Partie I - Les zones humides fluviales
I.2. Valeurs écosystémiques des zones humides fluviales
Pendant longtemps, les zones humides ont été considérées comme des zones sans valeur
et inutilisables, dont le drainage et l’assèchement étaient la seule exploitation possible (Mitsch
and Gosselink, 1986), notamment pour l’expansion des aires urbaines, industrielles et
agricoles (Pinder and Witherick, 1990). Aujourd’hui, il est reconnu que les zones humides
constituent des secteurs à très forte valeur écologique et patrimoniale (Larson et al., 1989, Turner et al., 2000 ; Woodward et Wui, 2001).
I.2.1. Fonctions écologiques et services économiques
Afin d’évaluer la valeur des zones humides, les gestionnaires et les scientifiques distinguent les fonctions écologiques des services économiques associés, qui profitent directement aux sociétés (Tableau 1-1, Lasron et al., 1989).
Tableau 1-1 : Liste des fonctions écologiques et valeurs économiques des zones humides (adaptée de Lasron et al., 1989).
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Fonctions écologiques Services et valeurs économiques
Régulation et atténuation des crues Réduction des dégâts liés aux inondations
Recharge des cours d’eau et atténuation
des étiages
Réservoirs, réduction des dégâts liés aux sécheresses
Stabilisation des sédiments Réduction de l’érosion
Rétention et transformation des nutriments Réduction des coûts de purification et
stimulation de la productivité
Autoépuration et qualité des eaux Réduction des coûts de purification
Production et transfert de biomasse animale et végétale
Production de denrées alimentaires (chasse, pèche, récolte)
Habitat pour de nombreuses espèces animales et végétales, terrestres et aquatiques
Maintient de la biodiversité, écotourisme
Recharge des nappes phréatiques Augmentation de la quantité et de la
qualité des eaux phréatiques
Favorise l’exfiltration des eaux phréatiques
Augmentation de la productivité
Les paragraphes suivants apportent des précisions supplémentaires sur trois fonctions et services détaillés dans ce mémoire : le rôle réservoir de biodiversité, le recyclage de la
matière organique, et les processus biogéochimiques associés au cycle de l’azote.
I.2.2. Biodiversité et zones humides
Ecotone entre milieu terrestre et milieu aquatique, mais aussi entre eaux superficielles et
eaux souterraines, les zones humides fluviales offrent une grande variétés d’habitats,
favorisant ainsi le développement d’une importante diversité de la faune et de la flore (Larson
et al., 1989 ; Pollock et al. 1998). Maintenir la biodiversité permet non seulement de préserver
des espèces à forte valeur patrimoniale, mais aussi d’assurer le bon fonctionnement des écosystèmes (réseaux trophiques, dégradation de la matière organique, etc…).
En France métropolitaine, les zones humides fluviales ont fortement régressé et ne couvrent désormais que 3 % du territoire. Cependant, elles hébergent près du tiers des espèces végétales remarquables ou menacées, la moitié des espèces d'oiseaux et la totalité des espèces d'amphibiens et de poissons. En effet, la diversité des habitats offre des lieux de protection, de nourrissage et de reproduction pour de nombreuses espèces. Elles constituent des étapes migratoires, des lieux de reproduction ou d'hivernage pour de nombreuses espèces d'oiseaux aquatiques et de poissons.
A l’échelle des plaines alluviales, la biodiversité des zones humides peut s’appréhender
à travers différentes composantes (Amoros et Bornette, 2002) :
- La diversité alpha correspondant à la diversité d’une communauté un sein d’un habitat,
pouvant se mesurer notamment par la richesse spécifique (nombre d’espèces présentes), à une
date donnée (ex : pendant l’étiage) ou sur l’année.
- La diversité beta correspondant à l’hétérogénéité spatiale des communautés entre différents
habitats, prenant en compte le turn-over spatial, et augmente lorsque les communautés
divergent l’une de l’autre (en fonction du nombre d’espèces caractéristiques d’un seul
habitat).
- La diversité gamma correspond à la biodiversité totale de l’ensemble de la mosaïque
d’habitats (la plaine alluviale et toutes ses lônes), et est fonction de la diversité intra-habitat (alpha), de la diversité inter-habitat (beta). La diversité des habitats au sein de la plaine alluviale est donc ici essentielle.
I.2.3. Production primaire, minéralisation et séquestration du carbone
Les zones humides entretiennent et supportent une importante production de biomasse (Brinson et al., 1981), et contribuent également à la minéralisation et la séquestration du
carbone. Bien qu’elles ne couvrent que 6 à 8 % de la surface des eaux douces de la planète, les zones humides sont des écosystèmes hautement productifs (Bernal & Mitsch, 2012) et représentent près du tiers du stock de carbone organique des sols (Mitra et al., 2005 ; Mitsch & Gosselink, 2007). La minéralisation et la séquestration du carbone dans les zones humides dépendent des caractéristiques hydrogéologiques, ainsi que des communautés végétales dominantes contrôlant la nature et la qualité de la biomasse produite (Bernal & Mitsch, 2012).
De plus, les communautés d’invertébrés peuplant les milieux aquatiques contribuent de façon
significative à la minéralisation de la matière organique particulaire, et plus particulièrement
33 apparaissent comme des facteurs déterminant de la vitesse de dégradation (Petersen & Cummins, 1974 ; Smith & Lake, 1993 ; Huryn et al., 2002 ; Hieber et al., 2002 ; Dangles et al., 2004 ; Lecerf et al., 2006 ; Marmonier et al. 2010, Piscart et al. 2011). De plus, les invertébrés contribuent à la séquestration du carbone et son transfert vers les sédiments par le processus de bioturbation (Mermillod-Blondin, 2011).
Lorsque la séquestration de la matière organique (MO) est optimale, les zones humides contribuent au transfert du CO2 atmosphérique vers les sédiments (Figure 1-1). Cette fonction écologique des zones humides dépend directement des liens entre les caractéristiques physiques/hydrologiques, la diversité végétale et animale, et de la nature des interactions entre ces organismes, plus particulièrement des interactions trophiques. Cependant, lorsque les conditions environnementales se dégradent (anoxie), le recyclage de la MO est perturbé. Cette
dernière s’accumule et/ou fermente, conduisant au relargage de méthane (CH4), un gaz à effet
de serre considérablement plus puissant que le CO2.
Figure 1-1: Production de biomasse et séquestration du CO2 atmosphérique par les zones humides.
Séquestration de la MO
Biomasse végétale Biomasse autochtone (plantes aquatiques : algues, macrophytes) Biomasse allochtone (plantes terrestres : litières de feuilles) Biomasse Animale (Invertébrés et vertébrés) Invertébrés décomposeurs et microorganismes Biomasse microbienne (biofilms, bactéries et champignons)Fixation du CO
2atmosphérique CH
4 Biomasse totaleI.2.4. Cycles biogéochimiques et qualité de l’eau
De nombreux cycles biogéochimiques associés aux principaux flux d’énergie, de
matière et de nutriments ont également lieu au sein des zones humides, et contribuent à leur
capacité d’autoépuration et au contrôle de la qualité des eaux (Johnston et al., 1990 ; Jansson et al., 1998). De façon générale, les zones humides sont considérées comme étant plus
efficaces que les milieux courants pour retenir et transformer les nutriments, du fait d’un
temps de résidence plus important (Saunders and Kalff, 2001, Clément et al., 2002).
Interface entre le milieu terrestre et le milieu aquatique, mais aussi entre les eaux superficielles et les eaux de nappe, elles interceptent et transforment de nombreuses
substances dissoutes dans les eaux de ruissellement et les cours d’eau, notamment des
composés azotés. Les nitrates (NO3-N) ou encore l’ammoniac (NH3-N), toxiques à forte
concentration, sont les responsables majeurs de l’eutrophisation des cours d’eau. Leur
présence dans le milieu aquatique peut avoir différentes origines, dont les pollutions
d’origines agricoles (excès d’engrais), urbaines (dysfonctionnement de stations d’épuration)
ou industrielles, mais aussi résulter de processus naturels dont la minéralisation de la MO. Les zones humides sont reconnues pour leur pouvoir filtrant et épurateur grâce à des processus
d’origine microbienne comme la nitrification (NH3 Æ NO2 Æ NO3-) et la dénitrification
(NO3- Æ N2O Æ N2), qui aboutissent à la formation de diazote (N2), un composé volatile
relargué dans l’atmosphère ne contribuant pas à l’effet de serre. Le biofilm, les macrophytes ou encore le couvert végétal terrestre (ripisylve) relativement développés et abondants dans
les zones humides fluviales contribuent également à l’élimination du NH4 et NO3- par assimilation (Costerton et al., 1995 ; Chapman et al., 2001 ; McCain et al., 2003 ; Clément et al., 2002).
Enfin, certains microorganismes et végétaux sont capables de fixer ou transformer de nombreux composés toxiques relargués par les activités humaines, notamment des produits
phytosanitaires (pesticides) issus de l’agriculture, ou encore des métaux lourds et composés aromatiques biologiquement actifs issus de l’industrie et de l’urbanisation (Delpa et al., 2009).
Ces différents processus sont grandement influencés par l’état oxydo-reducteur du milieu, et
plus particulièrement les conditions d’oxygénation. Ils sont donc dépendants de l’hydrologie
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