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Monnaie et conservation de la valeur

DE LA MONNAIE A VALEUR INTRINSEQUE A LA MONNAIE VALEUR EN CIRCULATION

CONVENTION + VALEUR CIRCULATION = MARCHANDISE MONNAIE

3.3. Monnaie et conservation de la valeur

Dans la pratique le choix de la marchandise qui sert de monnaie ne saurait être arbitraire. Pour qu'un bien soit choisi comme instrument monétaire, il faut qu'il "réunisse plusieurs qualités propres à cet usage et sans lesquelles on ne peut espérer

que la coutume de le recevoir comme monnaie, s'étende bien loin et dure bien longtemps3". En d'autres termes, si la libre préférence des opérateurs privés est la

condition fondatrice pour faire d'une marchandise quelconque l'instrument monétaire, cette condition n'est pas suffisante pour que l'usage de cette marchandise monnaie

1 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second, p. 480. 2 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second, p. 482.

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s'étende dans le temps et dans l'espace. Parmi les qualités, il cite les caractéristiques classiques de divisibilité, immuabilité : "Il faut que la marchandise servant de

monnaie puisse se proportionner sans s'altérer aux divers produits qu'on peut vouloir acquérir en échange1."

Il est amené à tenir compte du rôle de la marchandise monnaie choisie comme monnaie. Une trop grande variabilité de sa valeur rendrait la marchandise inapte à servir comme monnaie. Pour garantir la relative stabilité de sa valeur, cette marchandise doit être d'une extraction assez difficile "pour que ceux qui la reçoivent ne craignent

pas de la voir s'avilir en très peu de temps 2". Le coût de production de la marchandise

monnaie doit être suffisamment élevé et les conditions de production ne doivent pas pouvoir varier rapidement, de façon à lui donner une assez grande valeur et une assez grande stabilité, du point de vue des conditions de production à travers l'espace et le temps.

Car "on n'est pas disposé à recevoir couramment une marchandise qui peut d'un

moment à l'autre perdre la moitié ou les trois quarts de son prix.3". La libre préférence

des acteurs ne relève pas de l'arbitraire. Elle a comme préoccupation constante la certitude dans la valeur échangée, ce qui rend toutes les marchandises subissant de fortes variations de prix au cours d'une année, inaptes à cet usage. Il s'agit bien de choisir une marchandise, dont l'aptitude à la conservation de la valeur, soit la plus grande possible dans le temps et l'espace de l'échange. L'on retrouve ici, sans différence aucune, A.Smith : "La dureté de l'or et de l'argent, surtout au moyen des alliages qu'ils

admettent, les fait résister à un frottement assez considérable, ce qui les rend propres à une circulation rapide ; quoique sous ce rapport ils soient inférieurs à plusieurs pierres précieuses (...) Enfin l'or et l'argent sont susceptibles de recevoir des marques et des empreintes qui certifient le poids des pièces et le degré de leur pureté4". La

1 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second, p. 422, idem, TEP, 6°, p. 243. 2 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second, p. 423.

3 J.-B. SAY, TEP, 1°, Livre second, p. 423, idem, TEP, 6°, p. 243.

4Cahiers monnaie et financement N° 19, p. 360, traduction de D.Berthaud, J.M .Servet, Lectures : Adam Smith. Les métaux peuvent non seulement être gardés avec aussi peu de pertes que n'importe quel autre

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marchandise choisie comme monnaie doit être relativement rare, relativement aux autres marchandises, sinon elle cesse de faire fonction de monnaie, comme pour le fer et le cuivre. Au total, Say ne nie pas que la marchandise-monnaie remplisse dans la pratique la fonction de réserve de valeur, tout au contraire. Et nombre de remarques attestent qu'il note bien le phénomène de la thésaurisation : "Il est à remarquer que

l'abondance du numéraire peut s'allier avec la misère publique1". Il note également que

sans qu'il y ait thésaurisation volontaire, le montant des encaisses détenues peut-être très supérieur à ce qu'exige l'activité économique : "Dans un pays pauvre, le marchand

qui vient de vendre reste quelquefois longtemps sans pouvoir racheter les objets sur lesquels roule son industrie . Pendant ce temps, la somme (produit de la vente) demeure oisive dans ses mains .,..., ce qui laisse toujours oisives beaucoup de portions de la marchandise monnaie 2". Il va aborder la question de la thésaurisation dans la

quatrième édition du Traité (1819), dans le chapitre de la loi des débouchés : "Lors

même que ce serait pour enfouir la somme, le but ultérieur est toujours d'acheter quelque chose avec la somme . Si ce n'est l'enfouisseur qui achète, c'est son héritier, c'est celui aux mains de qui la somme tombe par quelqu'accident que ce soit ; car de la monnaie en tant que monnaie, ne peut servir à aucun autre usage3".

Si l'on suit l'analyse de J.-B. Say, celui-ci semble dire que lorsqu'un opérateur transforme une somme de monnaie en épargne, cela est sans conséquence dans la mesure où quelqu'un d'autre désépargne une somme enfouie . Autrement dit, la somme globale de ce qui est épargné est toujours compensée par la somme de ce qui est désépargné, car il ne peut y avoir d'autres motifs pour détenir de la monnaie que l'acte d'achat . Donc la monnaie ne peut pas être demandée pour elle-même. Le stock de monnaie thésaurisée est stable, les flux d'entrée et de sortie se compensent . Il ne peut donc y avoir déséquilibre .

en autant de parties qu'on le désire, de même que par fusion ces parties peuvent être réunies de nouveau ", à comparer avec le passage de J.-B..Say, "SAY, TEP, 1°, Livre second, p. 426.

1 J.-B. SAY, TEP, 2, Livre second, p. 188. 2 J.-B. SAY, TEP, 3°, Livre 2, Note 1, p. 28. 3 J.-B. SAY, TEP, 4°, Livre 1, p. 149.

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La fonction de réserve de valeur est en définitive strictement limitée au court terme, mais elle est une condition qui apparaît ici comme nécessaire dans la pratique : "Toutefois ces qualités seraient insuffisantes pour assurer la circulation des monnaies

si elles ne recelaient pas en elle-même une valeur qui leur fût propre, une valeur que chacun de ceux qui les reçoivent supposât devoir se soutenir au moins jusqu'au moment où il doit s'en servir pour un achat ."1 Mais cette fonction de réserve de valeur même

limitée dans le temps ne repose pas sur une quelconque propriété physique de l'instrument monétaire : "La possibilité de se servir d'une monnaie dépourvue de toute

propriété physique, pourvu qu'elle soit aisément transmissible, et qu'on trouve le moyen d'en soutenir la valeur à un taux, sinon invariable, du moins difficilement et lentement variable, a fait présumer à de très bons esprits qu'on pourrait sans inconvénient y employer une matière beaucoup moins précieuse que l'or et l'argent2". Si Say voit un

problème, ce n'est pas celui que nous appelons aujourd'hui la préférence pour la liquidité, mais l'absence de possibilité de placement qui est pour lui la cause essentielle de détention d'encaisses oisives pour les particuliers qui: " conservent ordinairement

pendant quelque temps la valeur épargnée, sous la forme de monnaie qui leur est plus commode que toute autre, jusqu'à ce que la somme, grossie par plusieurs accumulations successives, soit assez forte pour en pouvoir opérer le placement . Il y a de cette manière en chaque pays, bien des petites portions de capitaux, dont l'emploi est retardé et dont la somme totale, chez un peuple nombreux, actif et économe, forme un capital improductif très considérable 3.

CONCLUSION

L'analyse de Say apparaît comme paradoxale. D'un côté, il affirme que la monnaie ne possède qu'une seule fonction, du point de vue de la théorie pure, celle de

1 J.-B. SAY, TEP, 5,° chapitre 21, p. 245. 2 J.-B. SAY, TEP, 5, p. 276.

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moyen de circulation qu'il développe très peu. De l'autre il consacre beaucoup de pages à analyser la fonction de mesure des valeurs, à prôner, comme nous le verrons dans un autre chapitre, des solutions. dans le domaine de l'économie politique pratique. La fonction de mesure des valeurs et le rôle de l'État mobilisent en fait toute son attention. Cette apparente contradiction ne peut se résoudre que si l'on accepte de le lire en considérant qu'il mêle constamment logique pure et politique économique. L'autre point que l'on peut souligner, c'est que toute son approche de la monnaie est noyée dans celle de la production, donc dans la théorie de la valeur, ce qui la rend très souvent méconnaissable.

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CHAPITRE

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