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Bref aspects comparatistes avec le tort of conversion 100

Section  2   : L’action délictuelle en réparation 100

I. Bref aspects comparatistes avec le tort of conversion 100

L’action délictuelle en restitution se rapproche bien plus du tort of conversion du droit anglais que l’action en revendication. Le tort of conversion est en effet un délit, qui sanctionne donc un

comportement du défendeur alors que l’action en revendication n’a pour but que de rendre au demandeur le bien dont il est propriétaire.

La première différence entre le tort of conversion et l’action en restitution délictuelle réside dans le caractère spécifique du premier, qui s’oppose à l’appartenance de la seconde à un ensemble général. En effet, le droit de la responsabilité délictuelle français est essentiellement fondé sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, de portée générale. Il existe donc un important droit commun de la

responsabilité délictuelle. « Le lent progrès des idées juridiques a consisté à dégager une règle assez

générale pour que le juge puisse dans chaque cas apprécier la valeur de l’acte accompli. Le Code civil a posé cette règle dans l’article 1382 … On pensait seulement que la loi était d’autant plus parfaite qu’elle parvenait à s’exprimer dans une formule abstraite et générale, parce que la sanction légale pouvait ainsi s’appliquer aux principes généraux de la morale »329.

En revanche, les torts de common law se sont développés séparément, au gré de l’histoire et des nécessités des procès, des modalités de preuves propres à chacune des formes d’actions, etc. Le tort of conversion est donc un tort particulier avec une logique propre, construite au cas par cas. Les Anglais pensent simplement que le droit est d’autant plus parfait qu’il arrive à s’adapter aux faits d’espèce pour les résoudre dans un esprit de justice particulière.

La seconde différence entre le tort of conversion et l’action en restitution délictuelle réside dans leur fondement. La responsabilité de l’article 1382 est d’abord et avant tout fondée sur l’idée de faute. Il est vrai que, depuis le début du 20e siècle, s’est peu à peu développée l’idée d’une responsabilité

délictuelle fondée sur le risque. « Les juristes écrivent : nous devons abandonner l’idée de faute ; c’est une idée ancienne ; le progrès y a substitué l’idée de risque. Oseraient-ils dire : nous devons

abandonner l’idée que l’homme doit bien se conduire ; nous devons lui dire : conduis-toi comme tu le voudras à tes risques et périls ; si tu nuis à autrui tu paieras. C’est pourtant ce qu’ils enseignent en croyant fermement qu’ils aident ainsi au progrès du droit »330. Pourtant, en ce qui concerne la

responsabilité délictuelle pour appropriation du bien d’autrui, seule la faute semble constituer l’unique fondement.

Au contraire, c’est en droit anglais l’idée de risque qui permet de faire du tort of conversion un délit sans faute (tort of strict liability) : « persons deal with the property in chattels or exercise acts of ownership over them at their peril »331. Le droit anglais fait donc peser les risques sur le possesseur du bien qui aurait dû tout faire pour s’assurer que son auteur était bien le vrai propriétaire332.

329 René Savatier, Traité de la responsabilité civile en droit français, préface de Georges Ripert 330 Ibidem

331 Cleasby B, Fowler v Hollins (1872) QB

332 Il nous semble néanmoins intéressant, pertinent et nécessaire de justifier au regard de la théorie du risque les solutions du

droit français lorsque le défendeur n’a pas commis de faute. Pour Georges Ripert, la « responsabilité fondée sur la faute » et la « réparation fondée sur le risque » n’ont « rien de commun », la première relevant d’une idée morale de justice, l’autre d’un choix de société. Dans notre cas, si le défendeur a commis une faute, il est évident qu’il doit être tenu responsable de restituer le bien ou sa valeur au demandeur.

Mais qu’en-est-il s’il n’a pas commis de faute ?

Prenons par exemple le cas du simple inventeur. Il n’a pas commis de faute et sa responsabilité pourrait être engagée sur l’idée de risque, le risque qu’il a pris en prenant possession d’un bien dont il se savait non-propriétaire, et qui l’oblige à le rendre si le verus dominus le réclame. Ce même fondement du risque explique également l’exposition de l’ayant cause à titre particulier d’un inventeur, au courant de la qualité de ce dernier, à l’action en revendication du véritable propriétaire. Expliquer ainsi la position de l’inventeur ou de ses ayants cause « au courant » permet de distinguer leur cas de ceux des voleurs et de leurs ayants cause complices. Si ces deux catégories de défendeurs devront restituer le bien, le régime de la restitution et son étendue doit être différent car l’immoralité de leur comportement n’est pas la même.

En ce qui concerne ensuite un acquéreur de bonne foi a non domino, il est possible d’expliquer la solution de principe, qui permet au propriétaire d’exercer l’action en revendication dans les trois ans de sa dépossession involontaire, par la théorie du risque, de la même manière que l’action en conversion (dont le régime est ici presque semblable puisque le propriétaire pourra exercer son action dans les six ans de l’acte de conversion). Les risques pèsent donc sur le possesseur, mais durant une durée limitée cette fois.

Quant à la fonction acquisitive de l’article 2276, elle trouve elle aussi une explication dans la théorie du risque. Le propriétaire qui a volontairement confié la possession de son bien doit subir le risque d’un abus de confiance.

On constate donc qu’en dehors des cas où une faute a été commise, et où les solutions sont fondées sur des considérations morales, la théorie du risque permet de donner un fondement à l’arbitrage opéré par le droit positif entre les intérêts des différentes parties innocentes.