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Partie IV- Impact de l’assèchement sur le fonctionnement des hydrosystèmes

IV.4. Impact de l’assèchement sur la production de biomasse et modification des

trophiques

Directement liés à la biodiversité, les réseaux trophiques sont au cœur du

fonctionnement des écosystèmes et des interactions entre populations. En modifiant

l’abondance et la diversité des organismes, l’assèchement est susceptible de perturber les

interactions trophiques et d’affecter le fonctionnement des zones humides.

IV.4.1. Impact de l’assèchement sur la production primaire

La production primaire au sein des zones humides est assurée pour partie par des

processus autochtones (organismes vivants à l’intérieur de la masse d’eau) mais aussi par des

61 La production primaire est assurée par les communautés microbiennes formant les biofilms, le phytoplancton, les algues, et les macrophytes. Bien que la dessiccation induise un effondrement de la biomasse des biofilms (Amalfitano et al., 2008), leur production semble

globalement stimulée par les cycles d’assèchement/immersion du fait de la hausse brutale de la production induite par les remises en eau (« hot moment », Valesco et al., 2003 ; Giorgi et al., 2004). La modification des flux nutritifs et la limitation en carbone tendent à favoriser le développement des communautés microbiennes benthiques autotrophes (Humphries et

Baldwin, 2003). Cependant, les modifications environnementales induites par l’assèchement,

dont l’augmentation des températures, favorisent le développement d’organismes plus

compétitifs en milieux extrêmes comme les cyanobacteries, qui sont également de moins bonne qualité nutritive pour les organismes filtreurs/brouteurs (Dawidowicz et al. 1998; Gliwicz & Lampert 1990, Spikay et al., 2009).

Les communautés phytoplanctonniques, particulièrement sensibles aux variations environnementales (Kiss, 1996 ; Straile, 2005), sont également stimulées par le changement

climatique, affectant de façon non négligeable l’abondance et la structure de leurs

communautés à travers le monde (Reynolds, 1997 ; Spikay et al., 2009). Cependant, le surdéveloppement du phytoplancton a des conséquences néfastes sur le fonctionnement des

écosystèmes, en réduisant notamment la transparence de l’eau, au détriment des macrophytes immergés (Mooij et al., 2005), et des consommateurs de macrophytes (amphipodes, Corcoran et al., 2009). En outre, ce surdéveloppement du phytoplancton, généralement précoce, est

susceptible de réduire le stock de nutriments disponibles avant l’été (Elliot et al., 2005),

réduisant les performances de l’ensemble des producteurs primaires au cours de l’étiage. Enfin, les périodes de très basses eaux et d’assèchement induisent une disparition de ce phytoplancton. L’assèchement modifie la structure des communautés de macrophytes selon

leurs exigences écologiques, que ce soit par l’augmentation des températures, de

l’eutrophisation ou la dessiccation (Bornette & Puijalon, 2011). De plus, il modifie les

propriétés biomécaniques, structurelles et qualitatives des organes exondées (Robe &

Griffiths, 1998, Li et al., 2011), modifiant potentiellement leur palatabilité et l’appétence des

IV.4.2. Impact sur les consommateurs primaires et prédateurs

Zooplancton, brouteurs et/ou filtreurs, consomment et régulent la production primaire. Le développement des cladocères, copépodes et ostracodes dans les zones humides peut

favoriser le déclin du phytoplancton, notamment durant l’étiage (Caramujo et al., 2008 ;

Corcoran et al., 2009). Cependant, le changement climatique et l’augmentation des

températures tendent à avancer le pic printanier du développement phytoplanctonnique, sans pour autant modifier la phénologie du zooplancton (ou moins rapidement), provoquant une asynchronie sévère entre ces deux communautés (Winder et Schindler, 2004 ; Mooij et al., 2005 ; Spikay et al., 2009 ; Thackeray et al. 2010). Ce développement phytoplanctonique intervenant alors bien avant celui du zooplancton, la pression de prédation exercée sur le phytoplancton décroit et favorise la stabilisation des communautés phytoplanctoniques (Mooij

et al., 2005). De plus, à long terme, les populations de zooplancton tendent à s’effondrer,

perturbant ainsi l’ensemble du réseau trophique (Winder et Schindler, 2004).

L’assèchement et la contraction de l’habitat augmentent la densité des organismes, et

intensifient les interactions interspécifiques dont la prédation. La densité et la proportion de

prédateurs semble augmenter dans les hydrosystèmes sujets à l’assèchement, et plus

particulièrement lors de la formation de mouilles isolées (Stanley et al., 1994 ; Nhiwatiwa et al., 2009). Ces prédateurs peuvent être classés en trois groupes (Lake, 2003): prédateurs

aquatiques (ex. Planaires, Amphipodes du genre Gammarus sp., larves d’Odonates,

Mégaloptères, et poissons), prédateurs semi-aquatiques (ex. Dytiques, Hémiptères) et prédateurs terrestres (ex. Arachnides, oiseaux). La densité des prédateurs aquatiques est liée à

la contraction de l’habitat et l’augmentation de la densité globale de la faune, alors que les

prédateurs terrestres sont favorisés par une facilité d’accès aux habitats (faible profondeur,

seuil émergent, etc… Lake 2003). De plus, une majorité des taxons prédateurs aquatiques ne

réalisent pas la totalité de leur cycle de vie dans l’eau (émergence des adultes Odonates,

Hétéroptères, Mégaloptères). L’assèchement pourrait favoriser ces taxons en stimulant l’émergence des adultes, leur reproduction et la migration vers des sites d’oviposition plus

adaptés (Batzer et al., 2004 ; Nhiwatiwa 2009).

A l’instar de l’asynchronie observée entre producteurs et consommateurs primaires, un découplage entre proies et prédateurs est observé en réponse aux changements globaux dans la plupart des écosystèmes (dont les eaux douces continentales) ce qui augmente le risque

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trophiques, et d’une diminution de la productivité des écosystèmes aquatiques dont la

production piscicole (Thackeray et al., 2010).

En outre, la présence de poissons prédateurs peut également avoir un effet notoire sur la

diversité et l’abondance des invertébrés dans les zones humides (Hanson and Roggs, 1995 ; Tarr et al., 2005). Un assec total étant mortel pour la plupart des poissons, la présence de ces super-prédateurs est donc liée à de la capacité à recoloniser le milieu lors de la remise en eau

et à la connectivité entre les différentes mouilles. D’autre part, dans les zones permanentes, la

mortalité hivernale des poissons tend à diminuer, augmentant la pression de prédation sur le zooplancton et les macro invertébrés (Nyberg et al., 2001 ; Mooij et al., 2007).

IV.4.3. Impact sur les déchiqueteurs et décomposeurs

Enfin, les changements globaux et l’assèchement affectent également la communauté

des décomposeurs de matière organique. En effet, dans un cours d’eau intermittent, la densité

de décomposeurs est inversement proportionnelle à l’intensité des assèchements (durée et

fréquence, Datry et al., 2011). De plus, au sein de zones humides sujettes aux changements climatiques, la densité des décomposeurs (Amphipodes, Gastéropodes, et larves de chironomes) semble diminuer depuis les années 1980 (Corcoran et al., 2009). La modification

des réseaux trophiques, le développement d’asynchronie entre les niveaux, et la diminution de

la densité de décomposeurs est susceptible de modifier les flux de matière et d’énergie au sein des zones humides, et de perturber l’une de leurs principales fonctions : la biodegradation et séquestration de la matière organique.