la présence d’essences variées : Alnus 63 %,

Pomoïdeae 14 %, Prunoïdeae 8 %, Corylus 10,5 %, Fagus 3,5 % et Salix 1 %. L’abondance de l’aulne n’est pas surprenante pour un site de fond de vallon et traduit bien la présence de sols humides. Le fossé rectiligne repéré lors de la fouille avait vraisemblablement une fonction d’assainissement. Quant au fort taux d’essences de lumière, il révèle que le brûlis n’a pas été réalisé au détriment d’un couvert forestier dense, mais dans un milieu déjà largement ouvert. Cet ancien horizon Ap ne porte aucune trace d’enrichissement agronomique. La teneur en phosphates y est nulle, les concentrations en cations y sont les plus faibles du profil.

- L’épaisseur de l’horizon B varie de 0,2 à 0,4 m. De couleur ocre, il est modérément enrichi en matière organique et recèle quelques petits charbons de bois. Sa texture, limono-sableuse, contient jusqu’à 30 % d’argile. Il s’agit d’un ventre argileux lié au mécanisme d’illuviation, phénomène typique d’un horizon Bt. Le contact avec l’horizon C sous-jacent est irrégulier, il dessine des sinuosités interprétées comme la pénétration de racines.

- A la base, l’horizon C est le plus épais, avec 0.4 m de hauteur. Il s’agit d’une formation sablo-limoneuse faiblement caillouteuse, de couleur beige, très pauvre en matière organique (0,5 %) et dépourvue de charbon de bois. Elle suggère un héritage d’origine périglaciaire, ayant servi de roche mère au paléosol.

- Le substrat gneissique, visible sous l’horizon C, porte également, dans sa partie sommitale, des marques de pédogenèse (teneur en matière organique atteignant près de 0,5 %). Il s’avère particulièrement riche en calcium et en magnésium.

Le fossé évoqué dans l’introduction a été creusé dans l’unité sédimentaire inférieure, c’est à dire dans le paléosol. Sa profondeur est de 0,7 m, pour une largeur à la base de 0,4 m.

Synthèse et discussion

La coupe de la Maumone a permis l’observation d’un paléosol holocène, enterré sous un colluvionnement d’origine agricole. Ce paléosol a été cultivé car l’ancien horizon A possède les caractères d’un Ap. Sa mise en culture, qui date du début de l’époque gallo-romaine, semble avoir été relativement brève car elle n’a pas eu le temps de détruire la structure du sol holocène. Cette brièveté s’explique vraisemblablement par une fossilisation rapide sous des apports sédimentaires. Dans un premier temps, pendant la période gallo-romaine, dynamiques alluviale et colluviale ont alterné dans l’axe du vallon, puis la dynamique colluviale l’a emporté.

Ni l’horizon A de l’ancien sol holocène, ni l’épais horizon Ap du corps sédimentaire supérieur ne portent de trace d’enrichissement cultural (excepté pour l’horizon sommital le plus récent). La faiblesse des teneurs en phosphates observées sur l’ensemble du complexe pédologique de la Maumone incite à penser qu’il s’agit historiquement d’un champ froid, ayant peu bénéficié de fumures.

Conclusion du chapitre 1.1.2

Des dispositifs morphologiques particuliers ont permis, sur les sites de la Maison des Nones de Mars et de la Maumone, la fossilisation de paléosols holocènes non érodés. Il s’agit dans les deux cas de sols bruns faiblement lessivés, portant des traces de mise en culture. Celle-ci est datée du 2e Age du Fer aux Nones de Mars, du début de l’Antiquité à la Maumone. La conservation des sols holocènes est rare. En général les banquettes recouvrent des sols tronqués, partiellement ou totalement.