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CHAPITRE III : LES DYNAMIQUES HYDROSÉDIMENTAIRES HOLOCÈNES EN LIMOUSIN

1 LES BANQUETTES AGRICOLES : DES ARCHIVES COLLUVIALES

1.2 Des archives pédochimiques historiques

1.2.2.2 Le Bois des Brigands (Valiergues, Corrèze, 645 m, figures 2-13 et 2-14)

Identifié dès les années cinquante (Vazeilles, 1956 et 1958), le village médiéval déserté du Bois des Brigands a, dans les années quatre-vingts, fait l’objet de fouilles archéologiques exhaustives (Conte, 1987 et 1988 ; Conte et Desgranges, 1987). Ces dernières ont concerné deux des trois éléments archéologiques reconnus : le site central et les Cabanes de Liéras. Les divers éléments chronologiques recueillis (datations radiocarbone, dendrochronologie et mobilier céramique) témoignent de deux phases d’occupation médiévales. La première se situe autour de l’An Mil. Elle est attestée par la découverte de silos datés par le 14C de 915 ± 40 BP, soit en âge calibré 1020 - 1210 ap. J.-C. La seconde période d’occupation du site débute vers la fin du XIIIe siècle, suivie d'une occupation assez brève, durant le XIVe siècle et peut-être le début du XVe siècle.

Riche dans le domaine de l’archéologique classique (structures nombreuses, mobilier céramique et métallique abondant et varié) le Bois des Brigands l’est aussi en matière d’archéologie agraire, car le village déserté est entouré de nombreuses banquettes agricoles et de plusieurs vallons tourbeux.

Dans le cadre du P.C.R. d’archéologie agraire, trois banquettes d’accumulation agricole ont été ouvertes, entre le site central du Bois des Brigands et les Cabanes de Liéras. Deux d'entre elles sont des banquettes majeures situées au contact de terroirs différents : le bas de versant cultivable et le fond de vallon humide. L'hydromorphie observée à la base de ces banquettes a favorisé la conservation de nombreux macrorestes datables par le radiocarbone. Elles ont donc fait l'objet d'une étude détaillée. En revanche, la troisième banquette, ouverte à mi-versant, n'a révélé aucun macroreste. Son étude n'a pas été poursuivie.

Stratigraphie et micromorphologie

Outre des analyses granulométriques et chimiques, fréquemment entreprises sur les autres sites, les banquettes du Bois des Brigands a fait l’objet d’une étude micromorphologique, réalisée par A. Gebhardt, de l’UMR 153 du CNRS (Gebhardt, 1995).

Figure 2-13 A : Le Bois des Brigands, banquette I coupe A

Banquette I / Coupe A

L’épaisseur totale de l'accumulation agricole atteint 1,6 à 1,7 m. Elle se compose de trois niveaux distincts.

- Le sommet de la banquette est formé d'un horizon de labour de type Ap, clair et bien structuré, de 1,2 m d’épaisseur. Il peut être subdivisé en deux sous - unités (1a et 1b), car les 25 cm supérieurs apparaissent très fortement bioturbés. A sa base, entre 1,1 et 1,2 m de profondeur, cet horizon Ap contient de nombreux charbons de bois. L’assemblage anthracologique est formé de Quercus (56 %), de Betula (36 %), de Fagus (2,5 %), de Pomoïdeae (2,5 %), de Cytisus (2 %) et de

Prunoïdeae (1 %). Ce niveau charbonneux évoque les vestiges d’un essartage réalisé au détriment d’une jeune forêt-friche, riche en essences de lumière. La datation 14

C des charbons a donné le résultat suivant : 610 ± 35 BP, soit 1305 - 1405 ap. J.-C. (Ly 7497), ce qui est en conformité avec la deuxième phase d’occupation du site archéologique

- Un second horizon Ap de 0,4 m de hauteur, clair et peu structuré, repose directement sur l'arène en place.

Figure 2-13 B : Le Bois des Brigands, banquette I coupe B

Banquette I / Coupe B

Elle révèle, à l'instar de la coupe A, un lit riche en charbons de bois intercalé entre deux horizons de culture hypertrophiés. Mais l'ensemble de la séquence sédimentaire y est sensiblement différente. Au-dessus de l’arène en place, la description stratigraphique et les analyses micromorphologiques permettent de distinguer trois principaux corps sédimentaires au sein de la banquette.

- L’horizon Ap supérieur peut être divisé en deux sous-unités 1a et 1b, en fonction du degré de bioturbation. Cet ensemble colluvial, de 0,6 m de hauteur, présente de nombreux revêtements argileux poussiéreux grossiers qui évoquent une mise à nu de la parcelle par des labours de surface. La présence de terriers de lombrics témoigne d’un sol plutôt neutre et riche en matière organique. Comme sur la coupe A, la base de cet horizon Ap supérieur contient un lit de charbons de bois, dont l’âge calibré est comparable : 730 ± 40 BP, soit 1235 - 1390 ap. J.-C. (Ly 7498). L’assemblage anthracologique présente également de fortes similitudes : 69 % pour Quercus, 24 % pour Betula et 7 % pour Cytisus.

- Sous la discontinuité structurale soulignée par le lit charbonneux, les horizons 2a et 2b, épais de 0,7 m, attestent d’une phase de colluvionnement plus ancienne. Cette unité colluviale est caractérisée par la présence de fragments roulés (à rapprocher de l’horizon minéral 4), plus clairs, plus biréfringents et allochtones en 2a, et par une fraction plus grossière en 2b. L’érosion a donc atteint le substrat en amont du site, au moment du dépôt de 2a.

- L’horizon inférieur, d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur, résulte d’un épisode de colluvionnement initial, attesté par des fragments roulés de sédiments organoferreux, reliques d’horizons organiques colluvionnés depuis l’amont. Cependant, la présence dans ce niveau de quelques revêtements argileux limpides jaunes témoigne également d’une phase de stabilisation postérieure, avec reprise du couvert forestier.

- On retrouve à la base la roche en place altérée. L’analyse micromorphologique permet de diagnostiquer la racine d’un ancien horizon Bt, caractérisé par des revêtements argileux limpides. Il s’agit de la base d’un sol de type brun lessivé. Ce dernier a été tronqué par l’érosion, qui a détruit les horizons organominéraux et organiques originels.

Banquette II / Coupe C

La deuxième banquette étudiée mesure 2,5 m de hauteur. Elle se situe également au contact d’une ancienne parcelle cultivée et d’une parcelle hydromorphe occupée par une petite tourbière. La coupe C révèle une accumulation d'origine agricole dont la stratigraphie est particulièrement intéressante. Trois unités lithostratigraphiques s’y distinguent.

- La partie supérieure de la coupe est constituée d’une épaisse accumulation colluviale de type Ap, homogène, de 1,2 à 1,4 m de hauteur. A sa base, elle repose sur une protobanquette qu’elle fossilise. La discontinuité entre les deux corps sédimentaires est macroscopiquement très nette (texture, structure et couleur différente). Le talus de la paléobanquette est recouvert par un tablier de cailloux et de blocs hétérométriques, mélangés à de la terre fine. Il ne s'agit pas d'une construction au sens strict car la structure n’est pas organisée. L'inclinaison des cailloux montre qu'ils ont été déversés en vrac depuis le sommet de la banquette. La présence de terre fine entre les éléments grossiers évoque cependant une accumulation progressive, peut-être dans le cadre d'opérations répétées d’épierrement du champ en amont. Le sommet de ce tablier caillouteux a livré un tesson et de nombreux charbons de bois. Leur datation est la suivante : 705 ± 55 BP, soit 1235 - 1390 ap. J.-C. (Ly 7500). Ils sont donc contemporains des charbons fossilisés dans les coupes A et B, et coïncident avec la seconde période d’occupation du site médiéval. La détermination des charbons révèle un couvert végétal identique à celui décrit dans la banquette I, de type jeune forêt-friche : Quercus 63 % ; Betula 31 % ; Pomoïdeae 2,5 % ; Fagus 2 % ; Cytisus 1 % et Corylus 0,5 %.

- La partie inférieure de la coupe est caractérisée par un Ap de 0,8 m de hauteur. Il témoigne d’un premier épisode de colluvionnement, ayant donc donné naissance à une protobanquette. Une discontinuité structurale ténue s’observe au sein de cet Ap inférieur, soulignée par un lit de cailloux et de charbons de bois. Cependant, les horizons 2a et 2b situés de part et d’autre sont assez semblables, très remaniés et riches en microfragments organiques plus ou moins humifiés, voire carbonisés. L’absence de traits micromorphologiques liés à la mise en culture du sol (revêtements argileux, lombrics) fait pencher pour une mise en place rapide du niveau 2. Des charbons de bois ont été découverts dans les 10 cm inférieurs de l’horizon 2b. L’assemblage anthracologique évoque une hêtraie déjà dégradée par l’homme, car les essences héliophiles sont abondamment représentées : Fagus 58,5 % ; Betula 19,5 % ; Quercus 15,5 % ; Corylus 4,5 % ; Prunoïdeae 1,5 % et Cytisus 0,5 %. L’analyse 14

C des charbons a donné le résultat suivant : 970 ± 40 BP, soit 1010 - 1165 ap. J.-C. (Ly 8089). La genèse de la protobanquette est donc contemporaine de la 1ère phase d’occupation médiévale du site, peu après l’An Mil.

- La base de la banquette repose sur la roche arénisée. Sur les quinze premiers centimètres, celle-ci présente des traces de remaniement et contient des microfragments organiques apparemment carbonisés. Comme sur la coupe précédente, ce niveau correspond à la racine de l’horizon B d’un ancien sol brun holocène, tronqué par l’érosion. Dans la partie aval de la banquette, un bois de chêne carbonisé repose directement sur la racine de l’ancien sol. Le fait que ce bois carbonisé ne soit pas désagrégé en morceaux épars permet de penser qu’il se situe en position primaire. Son âge 14C est de 4330 ± 55 BP, soit après calibration 3085 - 2790 av. J.-C. (Ly 7499). Il atteste donc d’une première phase d’érosion des sols dès le Néolithique moyen.

Analyses granulométriques et chimiques

Les trois coupes présentent une allure générale commune, mais leurs profils ne sont toutefois pas exempts de nuances.

Banquette I / Coupes A et B

Trois faits majeurs se dégagent des diagrammes.

- Un contraste net oppose la roche en place et les horizons d'accumulation. Les horizons 1 et 2 ont en effet une granulométrie plus fine, ils sont plus riches en matière organique et en phosphates que la roche en place. En revanche, ils apparaissent plus pauvres en bases et plus acides que l'arène.

- Au-dessus du niveau charbonneux, on observe la présence d'un horizon enrichi en matière organique, en phosphates, en calcium et en magnésium. Cet enrichissement est inégal mais il atteint, sur la coupe A, près de 1500 % pour le calcium.

- Sur la coupe B, l’horizon 3 qui correspond à un niveau remanié plus ancien se situe granulométriquement et chimiquement en position intermédiaire par rapport aux horizons d'accumulation et à la roche en place.

Figure 2-14 A : Le Bois des Brigands, coupe A, analyses pédochimiques

Figure 2-14 B : Le Bois des Brigands, coupe B, analyses pédochimiques

Banquette II / Coupe C

- On retrouve, sur la coupe C, une opposition entre la roche en place et les horizons d'accumulation semblable à celle observée sur les coupes A et B. Peu visible pour la granulométrie, cette opposition est nette chimiquement : l'arène en place est plus riche en bases et moins acide que les horizons labourés, mais elle est plus pauvre en matière organique et en phosphates.

- En revanche, les horizons d’accumulation 1 et 2 possèdent chimiquement l’homogénéité la plus forte des trois coupes. Seul l'horizon 2b, situé à la base, présente un enrichissement notable en matière organique et en calcium.

Figure 2-14 C : Le Bois des Brigands, coupe C, analyses pédochimiques

Synthèse et discussion

Les banquettes étudiées autour du site archéologique du Bois des Brigands ont permis de retrouver les témoins de trois phases distinctes d’occupation agricole.

La plus ancienne phase reconnue correspond au Néolithique final. Elle a entraîné la destruction par érosion du sol brun holocène originel, dont il ne subsiste plus, dès l’époque néolithique, que la racine. On ne peut hélas attribuer aucune signification paléobotanique à la nature des charbons fossilisés (du chêne), car les fragments déterminés proviennent vraisemblablement d’une seule branche.

La seconde phase d’occupation agricole identifiée coïncide avec le premier état du site médiéval, peu après l’An Mil. L’érosion des sols cultivés entraîne alors la genèse d’une première génération de banquettes. Les essartages sont réalisés au détriment d’une hêtraie, mais il ne s’agit déjà plus d’une hêtraie primaire. L’abondance des essences héliophiles (chêne, bouleau, noisetier, prunoïdées et genêt) traduit un couvert végétal ouvert, produit de défrichements antérieurs non datés.

Enfin, une troisième période d’occupation agraire est attestée à partir du XIIIe ou XIVe siècle, contemporaine donc du deuxième état du site médiéval. Ce nouvel épisode cultural entraîne la fossilisation des protobanquettes. Il est inauguré par l’essartage d’une jeune forêt-friche, riche en essences héliophiles, probablement développée à la suite d’un abandon temporaire du site. Les charbons de bois exhumés du four à pain du village, lors de la fouille archéologique, évoquent le même paysage végétal : une forêt-friche de type chênaie - bétulaie (Petit, 1998). Les horizons pédologiques datés du XIIIe ou XIVe siècle portent la trace d’un enrichissement modéré en phosphates, qui suggère la pratique de fumures sur les banquettes situées dans l’environnement immédiat du village (distant de moins de 50 m). Les limites aval des parcelles cultivées au XIIIe ou XIVe siècle ont été calées sur les talus hérités de la période précédente.

Alors que le village médiéval du Bois des Brigands semble abandonné dès le début du XVe siècle, la mise en culture de l’ancien finage se prolonge vraisemblablement plus tardivement, à en juger par l’épaisseur des colluvions postérieures au bas Moyen Age.

Conclusion du chapitre 1.2.2

Isolée de tout contexte archéologique, la banquette de Vaujour reste difficile à interpréter. Beaucoup plus significatives sont les banquettes du Bois des Brigands. Elles ont enregistré assez fidèlement les avatars de la mise en valeur du finage médiéval. Elles ont mémorisé les différentes périodes d’occupation du village, et nous renseignent également sur les épisodes d’enfrichement ainsi que sur l’usage modéré des fumures.

1.2.3 Les autres études limousines

D’autres auteurs ont également réalisé, en Limousin, des études pédochimiques sur les banquettes agricoles. Ces travaux de recherche sont au nombre de trois. Leurs principaux acquis sont rappelés ci-dessous.

1.2.3.1 Le Vieux-Bourg (Eyburie, Corrèze, 380 m)

Au Vieux-Bourg, sur le versant nord de la vallée de la Vézère, de grandes banquettes agricoles dont la dénivellation peut atteindre 2,5 m ont été étudiées par Etienne (1992). L’une d’elle a pu être datée, à la base, de 2250 ± 330 BP, soit après calibration 1210 av. J.-C. - 525 ap. J.-J.-C. (ARC 650). La datation radiométrique, réalisée sur une faible quantité de charbons de bois, possède un très large intervalle de confiance et demeure donc très imprécise. Elle situe l’apparition de la banquette à l’Age du Fer ou à l’époque gallo-romaine. Comme sur la plupart des sites limousins, les colluvions d’origine agricole reposent directement sur l’arène in situ. Ce dispositif stratigraphique atteste l’existence d’un épisode de mise en valeur antérieur qui, préalablement à la dynamique colluviale historique, a érodé le sol brun holocène.

La banquette est formée d’un horizon Ap assez homogène, qu’il s’agisse de la texture, de la structure ou de la chimie. Les enrichissements chimiques demeurent limités par rapport à la roche en place. La présence toutefois, dans le niveau inférieur d’époque celtique ou gallo-romaine, de teneurs en matière organique, en phosphates et en cations basiques plus élevées que dans le reste du profil (dans des proportions variant de 50 à 200 %) est interprétée par l’auteur comme la trace de probables amendements agricoles. Mais avec des valeurs qui n’excèdent pas 30 mg/kg pour les phosphates, ces marques présumées d’anciennes fumures restent ténues.