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Les activités des négociants-banquiers

INDIVIDUALISME RESPONSABLE ET ORGANISATEUR

IV LES NÉGOCIANTS BANQUIERS 4 1 Lyon et les négociants banquiers

IV. LES NÉGOCIANTS BANQUIERS

4.2. Les activités des négociants-banquiers

Quelles sont les activités d'une maison de négociant ? L'analyse des comptes de la maison Roux nous donne les indications suivantes1:

- Commission commerciale, achat et vente : 37,0%

- Profits sur marchandises en compte propre : 29,0% - banque, agios, escomptes, intérêts, arbitrages : 24,0% - revenus financiers, commandites et prêts à la grosse: 9,0% - commissions diverses, affrètements, transits : 0,9%

- assurance : 0,1% 2

On retrouve dans cette maison des activités semblables à ce que l'on pouvait trouver chez un négociant lyonnais avec des commissions sur les ventes de drap, de cochenille, de sucre, de poivre, de morue, de soie brute, de café. Au total on compte sur cette maison 10 produits qui font 97% du chiffre d'affaires et 25 autres qui donnent le complément.

La caractéristique du négociant-banquier c'est d'abord celle d'être présent sur les différents marchés comme acheteur et vendeur pour son propre compte, et ce, dans une position où les informations dont il dispose sur les prix et les cours des marchandises, des effets commerciaux et des métaux monnayés, sont cruciaux pour opérer ses échanges. Cette présence simultanée sur des marchés différents ne peut que le conduire à évaluer, à partir de la recherche du gain, les différentes valeurs qui s'offrent à l'achat ou à la vente, à comparer les coûts de transaction et de transport qui sont très importants

1 Nous emprunterons les faits aux travaux de René SQUARZONI, Mécanismes monétaires et bancaires

du capitalisme commercial au XVIIIe siècle : une analyse, Thèse, Université d'Aix-Marseille, 1976, pp.

38-45.

2 R. SQUARZONI, Mécanismes monétaires et bancaires du capitalisme commercial au XVIIIe siècle :

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à cette époque. Il est donc à lui seul, un marché unifié avec une perception aiguë des relations entre les différents marchés1. La ville de négoce, est d'une certaine façon,

cette préfiguration du marché global à venir. Cette position le pousse à penser en termes d'interdépendance de marché, en termes de mobilité des facteurs et d'égale contribution des facteurs à la richesse globale. Pour un négociant banquier toutes les valeurs sont utiles dès lors qu'elles ont un marché.

Dans le travail du négociant-banquier, la collecte des informations est essentielle avant de pouvoir réaliser les opérations d'arbitrage. La connaissance des cours des différentes places et de la conjoncture économique qui y règne, est évidemment un des éléments essentiels. Les banquiers, inscrits dans un réseau, se communiquent mutuellement les informations qui modifient les cours des différentes marchandises. Ce sont bien sûr les maisons les plus puissantes qui donnent les cours les mieux assurés. Toute l'information est donc ici d'origine privée et elle est essentielle pour mener à bien des opérations dont les marges sont étroites, guère plus de 2 ou 3% de différence entre places2.

Dans cette collecte, la multitude des informations recueillies porte non seulement sur les cours des changes ou des effets de commerce, lettres de change et billets à ordre, mais aussi sur les cours des différentes marchandises proposées à la vente ou à l'achat. Le négociant banquier tient dans une seule main la totalité des opérations économiques, aussi bien le réel que sa contrepartie monétaire. La diffusion des informations entre places est remarquablement bien organisée et sûre3. L'information qui parvient au

négociant-banquier par la voie postale si elle est sûre, est toutefois discontinue et il doit

1 Voir F. BRAUDEL, Civilisation matérielle et capitalisme, vol. II.

2 "Pour les arbitrages mixtes, métaux précieux et lettres, le taux de profit varie selon le mode

d'organisation : près de 3% en compte propre, proche de 1,5% en participation, soit, en prenant trois mois pour durée moyenne des opérations, des taux annuels respectivement de 12% et de 6%. Avec des valeur maximales, 5, 5% en compte propre et 4% en participation, on obtient 22% et 16% l'an. Les déficits ne sont pas rares, 10% environ des interventions, mais la perte est réduite, 1% au plus du montant risqué, et les arbitrages à perte ne concernent que ceux en participation", René SQUARZONI, Mécanismes monétaires et bancaires du capitalisme commercial au XVIIIe siècle : une analyse, Thèse,

Université d'Aix-Marseille, 1976, p. 183.

3 Voir R. SQUARZONI, Mécanismes monétaires et bancaires du capitalisme commercial au XVIIIe

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former son opinion sur ce que sera l'état du marché dix ou vingt jours plus tard. Il lui faut anticiper sur les conjonctures, prolonger ou inverser des tendances, bref combiner les données rationnelles dont il dispose et, dans le même temps, imaginer ce que peut- être le futur en fonction de ce que son expérience lui a appris.

S'il veut que son activité soit profitable, il lui faut, pour spéculer, avoir établi ce que peuvent être les variations moyennes à telle ou telle époque de l'année, pour tel type d'opération, sur tel effet de commerce ou telle marchandise. L'expérience accumulée est ici indispensable. Une autre dimension de ces opérations est la parfaite maîtrise des opérations de l'arithmétique qu'elles impliquent. Ces opérations présentent cependant un certain nombre de difficultés, car les négociants doivent en permanence réaliser trois opérations : celle de compte, celle de change et celle de paiement. Le métier implique une maîtrise d'un ensemble de qualités importantes et qui ne sont pas à la portée de tous. On voit que l'importance du réseau des correspondants est cruciale pour une maison de négoce ou de banque. La sélection et la transmission de ce réseau relève d'une durée qui est celle de plusieurs générations. La sélection des correspondants, leur conservation, même quand il n'y a que de la correspondance sans affaire à réaliser, tient une place importante. Toute ceci montre que la réciprocité est essentielle. Elle implique, de la part de chacun des membres du réseau, la prise de conscience exacte des intérêts de l'autre pour pouvoir préserver les liens. En effet, il est simple de comprendre qu'un correspondant de Cadix ne donnera plus de bonnes informations si les opérations qu'il réalise sur Lyon sur la base des informations transmises par son correspondant, sont toujours négatives. Il faut que chacun soit gagnant et chacun son tour dans ce réseau, pour que la chaîne puisse se maintenir. La notion de concurrence à l'intérieur du réseau est donc fortement limitée par celle de l'objectif du maintien de ces rapports, la concurrence existe surtout avec les autres réseaux.

Dans une tel contexte les opérations d'arbitrage entre différentes valeurs, marchandises, effets de commerce ou papier d'État, nécessitent une très bonne connaissance des projets de la puissance publique et de ses besoins. Cette profession doit tourner en permanence son attention, à la fois vers les éléments qui composent le

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marché local et les marchés éloignés, et se tenir informée des développements politiques et des problèmes financiers de l'État, avec leur répercussion possible sur l'activité commerciale et bancaire.

La perception par les négociants des espèces qu'ils manipulent, est très clairement assimilée à des marchandises : "J'ai toujours regardé l'argent dans le commerce comme

une marchandise ou comme un instrument, qu'on loue plus ou moins chèrement qu'il est plus ou moins recherché"1. Au total, les qualités des négociants banquiers sont celles de

la prudence, de l'expérience accumulée, des informations soigneusement collectées et recoupées et de gains limités. Nous sommes loin de l'image de capitalistes prédateurs édifiant des fortunes colossales en une génération. Rien ici ne découle que du travail honnête, laborieux et du calcul. Les négociants banquiers ont également une fonction qui est celle du contrôle, de la sélection et de la garantie des lettres de change qu'ils escomptent. Sur des opérations où les gains sont limités, il importe que les risques le soient également, ce qui conduit nécessairement a éliminer toutes les signatures qui ne présentent pas de garantie suffisante. Dans un tel marché, ce sont les acteurs eux-mêmes qui doivent empêcher que des opérations très spéculatives et donc très risquées ne viennent bouleverser une activité qui repose sur un travail important2.

C

ONCLUSION

Au terme de ce bref aperçu du contexte dans lequel Say a évolué on peut souligner que la banque et le crédit sont soit totalement liés à l'État, soit immergés dans les transactions entre les marchands. Le crédit privé existe, mais il n'est pas séparé des

1 Cité par R. SQUARZONI, Mécanismes monétaires et bancaires du capitalisme commercial au XVIIIe

siècle : une analyse, Thèse, Université d'Aix-Marseille, 1976, p. 374.

2 " (Paris , De la Rue et Cie, 12 Juillet 1729) Nous voyons bien qu'il y a , à présent, des arbitrages assez

fructueux à faire mais puisque vous trouvez quelques risques dans les retours, vous faites parfaitement bien de vous en abstenir et nous sommes comme vous d'avis de ne rien faire plutôt que de donner dans du papier de la seconde classe à quelque prix que ce soit" (…) (Paris Veuve ARENE , 9 juillet 1735)Je vous recommande toujours de n'en prendre que la crème du papier" R. SQUARZONI, Mécanismes monétaires et bancaires du capitalisme commercial au XVIIIe siècle : une analyse, Thèse, Université

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activités commerciales et productives. La figure du négociant banquier et la variété des opérations qu'il mène permet de comprendre, en partie seulement, pourquoi Say a pu concevoir la production, la commercialisation, la répartition et la consommation comme un immense échange de valeur. L'autre donnée concerne la complexité des opérations que les négociants-banquiers doivent accomplir, opérations où ils sont en permanence obligés de confronter toutes les valeurs sur des marchés très différents. Il manque cependant dans ce bref survol des données précises sur la nature des opérations de crédit quotidiennes et les modalités de garantie qu'elles mettent en oeuvre. La confiance entre membres d'un même réseau semble déterminante, il nous manque les éléments pour en décrire les mécanismes.

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On voit dans le monde beaucoup de personnes qui ont trop de respect pour l'argent, et cela dégoûte. On en voit aussi qui en ont trop peu, et elles tombent dans la misère. Que n'a-t-on pour l'argent tout le respect qu'on lui doit, et rien de plus.

Petit volume sur les hommes et la société

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