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La matrice d'Hohfeld, une nouvelle manière de définir les situations juridiques 32

Section  2   : Qu’est-­‐ce qu’un droit réel ? (What is a property interest ?) 27

A.   La matrice d'Hohfeld, une nouvelle manière de définir les situations juridiques 32

Hohfeld part du constat selon lequel les juristes emploient certains termes sans grande précision. Dans les cas simples, cela n’a pas de conséquences. Mais la tendance à traiter de problèmes complexes comme s’ils étaient simples a finalement constitué un obstacle à la compréhension, à l’ordonnancement et à la solution cohérente des problèmes juridiques.

L’article traite des « notions de base du droit –des éléments constituant tout type de relation juridique »116. Hohfeld dresse alors deux tableaux de ces ‘éléments de base’ : l’un présentant les « jural opposites », l’autre les « jural correlatives ».

Jural Opposites

Right (claim-right) privilege power immunity

No-right duty disability liability

Jural Correlatives

Right (claim-right) privilege power immunity

duty No-right liability disability

Hohfeld fait remarquer que le terme « right » est souvent utilisé de manière imprécise pour désigner indistinctement un right, un privilege un power ou une immunity. Il cite de nombreux passages de traités et décisions de jurisprudence pour illustrer son propos et montrer la confusion qui en résulte, comme par exemple la définition que donnent Blackstone et Austin de la propriété : « La propriété est le droit de toute personne de posséder, user, jouir et disposer d’une chose »117. Hohfeld décide donc de clairement séparer ces différents termes et de circonscrire l’usage du terme « right » à un sens unique et approprié, par le biais de son corrélatif (c’est-à-dire du duty)118. Ainsi, un right

suppose nécessairement un sujet passif astreint à un duty119.

116 « The present article and another soon to follow will discuss, as of chief concern, the basic conceptions of the law,-the

legal elements that enter into all types of jural interests » Hohfeld, « Fundamental Legal Conceptions as Applied to Judicial Reasoning », Yale Law Journal, 1913

117 William Blackstone, Commentaries of the Laws of England, I :134-35 ; On remarquera la reprise de la définition de

Bartole.

118 « That clue lies in the correlative “duty,” for it is certain that even those who use the word and the conception “right” in

the broadest possible way are accustomed to thinking of “duty” as the invariable correlative », Hohfeld, art. cit.

Mais dès lors que c’est justement ce terme de « right » qui est utilisé sans discernement, Hohfeld propose d’utiliser le terme « claim-right » pour désigner ce premier élément de base en soulignant la relation d’obligation qu’elle entraîne.

De même les autres éléments de base se comprennent par leurs corrélatifs ou leurs opposés. La position contraire du titulaire d’un claim-right est celle d’une personne n’ayant pas de droit (no- right). Et la conséquence de ne pas avoir de claim right sur telle action de telle personne, c’est que cette personne est libre de faire ou de ne pas faire cette action : elle a un privilege120.

Il faut toujours préciser qui est titulaire des claims rights et des privileges et envers qui. Par exemple, si B contracte une obligation de non-concurrence envers A, alors :

-B a un devoir de ne pas concurrencer A sur son territoire et A a une action (claim-right) pour faire respecter cette obligation.

-B a la liberté, envers le reste du monde, de concurrencer A sur son territoire et le reste du monde n’a aucun droit d’action contre B pour lui imposer de respecter son obligation.

-Le reste du monde a la liberté de concurrencer A sur son territoire, et A n’a aucune action pour l’en empêcher.

-Les personnes au courant du devoir qu’a B envers A ont le devoir de ne pas aider B à rompre son obligation, et A a une action contre eux pour les y contraindre.

En somme, un droit de X sur Y « que x se passe » se caractérise par un devoir de Y envers X « que x se passe », alors que la liberté de X par rapport à Y « que x se passe » se caractérise par une absence de droit qu’a Y envers X « que x se passe ».

Passons maintenant au deuxième ensemble d’éléments de base. Un pouvoir (power) caractérise la possibilité qu’a une personne de modifier une situation juridique (ce qui implique que certaines personnes soient affectées et liées –liability- par ce changement)121.

Le contraire du pouvoir est l’absence de pouvoir (que nous ne pouvons en français traduire par incapacité vu le sens précis qu’a déjà ce terme dans notre droit). Une absence de pouvoir à l’égard de quelqu’un fait qu’on ne pourra le lier par notre volonté de modifier une certaine situation juridique, et comme conséquence une ‘immunité’ de cette personne par rapport à notre volonté. Liability et immunity se rapprochent fortement des notions d’opposabilité et d’inopposabilité françaises.

Par exemple122, si X est le propriétaire d’un bien meuble corporel, il peut décider d’éteindre son

« droit de propriété »123 par l’ensemble de faits constitutifs d’un abandon ; et simultanément et de manière corrélative, il crée à l’égard des autres personnes des privileges and powers (libertés et pouvoirs) relativement à l’objet abandonné, notamment la liberté d’utiliser l’objet et le pouvoir d’acquérir sur lui un titre en se l’appropriant. Ce pouvoir d’appropriation aura pour conséquence de lier le reste du monde.

120 « The closest synonym of legal “privilege” seems to be legal “liberty" », Ibid

121 « A change in a given legal relation may result (1) from some superadded fact or group of facts not under the volitional

control of a human being (or human beings); or (2) from some superadded fact or group of facts which are under the volitional control of one or more human beings. As regards the second class of cases, the person (or persons) whose volitional control is paramount may be said to have the (legal) power to effect the particular change of legal relations that is involved in the problem », Ibid

122 Cet exemple est celui que prend Hohfeld pour illustrer son propos

B.  Le  property  interest,  un  réseau  complexe  de  relations  juridiques  plutôt  qu'un  pouvoir