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CONCLUSION CHAPITRE 1

2 LES REMBLAIEMENTS ORGANOMINÉRAUX DE FONDS DE VALLONS (RANG 0 A )

2.1 Un long enregistrement sédimentaire sur les hautes terres limousines

2.1.2 Les remplissages organominéraux de l’Holocène récent

A la différence des tourbières de l’Holocène ancien et moyen, ces remplissages organo-minéraux sont indifférents au dispositif morphologique. Ils empâtent de multiples vallons élémentaires, même lorsque ceux-ci, étroits et pentus, ne présentent pas de conditions particulièrement hydromorphes. Les recherches géoarchéologiques entreprises sur quatre d’entre eux révèlent qu’il s’agit de tourbières fluviogènes, où se combinent accumulations organiques et séries alluviales.

2.1.2.1 Ronteix (Gioux, Creuse, 725 m, figure 2-21)

A 725 m d’altitude, au nord du plateau de Millevaches, le vallon de Ronteix draine la cloison d’un alvéole granitique. Dans sa partie aval, cet axe hydrographique de rang 1 possède un plancher alluvial de 60 à 80 m de largeur. A l’occasion de travaux d’assainissement préalables à une plantation de résineux, de nombreuses tranchées ont été ouvertes dans le vallon, ainsi que sur les bas de versants adjacents. Ces tranchées ont permis d’étudier le remblaiement organominéral du fond de vallon dans de très bonnes conditions.

Figure 2-21 : Le Ronteix, coupe stratigraphique transversale

Stratigraphie

Une coupe transversale de 50 m de longueur, représentative du dispositif général, a été relevée et étudiée. Trois corps sédimentaires s’y distinguent.

- Le substrat granitique n’est pas visible. La base de la coupe est constituée par une nappe limono-sablo-graveleuse assez compacte, riche en cailloux de quartz. Ce corps sédimentaire recouvre

entaillée par trois paléochenaux juxtaposés, aux formes similaires. Il s’agit de chenaux larges de 6 à 10 m, dont la profondeur varie de 0,5 à 0,7 m. Deux d’entre eux ont des berges nettement dissymétriques, indice d’un tracé sinueux. Les trois paléochenaux sont étagés : le chenal ouest occupe l’ancien axe de talweg du vallon ; le plancher du chenal central est situé à + 0,25 m de dénivelé ; et celui du chenal oriental, localisé au pied du versant gauche, est à + 0,55 m.

- Les trois paléochenaux contiennent, en quantité variable, des corps sableux inégalement lités. Dans les bras est et ouest, il s’agit de bancs sableux peu épais, qui peuvent être assimilés à d’anciennes charges de fond en transit. Le dispositif diffère nettement dans le chenal central. Ce dernier est totalement remblayé par des apports sableux qui atteignent 0,7 m d’épaisseur, et recouvrent même l’ancien lit majeur en rive gauche. C’est dans ce corps sableux que les litages sont les plus nets. Plusieurs accumulations de bois et de charbons de bois sont fossilisées avec les sables. La lentille de charbons de bois reposant au sommet du remblaiement sableux a fait l’objet d’une analyse anthracologique et d’une datation 14C. L’assemblage anthracologique contient 74 % de Betula, 19 % de Salix et 7 % d’Alnus, soit une végétation typique de sols pauvres et hydromorphes. Son âge est de 1930 ± 60 BP, soit 35 av. J.-C. - 230 ap. J.-C. (Ly 7902), c’est à dire la première moitié de la période gallo-romaine.

- Le troisième corps sédimentaire est formé par une accumulation organique qui recouvre l’ensemble du plancher alluvial ainsi que le bas des versants. C’est l’unité stratigraphique la plus importante en extension comme en épaisseur (1 m d’épaisseur en moyenne, 1,5 m dans les paléochenaux). Au droit du chenal central, la sédimentation tourbeuse est postérieure aux apports détritiques du Ier ou IIe siècle de notre ère. Mais elle s’est amorcée plus tôt dans d’autres secteurs du vallon. A la base du paléochenal ouest, au contact avec la lentille sableuse qui en recouvre le plancher, un échantillon de tourbe a été prélevé et daté : 3820 ± 45 BP, soit 2430 - 2110 av. J.-C. (Ly 8093). Dans ce chenal occidental, le plus élevé, le début de la turfigenèse remonte donc à la deuxième partie du Subboréal. Elle traduit une évolution de type bras mort avec fossilisation de l’ancienne charge de fond.

Actuellement, le dépôt tourbeux est entaillé par un chenal rectiligne, artificiellement aménagé par l’homme.

Synthèse et discussion

Durant la première partie de l’Holocène, le plancher du vallon de Ronteix reste aménagé sur la nappe à cailloutis héritée de la dernière période froide du Pléistocène. Le ruisseau y coule dans un lit incisé sinueux, formé d’un chenal principal et de plusieurs bras secondaires. Ces chenaux demeurent fonctionnels durant la majeure partie de l’Holocène, au moins jusqu’au milieu du Subboréal. Leur fossilisation, à la fin de l’Holocène, s’est échelonnée dans le temps. Le chenal ouest a cessé d’être actif dès la fin du Subboréal, et il a évolué en bras mort, progressivement comblé par la tourbe. Le chenal central a fonctionné jusqu’au début de notre ère et doit sa fossilisation à d’importantes injections détritiques qui l’ont totalement remblayé. L’âge de la fossilisation du troisième chenal n’est en revanche pas connu. Durant la période historique, le vallon de Ronteix devient le siège d’une abondante sédimentation tourbeuse qui rompt complètement avec le fonctionnement hydrologique de la première partie de l’Holocène. Cette phase turfigène est toutefois interrompue au début de notre ère par une brève crise détritique.

2.1.2.2 La Veyssière (Lignareix, Corrèze, 700 m, figure 2-22)

De rang hydrologique 1, ce vallon est situé sur la bordure méridionale du plateau de la Courtine, à 700 m d’altitude. Des travaux d’assainissement agricole ont permis d’étudier le remplissage organominéral du fond de vallon, large d’une cinquantaine de mètres.

Figure 2-22 : La Veyssière, coupe stratigraphique longitudinale

Stratigraphie

La tranchée d’assainissement a été ouverte sur plusieurs dizaines de mètres de longueur, dans l’axe longitudinal du vallon. Une étude stratigraphique détaillée a été réalisée sur une section de 12 m de longueur, particulièrement significative sur le plan sédimentaire. Quatre unités lithostratigraphiques s’y observent.

- Le substrat rocheux est formé par un gneiss fortement altéré et gleyifié.

- Il est recouvert par une nappe grossière dont l’épaisseur varie de 0,25 à 0,5 m. Son absence de structure et sa texture sablo-graveleuse riche en cailloux évoquent une mise en place sous climat périglaciaire, pendant la dernière période froide. Cette nappe est entaillée par un paléochenal aux berges nettement dissymétriques. Sa largeur est d’environ 3 m et sa profondeur atteint 0,45 m. Son plancher est presque au niveau de la roche en place. Sur la coupe située en vis-à-vis, le chenal est décalé de près de 2 m, ce qui traduit une forte sinuosité.

- Le paléochenal est totalement remblayé par une série de séquences sableuses bien lavées, intercalées de passées limono-organiques. Au sommet, un des lits a livré des macrorestes ligneux. Leur analyse dendrologique a mis en évidence 42 fragments d’Alnus et 1 fragment de

Salix. Il s’agit donc de bois provenant de la ripisylve. Leur datation 14

C a permis de caler chronologiquement la fin de l’épisode de forte activité alluviale : 2015 ± 40 BP, soit 100 av. J.-C. - 75 ap. J.-C. (Ly 8088).

- Nappe à cailloutis et série sableuse sont fossilisées sous une accumulation organique variant de 0,8 à 1,1 m d’épaisseur. Le passage de la phase détritique à la sédimentation organique semble graduel, comme en témoigne l’imbrication stratigraphique entre ces deux corps sédimentaires, ainsi que la présence de lits sableux à la base de la tourbe.

Synthèse et discussion

Durant l’Holocène, le lit mineur du ruisseau de la Veyssière est incisé et décrit des sinuosités dans une nappe caillouteuse, vraisemblablement héritée de la dernière période froide du Quaternaire. Un seul chenal est visible en coupe, mais la disposition longitudinale de cette dernière n’est pas propice à l’observation de bras latéraux. Ce mode de fonctionnement est brutalement interrompu par une crise détritique qui entraîne la fossilisation du paléochenal sous de volumineux apports sableux. Comme sur le site de Ronteix, cette crise alluviale s’est produite au début de notre ère, au cours du Ier siècle av. J.-C. ou du Ier siècle ap. J.-C. A la suite de cette crise, le vallon connaît, durant la période historique, une forte sédimentation organique, favorisée vraisemblablement par l’augmentation de l’hydromorphie consécutive au remblaiement du chenal.

2.1.2.3 Paillier (Gentioux-Pigerolles, Corrèze, 800 m)

Des travaux d’assainissement préalables à la création d’un étang ont permis d’étudier le remplissage sédimentaire du petit vallon situé en contrebas du village de Paillier. Ce dernier a abrité, au Moyen Age, une commanderie de l’ordre des Templiers. Des prospections réalisées dans le cadre de la carte archéologique ont permis également de découvrir des indices de site gallo-romain dans les environs immédiats du village, grâce au ramassage de surface de tessons et de tuiles à rebord (J.-F. Durieux, communication orale).

Stratigraphie

Le centre du vallon est remblayé par une accumulation exclusivement organique qui atteint près de 2 m d’épaisseur. Elle repose sur une nappe grossière, riche en cailloux.

Sur la rive droite du vallon, en revanche, juste en contrebas du village, une des coupes a révélé une stratigraphie plus complexe, où alternent niveaux tourbeux et passées minérales. L’accumulation mesure alors 1 m d’épaisseur environ. Les apports minéraux présentent un dispositif stratigraphique varié. Ils peuvent être diffus au sein de la tourbe, mais sont plus généralement disposés en courtes lentilles ou en lits fins allongés. De nombreuses passées charbonneuses ont été observées. L’une d’elle, disposée à la base de l’accumulation organominérale, était mélangée avec des bois et avec des tessons d’époque gallo-romaine et des tuiles à rebord. La détermination des macrorestes révèle une forte dominante de hêtre, associée à un cortège d’essences héliophiles. Le spectre anthracologique est constitué de Fagus (87 %), de Corylus (8 %), de Fraxinus et de Quercus (2,5 % chacun). L’assemblage dendrologique montre une plus forte représentation des essences de lumière : Fagus (50 %), Prunoïdeae (28 %), Betula (15 %) et Corylus (7 %). Les bois et charbons de bois ont été datés par le radiocarbone : 425 ± 40 BP, 1430 -1620 ap. J.-C. pour la date calibrée (Ly 8090), soit un âge beaucoup plus récent que les tessons auxquels ils sont associés.

Synthèse et discussion

En dépit des indices d’une occupation antique sur le site de Paillier, les archives colluvio-organiques étudiées dans le fond du vallon sont postérieures au Moyen Age. Elles ont remanié des artéfacts d’époque gallo-romaine, disposés au sein des sédiments en position secondaire. Cette sédimentation témoigne d’une forte activité érosive dans le bassin versant au début des Temps modernes, puisque les apports colluviaux ont atteint, à cette époque, le

Dans la mesure où seules les essences ligneuses sont conservées, les analyses dendrologiques et anthracologiques ne fournissent qu’une image très incomplète du paysage végétal. Néanmoins, malgré une bonne représentation des essences de lumière, la prédominance du hêtre dans les lots étudiés à Paillier évoque, au début des temps modernes, un couvert forestier encore assez important localement.

2.1.2.4 Le Bois des Brigands (Valiergues, Corrèze, 645 m)

Le vallon du Bois des Brigands, localisé sur les hauts plateaux corréziens, a révélé un schéma chronostratigraphique assez proche de celui qui a été observé à Paillier. A 250 m environ en aval du site géoarchéologique présenté précédemment (cf. supra), un sondage palynologique a été effectué dans le remblaiement organique du vallon (Allée et al., 1996). L’accumulation tourbeuse mesure 1,15 m d’épaisseur et repose sur une nappe sablo-graveleuse. La colonne tourbeuse est interrompue par plusieurs passées sableuses d’origine alluviale. Le lit sableux le plus proche de la base de l’accumulation organique (à 1 m de profondeur) contenait des fragments de bois qui ont été datés par le 14C. Leur âge est de 515 ± 50 BP, 1320 -1475 ap. J.-C. (Ly 7323) après calibration, soit le XIVe ou le XVe siècle. Selon un schéma assez proche de celui décrit à Paillier, c’est donc à la fin du bas Moyen Age ou au début des Temps modernes que la tourbe semble commencer à s’accumuler dans le fond de vallon du Bois des Brigands. Cette dynamique est de peu postérieure à la deuxième phase d’occupation médiévale du site agricole. Elle s’accompagne d’injections alluviales qui traduisent également une activité érosive sur les versants.

Conclusion du chapitre 2.1.2

Dans les quatre vallons étudiés ci-dessus, aux planchers assez étroits et pentus, la turfigenèse est un phénomène tardif, qui ne se déclenche qu’à l’Holocène récent, à la fin du Subboréal et surtout au Subatlantique. Cette sédimentation tourbeuse s’accompagne de phases d’alluvionnement ou de colluvionnement qui semblent d’ailleurs le plus souvent inaugurer le remblaiement organique généralisé du fond des vallons. A Ronteix et à la Veyssière, les injections détritiques datent du début de la période gallo-romaine (entre le Ier siècle av. J.-C. et le IIe siècle ap. J.-C.). A Paillier et au Bois des Brigands, la crise détritique identifiée est beaucoup plus tardive et date du début des Temps modernes. Par leur morphologie, comme par les caractéristiques chronostratigraphiques des complexes organominéraux qui les remblaient, ces vallons localisés sur la Montagne limousine s’apparentent à ceux rencontrés sur les plateaux périphériques.

2.2 Des remblaiements organominéraux d’âge subatlantique sur les bas