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L'axiomatisation de la propriété : du pouvoir d'exclure au droit subjectif 43

Section  1   : Ownership et propriété 36

B.   L'axiomatisation de la propriété : du pouvoir d'exclure au droit subjectif 43

Pour Samuel Ginossar, le droit de disposition n’est pas un critère de définition convaincant du droit de propriété. « La faculté de disposition du propriétaire peut être restreinte, voire anéantie, soit par la volonté du propriétaire lui-même ou de son auteur, soit par celle du législateur » sans que pour autant la propriété disparaisse151. Il redéfinit la propriété comme le droit d’exclure les autres dont le corrélatif

147 Terré et Simler, op. cit., p.132

148 Planiol et Ripert, op. cit. ; en effet, l’usufruit confère à son titulaire le droit de jouir de la chose comme le propriétaire,

« mais à charge d’en conserver la substance ».

149 « La définition de la propriété : un pouvoir juridiquement protégé sur une chose. […] L’abusus … est bien plus qu’une

simple conséquence de l’exclusivité et participe au contraire de la définition même de la propriété » Muriel Fabre Magnan,

art. cit.

150 Voir Chapitre 1 Section 1. Une chose insusceptible de disposition mais transmissible constituerait tout aussi bien un objet

de propriété. C’est d’ailleurs à partir du moment où le domaine utile est devenu transmissible de plein droit que l’on a pu commencer à qualifier le vassal de véritable propriétaire.

est l’obligation passive universelle du sujet passif indéterminé de ne pas aller à l’encontre des prérogatives du propriétaire. Ainsi, tenant compte de la remarque qui avait été faite aux personnalistes selon laquelle l’obligation passive universelle existe également à l’égard des droits de créance et des autres droits réels, Ginossar conclut que l’on est propriétaire de son droit de créance comme de son droit d’usufruit.

Il lui revient également d’avoir séparé la propriété des droits réels sur la chose d’autrui et d’avoir montré leur différence de nature. Un droit réel sur la chose d’autrui a pour corrélatif une obligation réelle. Ce droit réel est une chose sur laquelle se juxtapose le droit de propriété, qui est une relation d’appartenance liant cette chose à son propriétaire.

Ainsi « la propriété n’est donc autre chose que la relation par laquelle une chose appartient à une personne, par laquelle est elle à lui, elle est sienne ».

Poursuivant la théorie de Ginossar, Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet définissent la propriété comme « le pouvoir exclusif d’une personne sur un bien »152. Les prérogatives du

propriétaire « ne doivent pas être perçues comme une manière de définir la propriété mais simplement de décrire ses effets »153. D’ailleurs, « la recherche du contenu de la propriété est délicate, voire contre-nature, car ce droit est essentiellement illimité … La ressemblance de la propriété à la liberté est frappante ».

Plus qu’une construction théorique ayant pour but d’expliquer les rapports entre la propriété, les droits réels et les droits personnels, c’est un véritable plaidoyer en faveur de l’absolutisme de la propriété. Elle devient la raison d’être du Code civil, la matrice du droit civil154.

La volonté constante de Frédéric Zenati est de redonner à la propriété l’étendue qu’elle avait en droit romain à travers le dominium. Simplement, ce dominium n’existant plus dans notre société, Frédéric Zenati le retrouve dans la notion de droit subjectif. « Les droits subjectifs sont le dominium atomisé »155. A partir de là, il identifie la notion de propriété à celle de droit subjectif. Puisque la

propriété est le pouvoir de maîtrise absolu que le propriétaire exerce sur la chose appropriée quelque soit cette chose (et qui permet à celui-ci notamment d’en exclure les tiers), et que le droit subjectif répond à cette même définition, les deux sont équivalents.

La propriété permet de se réserver la totalité des utilités d’une chose et les droits réels sur la chose d’autrui ne sont donc pas des démembrements de la propriété mais des objets de propriété.

« Il existe deux formes de droits : les droits qui sont des biens (les droits incorporels) et les droits qui permettent de s’approprier les biens. Seuls ces derniers méritent d’être qualifiés de droits subjectifs, parce qu’ils rattachent un bien au sujet ».

La conséquence ultime de cette théorie consiste à conclure que les droits de la personnalité sont en fait des droits de propriété ayant pour objet les éléments de la personnalité.

Bien que Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet fondent leur théorie sur le droit romain et le Code civil, par lequel ses rédacteurs auraient justement voulu revenir au droit romain authentique, leur construction bouleverse totalement la conception de la propriété que nous avions jusqu’à présent.

152 Zenati et Revet, op. cit. 259 153 Zenati et Revet, op. cit p. 313

154 « Il est possible de donner un sens à l’omniprésence de la propriété dans le code et de conceptualiser la rupture qu’il a

consommée dans la vision de la propriété issue de l’ancien droit », Frédéric Zenati-Cataing, « La propriété, mécanisme fondamental du droit », Rtd Civ. 2006, p. 445

Elle ne trouve d’appui chez aucun auteur précédent, pas même chez Aubry et Rau ou Ginossar, qui n’avaient pas tenté de reconstituer le dominium romain dans la société contemporaine. Et d’après ses auteurs, si cette théorie se trouve à ce point en rupture avec toutes les autres, c’est que ces dernières sont erronées, car fondées sur une mauvaise lecture des textes romains.

Frédéric Zenati, par une relecture plus fidèle à l’institution de la propriété telle qu’elle se présentait à Rome, nous explique la bonne manière de concevoir notre institution de la propriété.

Mais le droit français du 21e siècle doit-il chercher à tout prix à recoller avec la conception romaine de la propriété ? Y-a-t-il vraiment « une » bonne interprétation de ce que devrait-être notre droit ? Ou bien celui-ci n’est-il pas plutôt la résultante des multiples interprétations et réinterprétations qui en ont été données au fil des siècles ?

Nous pensons que le droit, fruit à la fois des évolutions sociales et de la manière dont l’ont pensé les juristes, résultante de plusieurs siècles d’herméneutique, est structurellement indéterminé. Le fait que M. Terré ait sa conception de la propriété et que M. Zenati en ait une autre, cela aussi fait partie du droit. Le fait que leurs deux interprétations se rencontrent, se confrontent et peut-être s’influencent, c’est encore le droit. Le fait que de nouvelles formes de propriété voient le jour, que la Cour de cassation prenne telle ou telle décision ainsi que le sens qui sera donné à cette décision par la doctrine,

c’est toujours le droit, en action, vivant.

La propriété a existé a Rome, mais il n’y a aucune raison que, durant plusieurs siècles, un consensus entre les jurisconsultes ait émergé quant à sa notion, pas plus qu’il n’y en a dans la doctrine contemporaine. Quant au droit féodal et aux post-glossateurs, ils ont tout autant de légitimité dans la parenté de notre notion de propriété que les romains, et il en est de même des premiers commentateurs du Code civil.

Au bout du compte, la discussion à propos de la notion de propriété ne nous semble pas seulement scientifique. A y creuser, elle ne l’est même que très peu. C’est bien plutôt un affrontement entre différentes philosophies, entre différentes valeurs, que cachent les débats doctrinaux. Personnalisées, les problématiques se réécrivent ainsi :

Souhaite-t-on parler de propriété du corps humain, de la vie privée, de l’histoire d’une personne, comme on pourrait parler de propriété de propriété des valeurs mobilières de placement ?

Souhaite-t-on concevoir la propriété avant tout comme un pouvoir, une liberté, une maîtrise souveraine du propriétaire sur sa chose ? Souhaite-t-on au contraire concevoir la propriété comme une institution sociale, dont l’essence serait faite de droits comme de devoirs ?

Dès lors, dans la lignée d’Honoré, une définition trop dogmatique de la propriété ne nous semble pas la meilleure façon de rendre compte de l’institution. Une liste des prérogatives qu’elle confère à son titulaire nous paraît mieux à même de cerner la notion sans la dénaturer.