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Section  2   : L’action délictuelle en réparation 100

A.   Valeur du bien 102

Le droit délictuel français ne fait pas de distinction de nature entre un dommage léger causé à un bien, un dommage lourd, ou l’appropriation illicite du bien. Dans tous les cas, c’est sur le fondement de l’article 1382 que sera réparé le préjudice subi. En revanche, en droit anglais, l’action en trespass,

ouverte en cas de dommage physique direct causé à un bien, se distingue de l’action en conversion, ouverte en cas d’assertion par le défendeur d’un contrôle exclusif sur le bien. Ces deux actions sont ouvertes simultanément lorsqu’un dommage physique direct a pour conséquence l’assertion d’un contrôle exclusif, c’est-à-dire lorsque ce dommage est de nature à endommager gravement le bien ou à le détruire.

Le régime de réparation de l’article 1382 distingue selon que la victime demande la remise en état ou le remplacement du bien (2), ou se contente de se faire compenser le préjudice résultant de la baisse de valeur patrimoniale de son bien endommagé (1).

1)  Dommages  et  intérêts  en  fonction  de  la  différence  de  valeur  patrimoniale  

Lorsque la victime n’envisage pas une remise en état du bien endommagé ou son remplacement pour son usage personnel, la jurisprudence se réfère à la « diminution de la valeur comptable »333 qu’a engendré le dommage. Dès lors, si le bien détruit ou endommagé était destiné à être vendu, la

jurisprudence se réfère à la différence entre le prix que le demandeur espérait tirer de la vente du bien avant la survenance du dommage et le prix que le demandeur peut tirer de la vente du bien après la survenance du dommage. On prend donc en compte la valeur vénale du bien.

La solution est la même dans le cas où le bien n’était pas destiné à être vendu mais l’est finalement. « La vente modifie la consistance du préjudice qui ne réside plus dans la dégradation de la chose … mais dans la perte subie à la vente. Par l’effet de la vente, le préjudice est devenu un simple

appauvrissement, une expression comptable »334.

La solution est la même en droit anglais lorsqu’est intentée une action en trespass : c’est la valeur patrimoniale dont le bien a été amputée qui sera versée au demandeur.

En cas d’action en conversion, la solution est un peu plus originale. On considérera en effet que le bien converti sera « vendu au défendeur », à la manière d’une « vente judiciaire forcée ». C’est donc la valeur totale du bien évaluée au jour du dommage en référence au prix de vente qui aurait pu en être tiré qui sera octroyée, diminuée des frais de vente. Si le bien n’est pas détruit, le défendeur acquerra les droits que le demandeur avait dessus. Si le bien est détruit, le défendeur n’aura évidemment aucun droit subsistant.

2)  Dommages  et  intérêts  en  fonction  du  montant  de  la  réparation  ou  du  remplacement  

« En revanche, lorsque le demandeur réclame les sommes nécessaires à la reconstruction, à la restauration ou au remplacement de son bien, … l’indemnisation est en principe égale à la « valeur de remplacement » du bien détruit ou au coût de la remise en état du bien détérioré »335.

Entre ces deux modes de réparation, les tribunaux s’orientent vers le moins onéreux. La victime doit se contenter de la valeur de remplacement si le coût des réparations est supérieur à celle-ci336.

333 Geneviève Viney et Patrice Jourdain, Les effets de la responsabilité : Exécution et réparation en nature, dommages et

intérêts, aménagements légaux et conventionnels de la responsabilité, assurance de responsabilité, 3e édition, 2011, p. 184 334 M. E. Roujou De Boubée, Essai sur la notion de réparation, p. 371

335 Viney et Jourdain,, op.cit., p. 185 336 Civ 2e, 28 octobre 1954

Le problème se situe au niveau de l’évaluation de la valeur de remplacement. La Cour de cassation a précisé à plusieurs reprises que la valeur de remplacement ne doit pas être confondue avec la valeur vénale de l’objet avant le sinistre et qu’elle correspond « au prix de revient total d’un objet du même type et dans un état semblable »337.

Dans le cas où le bien n’était pas destiné à être revendu, le droit anglais évalue la valeur de remplacement en référence au prix du marché pour se procurer un bien semblable.

Les arrêts français distinguent selon qu’il existe un marché d’occasion ou qu’il n’en existe pas. S’il existe un marché d’occasion, alors c’est le prix d’occasion qui sera octroyé ce qui correspond peu ou prou à la valeur vénale du bien à remplacer. En revanche, s’il n’existe pas de marché, ou qu’il n’existe qu’un marché de biens neufs, c’est le coût total de remplacement qui sera octroyé. Dans ce cas, aucun abattement de vétusté ne viendra diminuer le montant des dommages et intérêts car la victime, pour remplacer son bien, « supporterait alors injustement une dépense supplémentaire rendue nécessaire par la faute du tiers »338.

En ce qui concerne l’enrichissement de la victime consécutif à l’octroi de dommages et intérêts égaux à la valeur du bien neuf, la position traditionnelle de la jurisprudence339 et de la doctrine est de l’accepter au nom de l’intérêt supérieur de la victime. « Peu importe alors l'enrichissement de la victime, laquelle, au bout du compte, peut tirer un profit substantiel de la remise à neuf du bien endommagé. L'essentiel, au regard du principe de la réparation intégrale, réside dans ce que la victime soit replacée dans la situation où elle se serait trouvée en l'absence de dommage. »340. Le droit français

s’oriente d’ailleurs facilement dans ce sens grâce au système de l’assurance qui permet de ne pas faire supporter la charge finale de l’indemnisation sur le défendeur (ce qui aurait été inadmissible et ce qui aurait donc amené à une limitation du préjudice subi).