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DE LA MONNAIE A VALEUR INTRINSEQUE A LA MONNAIE VALEUR EN CIRCULATION

CONVENTION + VALEUR CIRCULATION = MARCHANDISE MONNAIE

2.3. La valeur en circulation

Le nouvel usage, que la marchandise choisie comme monnaie va remplir, réagit sur sa valeur intrinsèque initiale. Si l'instrument monétaire suppose pour être monnaie qu'il ait au préalable une valeur propre, ce rôle d'instrument va changer sa valeur intrinsèque car : "l'adoption d'une marchandise pour faire office de monnaie augmente

considérablement sa valeur intrinsèque, sa valeur comme marchandise. C'est un nouvel usage donné à cette denrée, et qui la fait rechercher davantage. C'est un emploi qui en absorbe une grande partie, la moitié, peut-être les trois quarts ; et qui par conséquent la rend plus rare et plus chère2."

Cette dernière caractéristique réduit l'usage du métal pour autre chose que la monnaie car : "Le résultat de ce fait est que ces matières étant devenues d'un prix plus

grand que ne le comporte leur usage comme marchandise, à cause de leur qualité de monnaie, il convient moins de les employer comme marchandise3." Cela peut aller

jusqu'à éliminer totalement le premier usage : "Quelquefois une marchandise n'a

d'autre utilité que d'être admise par la coutume à faire office de monnaie. Je ne sache

1 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second, p166. Les auteurs visés par Say sont Montesquieu, Dutot, Melon, Savary. Nous aurons l'occasion de préciser par la suite les points de critique de J.-B..Say.

2 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second p. 429. 3 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second, p. 430.

41 pas que les coquillages nommés cauris aient eu aucun autre usage. Cette seule utilité suffit pour leur donner une valeur ; valeur qui s'établit dans les lieux où l'on vend ou achète avec des cauris. 1". Say fonde la monnaie sur le seul consensus des opérateurs

privés, sur l'usage d'une marchandise comme moyen de paiement sans qu'elle ait aucune autre valeur intrinsèque que celle que lui confère la demande de monnaie.

C'est un élément essentiel à partir duquel il maintiendra la cohérence de son analyse entre la première édition du Traité et la sixième. On passera de la marchandise- monnaie possédant une valeur intrinsèque, préalable à son utilisation comme instrument monétaire, à la monnaie de papier sans valeur intrinsèque, autre que celle de son utilité comme moyen de circulation. Dès lors qu'un instrument quelconque, au moyen de la convention, remplit cette fonction de moyen de paiement, il peut être monnaie. Il peut être de papier ou de n'importe quelle autre matière, mais une double origine dans sa valeur intrinsèque n'apparaît plus nécessaire. L'analyse de Say ne le place pas dans une vision substantialiste de la valeur qui, dans ce cas lui aurait interdit ce passage. La demande de monnaie qui naît des besoins de la circulation associée à l'accord des opérateurs suffit dès lors logiquement pour fonder la valeur de la monnaie.

L'abandon de la définition de la monnaie fondée sur la valeur intrinsèque préalable intervient dans la troisième édition du Traité(1817). Entre-temps s'est déroulée toute la controverse sur le Bullion Comittee ; c'est cette expérience que Say prend en compte pour modifier radicalement son point de vue : "Des événements

monétaires extrêmement remarquables survenus en Angleterre depuis la première édition de ce Traité, ont prouvé que le seul besoin d'un agent de la circulation, d'une marchandise-monnaie, pouvait soutenir la valeur d'un papier-monnaie absolument dénué de gage ; pourvu qu'on en bornât la somme à celle que réclame les besoins de la circulation 2". Le besoin de monnaie est tel qu'il suffit pour "donner à des feuilles de papier, faisant office de monnaie, une valeur égale à des pièces d'or 3."

1 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second p. 431, idem 6°, p. 243. 2 J.-B. SAY, TEP, 3°, Livre 1, p. 379.

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S'il procède à cet abandon, c'est qu'il va dans le sens de l'importance cruciale qu'il attribue à la demande dans la formation de la valeur. C'est ce qui l'amène à critiquer Ricardo dans la quatrième édition du Traité(1819) : "Monsieur Ricardo, et

quelques autres, soutiennent que les seuls frais d'extraction déterminent le prix des métaux, c'est-à-dire la quantité plus ou moins grande qu'on en offre en échange de toute autre chose ; ils établissent, par conséquent, que le besoin qu'on en a n'y influe en rien . C'est contredire la mieux constatée de toutes les expériences ; celle qui nous montre chaque jour que la valeur des choses s'accroît par la demande1".

La même position va être confirmée avec autorité dans la cinquième édition du

Traité(1826) : "Si, comme on l'a vu, l'usage des monnaies se borne à servir d'intermédiaire dans l'échange de la marchandise qu'on veut vendre contre la marchandise qu'on veut acheter, le choix de la matière des monnaies importe peu . Cette marchandise n'est point un objet de consommation ,..., Et comme on la redonne sans altération sensible, comme il suffit qu'une autre personne consente à la recevoir sur le même pied qu'on l'a soi-même reçue, elle pourrait être indifféremment d'or, d'argent, de cuivre ou de papier et remplir également bien son office2". Dans la sixième

édition(1841) dans le chapitre XXI "De la nature et de l'usage des monnaies3" il donne

la primauté à la seule liquidité fondée sur la convention, la monnaie étant la seule marchandise : "admise par l'usage et par les lois à servir d'intermédiaire dans les

échanges, (à) convenir à tous ceux qui ont quelque échange, quelque achat à consommer, c'est-à-dire à tout le monde4".

2.4. Monnaie et communauté de paiement

La validité du bien choisi comme monnaie n'est pas universelle ; toutefois son utilisation comme monnaie va au-delà du territoire où il est utilisé. Ainsi : "Aux

1 J.-B. SAY, TEP, 4°, p. 336, TEP, 6°, p. 254 note 1. 2 J.-B. SAY, TEP, 6°, p. 242.

3 J.-B. SAY, TEP, 6°, p. 235. 4 J.-B. SAY, TEP, 6°, p. 238.

43 Maldives et dans quelques parties de l'Inde et de l'Afrique, on se sert pour monnaie d'un coquillage nommé cauris, qui n'a aucune valeur intrinsèque si ce n'est chez les peuplades qui l'emploient en guise d'ornement (..) Elles (les nations) trouveront trop incommodes une marchandise-monnaie qui hors des limites d'un certain territoire, n'auront plus cours 1". Toutefois cette valeur établie pour les cauris dans un lieu du

monde, "leur donne même une certaine valeur dans tous les autres lieux qui

communiquent avec le premier 2". Mais cela n'implique aucune fixité dans la valeur de

la monnaie : "Cette faculté de servir de monnaie ne fixe point la valeur des métaux

précieux ; elle reste variable soit d'un lieu à un autre, soit d'un temps à un autre, comme celle de tout autre marchandise 3". Il conclut que la monnaie est une

marchandise dont "la valeur s'établit suivant les règles communes à toutes les autres

marchandises 4."

On voit bien ici que Say ne cherche pas, pour fonder la valeur de la marchandise monnaie, une quelconque substance particulière. C'est la nature de la relation commerciale qui est prise en compte. Cependant, l'étendue de la communauté de paiement influe sur le choix de la marchandise comme monnaie, dans la mesure où l'on est "d'autant plus disposé à recevoir une marchandise par échange qu'il y a plus de lieu

où cette même marchandise sera admise à son tour de la même façon.5".

Ce sont les métaux précieux, c'est-à-dire l'or et l'argent, qui sont "la monnaie la

plus généralement adoptée.(...)On peut par conséquent proportionner leur quantité à la valeur de la chose qu'on achète. En second lieu, les métaux précieux sont d'une qualité uniforme par toute la terre6". L’homogénéité de la marchandise choisie réduit

encore l'incertitude, le coût d'information. On ne doit donc pas être surpris que presque toutes les nations commerçantes du monde aient fixé leur choix sur les métaux pour leur servir de monnaie "il suffit que les plus industrieuses, les plus commerçantes

1 TEP, 2°, Livre I, p. 311, idem TEP, 6°, p. 243. 2 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second, p. 431. 3 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second p. 432. 4 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second, p. 433.

5 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second, p. 424, idem TEP, 6°, 243. 6 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second, p. 424, idem TEP, 6°, 243.

44 d'entre elles l'aient fait, pour qu'il ait convenu aux autres de le faire1". C'est encore

l'observation de la pratique qui guide J.-B. Say, l'imitation ou l'influence liée à la domination des nations les plus puissantes et de leurs coutumes, ou plus simplement encore, comme semble l'indiquer la phrase, un accord tacite, une coutume élargie. Toutefois cet avantage, dans les relations entre particuliers, n'en est plus un de nation à nation : "dans ces dernières relations, la monnaie, et encore plus les métaux non

monnayés, perdent l'avantage que leur qualité de monnaie leur donne aux yeux des particuliers ; ils rentrent dans la classe des autres marchandises 2". La communauté de

paiement disparaît car la convention n'existe pas dans l'espace international3.

En opérant cette distinction entre l'espace national et l'espace international, J.-B. Say tire la conséquence logique de sa définition première de la monnaie, attribuant un rôle fondateur au consensus des opérateurs privés. Ce consensus n'existe plus lorsque l'on passe d'un espace à un autre. En effet "Un particulier aime à recevoir de l'argent

plutôt que de la marchandise parce qu'il sait mieux ainsi la valeur de ce qu'il reçoit : un négociant qui connaît le prix courant des marchandises dans les principales villes d'Europe , ne se méprend pas sur la valeur de ce qu'on lui paye. Quelle que soit la forme matérielle sous laquelle on lui présente cette valeur4". La monnaie renferme une

information certaine et la plus largement répandue. Pour le particulier la certitude est plus grande avec de la monnaie, car son information sur la valeur des autres marchandises est imparfaite. Enfin, une autre raison qui fait préférer la monnaie à tout autre actif réside dans le fait qu'"un particulier peut-être appelé à liquider sa fortune

pour lui donner une autre direction , pour faire ses partages , or une nation n'est

1 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second, p. 424, idem TEP, 6°, p. 243. H. HASHIMOTO, résumé, op. cit., pp. 47-48 : I-57 (I-v-23) Un seul métal sert de mesure dans les monnaies dans chaque pays.

I-58 (I-v-24 ,25) Dans [la] Rome ancienne, le cuivre était le métal-monnaie; c'est l'argent dans la

plupart des états modernes.

I-59 (I-v-26-27) Le métal-monnaie est celui que le créancier est forcé de recevoir en payement de son

débiteur; il n'y en a plus quand la loi reconnaît pour légaux les payements en deux métaux.

I-60 (I-v-28) Quand une obligation est stipulée en un certain métal, ce métal devient dans ce cas l'unique

métal-monnaie.

2 TEP, 2°, T I, p. 185, idem TEP, 6°, 164.

3 Voir P. DOCKES, L'espace dans la pensée économique, du XVI au XVIII° siècle, Flammarion, pp. 247- 400.

45 jamais dans ces cas-là. Les liquidations qui se font dans un pays se font avec les

marchandises qui y circulent 1."

III. LES FONCTIONS DE LA MONNAIE