Partie IV- Impact de l’assèchement sur le fonctionnement des hydrosystèmes
IV.2. Effets indirects de l’assèchement : modifications de paramètres physico-
IV.2.1. Augmentation de la température
L’augmentation de la température atmosphérique et la diminution du volume d’eau agissent en synergie et contribuent à l’augmentation de la température dans le milieu
aquatique. De plus, la baisse du niveau piézométrique et la diminution des apports d’eau
phréatique thermiquement tamponnée (12.3 ± 0.6 °C, Amoros et Bornette, 2002), accélèrent
le phénomène de réchauffement des eaux de surface.
Dans un premier temps, l’augmentation des températures dans les hydrosystèmes tend à stimuler le métabolisme bactérien, le développement algal, les cycles biogeochimiques et le
recyclage des nutriments (Klapper 1991 ). L’augmentation de la température tend, dans
certains cas, à favoriser l’abondance et la richesse des communautés d’invertébrés dans les
zones humides (Tarr et al., 2005). En effet, la température contrôle de nombreux traits
d’histoire de vie et la physiologie des invertébrés, et agit sur la dynamique des populations,
notamment à travers la capacité de reproduction et le nombre d’oeufs (Roux 1970 ; Kinne
1961) ou le temps de maturation (intervalle entre les mues, Pöckl 1992, Kinne 1961). A titre
d’exemple, le temps de maturation à 20°C diminue de près de 75% chez Gammarusfossarum et Gammarus roeselii par rapport à des températures plus fraîches (<10°C) (85 et 96 jours
respectivement, au lieu de 403 et 355, Pöckl 1992), et la croissance semble maximale à 20°C
individus à travers le nombre d’œufs présents dans la poche marsupiale des femelles (il est
plus élevé entre 14° et 16°C qu’entre 18° et 20°C chez Gammarus zaddachi, Kinne 1961).
Ainsi, une élévation extrême des températures devient stressante pour de nombreux organismes aquatiques, en fonction de leur seuil de tolérance et peut avoir des effets délétères
sur leur biologie (comportement, physiologie, fécondité, croissance etc…) et finalement, leur
survie, modifiant la biodiversité des communautés en place (Pörtner and Farrell, 2008 ; Peck 2011 ; Cottin et al.2012). Il existe cependant une forte variabilité interspécifique pouvant expliquer la distribution relative des espèces en fonction de leur préférence thermique (Rosset
and Oertli, 2011), à l’échelle des communautés (Daufresne et al., 2004, Dolédec et al., 1996),
mais aussi au sein d’un même taxon (Gammarus sp., Pöckl and Humpesch, 1990 ; Pöckl et
al., 2003 ; Cottin et al. 2012). L’augmentation progressive de la température induit ainsi une
dérive au sein des communautés aquatiques, favorisant les taxons thermophiles qui
remplacent progressivement les taxons d’eaux plus fraiches. De nombreux groupes
d’invertébrés (ex. coleoptères, odonates), mais aussi d’amphibiens, sont directement menacés
d’extinction par l’augmentation des températures (Rosset and Oertli, 2011).
Notons que les espèces thermophiles préfèrent généralement les habitats à faible vitesse de courant ou des eaux stagnantes (Daufresne et al., 2003). Etant étroitement liés, il est parfois
difficile de dissocier les effets de la température de ceux du courant, l’augmentation de la
température étant plus importante dans les milieux lentiques et stagnants. IV.2.2. Eutrophisation
L’assèchement, par la diminution du volume d’eau, augmente la concentration en
nutriments organiques et minéraux et modifie de façon significative l’état trophique des
hydrosystèmes, en particulier dans les eaux stagnantes (Lofgren 2002). Les taxons associés à
des eaux oligotrophes (Baetis rhodani, Gammarus lacustris, Plecoptera) seront alors
désavantagés par rapport à ceux préférant les eaux eutrophes (certains Chironomidae,
Tubificidae, O’Toole et al., 2008).
L’eutrophisation peut directement affecter la macrofaune en modifiant les conditions
physico-chimiques de l’habitat et la teneur en de nombreux composés toxiques, qui agissent
souvent en synergie (seuil critique de tolérance l’ammonium et hypoxie, Maltby 1995). En outre, l’eutrophisation peut également impacter indirectement la macrofaune via une
augmentation de la production algale en cas d’enrichissement en azote inorganique (N) et
57 développement des macroinvertébrés (Kraufvelin et al., 2006a ; Kraufvelin et al., 2006b, Kraufvelin 2007, Bokn et al., 2003), cependant, la biodiversité tend à diminuer car cette
stimulation ne profite qu’à quelques taxons seulement, en particulier les brouteurs. Selon
certaines études, la stimulation de la communauté de brouteurs peut, tantôt contrôler et limiter
le bloom algal résultant de l’eutrophisation (Worm and Lotze, 2006), tantôt rester insuffisante
pour avoir une incidence sur la production primaire (Kraufvelin et al. 2006a ; Kraufvelin 2007).
Certaines espèces du genre Gammarus spp. semblent particulièrement bien répondre à
l’eutrophisation qui conduit à une augmentation de leur fitness (taux de croissance et
production d’œuf) et une augmentation de leur biomasse totale (Kraufvelin et al., 2006, Kraufvelin 2007, Moksnes et al., 2008). Néanmoins, l’effet de l’eutrophisation diffère selon l’espèce considérée, souvent au détriment d’espèces autochtones (G. zaddachi) et au profit
d’espèces exotiques plus tolérantes (G. tigrinus) (Grabowski et al., 2006). Enfin, le
développement algal peut stimuler le développement de Gammarusssp. en tant qu’habitat et
refuge, indépendamment de toute interaction trophique (Kraufvelin et al., 2006).
IV.2.3. Oxygénation du milieu aquatique
L’oxygène dissous (DO) pénètre à l’intérieur de la colonne d’eau par diffusion depuis l’atmosphère et/ou par photosynthèse dans le milieu aquatique. La teneur en DO est
physiquement liée à la température de l’eau. En effet, il existe une relation inverse entre la
température et la solubilité de l’oxygène (Wetzel, 1983). Ainsi, l’augmentation de la
température, précédemment décrite, entraine une diminution de la DO dans les milieux aquatiques (Sipkay et al., 2009). En outre, la demande en oxygène pour la respiration des plantes, des animaux et des microorganismes augmente avec la température (Kalf 2000), entraînant une diminution de la disponibilité en oxygène, en particulier la nuit lorsque que la
photosynthèse est minimale ou stoppée (Sipkay et al., 2009). Enfin, l’eutrophisation, elle
-même favorisée par la hausse des températures, stimule également la production de biomasse et provoque une augmentation de la respiration. Cette faible teneur en oxygène est connue
pour limiter la vie aquatique (Eriksen et al., 1996). Dans les zones humides, l’abondance et la
richesse des communauté d’invertébrés est positivement corrélée à la teneur en DO (Tarr et al., 2005).
Enfin, la disparition de la colonne d’eau, jusqu'à l’aération plus ou moins importante des
potentiel redox du milieu. Le maintien de fortes concentrations en O2 dissous favorise de
nombreux métabolismes microbiens, tels l’ammonification et la nitrification intervenant dans le cycle de l’azote (Groffman et al., 1991 ; Zhang et al., 2002). A l’inverse, certaines activités, telles que la dénitrification, sont favorisées par des conditions anoxiques.
IV.2.4. Concentration et toxicité des polluants
L’assèchement, en réduisant le flux et le volume d’eau, peut également provoquer une augmentation de la concentration des déchets métaboliques et de nombreux composés
dissous, qu’ils soient naturels ou d’origine anthropique, issus de produits phytosanitaires,
d’effluents domestiques ou industriels, ou encore de composés pharmaceutiques non
dégradables (Lake, 2003 ; Brooks et al., 2008). L’augmentation de la température est connue
pour accélérer le métabolisme des organismes (Wilson and Parker, 1996; Bat et al., 2000),
favorisant l’assimilation des substances et la sensibilité des invertébrés aquatiques (e.g.
cadmium chez les amphipodes, Prato et al., 2009). Enfin, la dessiccation, l’eutrophisation,
l’hypoxie ou l’anoxie, ou encore la modification des ressources nutritives, sont autant de
stress liés à l’assèchement qui peuvent affaiblir les organismes et limiter leur capacité à répondre aux agressions toxiques des polluants.