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Caractérisées par des régimes pluviométriques immodérés et irréguliers, les moyennes montagnes méditerranéennes connaissent des rythmes de production hydrosédimentaire très discontinus. Le fonctionnement spasmodique s’y exprime à trois échelles temporelles : au pas de temps saisonnier, sur un rythme interannuel et lors d’épisodes exceptionnels à forte efficacité morphogénique. Cependant ces discontinuités temporelles s’expriment inégalement selon les unités morphologiques, versant ou talweg.

L’automne, temps fort du fonctionnement hydrosédimentaire

A toutes les échelles considérées, l’automne constitue la saison morphodynamique la plus efficace. Cette forte saisonnalité s’explique par le régime pluviométrique méditerranéen et le déclenchement, au cours de l’automne, d’abats d’eau à fort pouvoir sédimentogène. Cette agressivité climatique automnale est bien traduite par l’immodération saisonnière de l’indice d’érosivité pluviale de Wischmeier (figure 1-14). Au mont Lozère, avec un indice R moyen de 580 sur la décennie 90/99, l’automne totalise 65% de l’érosivité pluviale annuelle.

Cette immodération s’explique par des situations météorologiques particulièrement pluviogènes, survenant entre la fin de l’été et le début de l’hiver et combinant les caractères atmosphériques de ces deux saisons (Trzpit, 1980 ; Vigneau, 1986 ; Godard et Tabeaud, 1993). Dès la fin de l’été, des situations de type hivernal peuvent se mettre en place sur l’ouest de l’Europe : des descentes d’anticyclones mobiles polaires accompagnés par la formation, sur le bassin méditerranéen, de gouttes froides d’altitude. A la même époque, les premières dépressions méditerranéennes bénéficient encore d’une ambiance climatique héritée de la saison chaude : une atmosphère au fort pouvoir évaporant qui se charge d’une grande quantité d’humidité au dessus d’une Méditerranée surchauffée. C’est la conjugaison de ces deux phénomènes, des perturbations riches en vapeur d’eau et des gouttes froides d’altitude favorisant le mécanisme de détente, qui explique le caractère particulièrement pluviogène des dépressions méditerranéennes automnales. Les volumes précipités atteignent couramment 100 à 400 mm en 24 ou 48 heures, générant des écoulements rapides de crues abondants (Davy, 1990). Les moyennes montagnes, où les ascendances orographiques renforcent les discontinuités frontales, sont particulièrement exposées à ces abats d’eau. Ceux-ci sont responsables des fameuses crues cévenoles, gardonnades et vidourlades, et des aiguats catalans.

Les épisodes pluvieux d’automne constituent les temps forts du fonctionnement hydrosédimentaire des bassins versants de moyenne montagne méditerranéenne. Néanmoins, cette immodération des flux détritiques est inégalement marquée selon les sous systèmes morphologiques.

Façonnés par des processus d’érosion élémentaires qui demandent peu d’énergie, les versants ont un fonctionnement moins immodéré que les axes fluviaux (figure 1-15). Ce phénomène a été observé dans les Maures où, durant les deux ans qui suivent l’incendie, l’automne ne représente que 70% de l’efficacité érosive annuelle sur la parcelle expérimentale, contre 95% dans le talweg (en ajoutant pour la première année l’évènement de forte intensité du 9 décembre qui représente à lui seul 65% du transport solide annuel dans le bassin versant). En revanche pour la troisième année, caractérisée par une forte revégétalisation, l’automne joue un rôle prépondérant dans les deux sous systèmes, puisqu’il y représente 99% des transports solides.

Cette meilleure pondération de l’érosion aréolaire a été bien démontrée sur les flancs de la ravine de l’Aubaret Vieil (figure 1-16). L’automne n’y constitue que 40% de l’efficacité annuelle, à égalité avec l’été, tandis que les saisons intermédiaires représentent chacune 10%. Trois mécanismes érosifs principaux se combinent dans l’année, garants d’une certaine pondération : l’érosion hydrique (rejaillissement pluvial et ruissellement diffus) est le mécanisme le plus ubiquiste, tandis que la cryoreptation superficielle ne s’exerce qu’en saison froide, et que l’érosion mécanique sèche est produite par le piétinement ovin en été. L’immodération se renforce néanmoins avec l’érosion linéaire en rigole (figure 1-17). Deux mois, août et septembre, représentent à eux seuls 83% de l’activité annuelle mais, cette fois, l’automne (52%) n’est guère plus efficace que l’été (45%). L’intensité pluviale momentanée est un élément déterminant pour le déclenchement de ce mécanisme d’érosion. Le seuil observé est d’environ 50 mm/h en 6 minutes pour les pentes de 35 à 37 ; il s’élève à 75 mm/h sur les pentes de 25-28°, pour atteindre 100 mm/h sur les pentes de 20°. Les averses orageuses de fin d’été, brèves mais violentes, sont à cet égard d’une remarquable efficacité morphogénique.

C’est dans les talwegs, où l’ampleur des flux solides dépend de l’abondance des écoulements rapides de crue, que le rôle prépondérant de l’automne est le plus affirmé. Ce phénomène s’observe bien dans les drains élémentaires de rang 0 comme la ravine de l’Aubaret Vieil. En fonctionnement modal, l’automne occasionne 86% du charriage annuel,

Figure 1-15 : La dégradation spécifique mensuelle dans le bassin du Rimbaud après l’incendie

Figure 1-17 : La distribution saisonnière de l’érosion en rigoles sur la ravine de l’Aubaret

Figure 1-18 : La distribution saisonnière du charriage longitudinal sur la ravine de l’Aubaret

Cette immodération se vérifie également dans les vallons de rang 1 du mont Lozère (80% de la charge solide annuelle sur la Latte et la Cloutasse) et devient écrasant dans les Maures (95 à 98% sur le Rimbaud). Alimenté par l’exfiltration des nappes perchées durant les épisodes pluvieux, le ravinement des chemins de débardage après la coupe forestière de la Latte n’a pas échappé à ce calendrier érosif. Sur le cycle 89/90, la crue survenue le 21 novembre est responsable de 95% du bilan érosif annuel.

Une grande variabilité interannuelle

Immodéré, le régime pluviométrique méditerranéen est aussi irrégulier. Sur le mont Lozère, au cours de la décennie 90/99, l’indice R annuel de Wischmeier a varié de 370 à 1456. Cette amplitude s’explique par le caractère aléatoire, d’une année sur l’autre, des grands abats d’eau automnaux. On retrouve, comme pour l’immodération, un gradient d’irrégularité croissant des versants aux talwegs.

Figure 1-20 : L’indice annuel d’érosivité pluviale sur le mont Lozère

Celui-ci apparaît bien sur la ravine de l’Aubaret Vieil (figure 1-21 et 1-22). Avec un coefficient de variation de 31%, la production sédimentaire aréolaire est la plus régulière. Elle résulte d’un grand nombre d’épisodes érosifs, répartis toute l’année, générés par des processus variés qui garantissent une certaine régularité. L’amplitude reste modérée, elle s’étend de 2 t en 1998 à 5,6 t en 1993. Elle s’accroît considérablement pour l’efficacité du ruissellement concentré en rigoles : de 0,26 t en 1998 à 10,4 t en 1996 (en excluant l’événement du 22 septembre 1992), soit un coefficient de variation de 63%. Vingt quatre épisodes d’érosion en rigoles se sont déclenchés en dix ans, selon un rythme de deux à quatre par an. Mais le 5e quintile, qui regroupe les cinq épisodes les plus actifs (22 septembre 1992 exclu) représente 63% de la production sédimentaire décennale. L’amplitude interannuelle est encore plus marquée pour le charriage longitudinal dans le bief de la ravine : de 0,05 t en 1990 et 1998 à 11,3 t en 1994 (toujours en excluant le 22 septembre 1992). Cinquante sept crues accompagnées de phénomènes de charriage ont été comptabilisées en dix ans, mais leur fréquence est très inégale : trois par an en 1990, 1998 et 1999, douze durant l’année record de 1996. Leur efficacité est tout aussi irrégulière : le 10e décile, qui réunit les six pics de crue les plus efficaces, totalise 69% de la charge solide décennale.

Figure 1-21 : L’irrégularité de la production sédimentaire annuelle sur la ravine de l’Aubaret

Figure 1-22 : L’efficacité saisonnière sur la ravine de l’Aubaret Vieil , immodération et irrégularité

Prépondérante à l’échelle d’une ravine, l’irrégularité interannuelle se manifeste également à l’échelle d’un bassin versant. Les trois bilans érosifs annuels établis sur la Latte après la coupe de la pessière ont mis en évidence des contrastes importants, dans un rapport de 1 à 13 selon la pluviosité d’un cycle à l’autre (figure 1-27).

Mais c’est dans les sections fluviales aval que la variabilité interannuelle est la plus spectaculaire. Au mont Lozère, la mobilisation de la charge de fond dans les lits fluviaux des vallons de rang 1, qui demande une force de cisaillement élevée, ne devient vraiment efficace que lors des plus fortes crues. En fonctionnement modal toujours, c'est-à-dire en excluant la crue du 22 septembre 1992, les six crues les plus efficaces ont occasionné, en 18 ans, 50 % de la charge alluviale des bassins versants.

La variabilité hydrosédimentaire des petits systèmes fluviaux de moyenne montagne méditerranéenne est un fait essentiel. Sa prégnance s’exagère encore lorsque l’on prend en compte les épisodes érosifs de faible période de retour au potentiel morphogène exceptionnel.

Aléa pluviométrique exceptionnel et effet seuil morphogénique

Les abats d’eau d’automne prennent parfois, en milieu méditerranéen, un caractère exceptionnel. Cette singularité est liée à des cumuls pluviométriques, particulièrement importants au cours de brèves périodes. Près de 2000 mm entre le 16 et 20 octobre 1940 dans les Pyrénées orientales, dont 1000 mm pour la seule journée du 17 (Bécat et Soutadé, 1993) ; 400 à 450 mm en 6 heures 30 le 3 octobre 1988 à Nîmes (Davy, 1989) ; 300 mm en 6 heures sur le mont Ventoux le 22 septembre 1992 (Arnaud-Fasseta et al, 1993) ; 620 mm en 48 heures les 12 et 13 novembre 1999 sur les Corbières, dont 230 mm en 4 heures (Arnaud-Fasseta et al, 2001). Ces épisodes pluvieux particulièrement abondants ont générés des crues catastrophiques dont les effets morphogéniques ont été abondamment étudiés par les géomorphologues. A titre d’exemple, on peut citer Soutadé (1980, 1993), Bécat et Soutadé (1993), Calvet (1993) pour l’aiguat de 1940 dans les Pyrénées orientales ; Davy (1989 et 1990) et Fabre (1989) pour l’épisode de Nîmes de 1988 ; Arnaud-Fasseta et al. (1993), Flageollet et al. (1993), Coste et al. (1993), pour l’épisode pluvieux de 1992 ; ou encore Calvet (2001) et Arnaud-Fasseta et al. (2002) pour les crues dans l’Aude de 1999. Ces travaux soulignent l’impact morphogénique de ces crues exceptionnelles, mais les observations restent le plus souvent descriptives, tant il est vrai que la quantification de tels phénomènes géomorphologiques est difficile. Pourtant le rôle joué par ces épisodes morphogéniques dans la vitesse d’érosion est un point essentiel qui mérite d’être discuté (Tricart, 1960 ; Calvet, 1993 et 1996 ; Calvet et Lemartinel, 2002).

Sur le mont Lozère, l’action sédimentogène de l’épisode pluvio-orageux du 22 septembre 1992 a pu être quantifié sur la ravine de l’Aubaret Vieil, et mise en perspective avec le fonctionnement modal mesuré entre 1990 et 1999. Cet épisode pluvieux se singularise par son intensité totale et momentanée. Entre 300 et 350 mm sont tombés en 4 heures sur le flanc sud du mont Lozère, avec des intensités sur 6 minutes qui ont excédé à plusieurs reprises 150 mm/h. La réponse hydrologique des BVRE du mont Lozère a été étudiée par Cosandey (1993). Dans les bassins de la Latte, de la Sapine et des Cloutasses, les pointes de crue ont atteint respectivement 1560 l/s, 2750 l/s et 6570 l/s, alors que les deuxièmes plus forts débits enregistrés entre 1982 et 2002 n’excèdent pas 820 l/s sur la Latte en septembre 1993, 1930 l/s sur la Sapine en octobre 1994 et 2710 l/s sur les Cloutasses en 1982.

Figure 1-23 : L’efficacité érosive de l’épisode pluvio-orageux du 22 septembre 1992, un effet de seuil spectaculaire

Dans la ravine de l’Aubaret Vieil, l’impact morphogénique a été particulièrement intense, entraînant un véritable remodelage d’une partie de la forme. Cependant, l’ampleur de l’effet de seuil observé diffère selon les unités fonctionnelles (figure 1-23). Sur les flancs de la ravine, l’érosion aréolaire et en rigoles a produit près de 18 tonnes de sédiments, soit 3 fois plus que le deuxième épisode le plus efficace de la chronique (en août 1996). Cet évènement représente 18% de la production latérale totale en 10 ans. Cependant, c’est dans le bief que l’effet de seuil est le plus spectaculaire : 168 tonnes ont été exportées par charriage hors de la ravine, 24 fois plus que le deuxième épisode le plus efficace de la série. En l’espace d’une à deux heures, 78% de la charge longitudinale décennale a été évacuée.

En Algérie, dans un bassin versant marneux fortement raviné inférieur à 1 km2, Gomer (1995) a pu quantifier l’efficacité hydrosédimentaire d’un évènement pluvieux extrême. En octobre 1991, une averse de 25 mm, caractérisée par une intensité maximum de 38,8 mm/h en 30 mn, a généré à elle seule 70% de la charge solide évacuée en trois ans dans le bassin versant. Bien que la période de mesure soit beaucoup plus brève, on retrouve des proportions semblables à celles observées au mont Lozère.

En passant de la production hydrosédimentaire latérale, liée à des processus de ruissellement élémentaires, à la circulation longitudinale, où le charriage est contrôlé par des mécanismes hydrodynamiques de plus forte énergie, on assiste, sur la ravine de l’Aubaret Vieil, au franchissement d’un seuil morphogénique spectaculaire. Pourtant, cet effet de seuil s’inverse au niveau scalaire supérieur, dans les vallons de rang 1.

Contrairement au bief de la ravine, incisé dans un vallon de rang 1, l’impact morphologique de la crue du 22 septembre 1992 est resté insignifiant dans les lits fluviaux des vallons de rang 1. Les retouches ont été modérées, a peine plus importantes que lors des crues à débit de plein bord ordinaires. Sans doute cette différence s’explique-t-elle par un profil en long moins pentu (8% sur les Cloutasses contre 23% pour la ravine), par une dissipation importante de l’énergie dans des lits majeurs phytostabilisés, et par des planchers alluviaux calés sur les nappes fluvioglaciaires ou fluvionivales pléistocènes, que leur richesse en blocs rend peu affouillables. Dans les BVRE, la charge solide de la crue du 22 septembre 1992 n’a pas pu être mesurée, les fosses sédimentaires s’avérant largement sous dimensionnées. Sur les bassins de la Sapine et de la Latte, le calcul de la charge par extrapolation de la droite de régression débit liquide-débit solide donne des valeurs plausibles, au regard des impacts morphologiques observés sur les lits fluviaux. Les charriages calculés sont respectivement de 2,3 tonnes et de 5,9 tonnes, soit seulement deux à trois fois supérieurs au débit solide des plus fortes crues enregistrées durant 18 ans. Dans le bassin de la Cloutasse, cette extrapolation donne une valeur exagérée de 640 tonnes, totalement incompatible avec la réalité observée sur le terrain. Dans les faits, l’augmentation de la charge solide ne suit pas une progression linéaire avec le débit liquide, elle s’infléchit par effet de seuil inverse, en raison d’un gain d’efficacité décroissant.

De façon spectaculaire dans le bief de la ravine, beaucoup plus modérée dans les lits fluviaux de rang 1, la crue du 22 septembre 1992 a occasionné des déstockages sédimentaires. Ces purges alluviales participent à l’exercice des discontinuités spatiotemporelles qui, à différentes échelles de temps, interrompent le continuum fluvial amont-aval.