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V ERS UNE ESTHÉTIQUE DE LA LITTÉRATURE FOLLE

Depuis Platon1 jusquřà Malebranche2 et Jean-Paul Sartre3 au moins, le constat est inévitable : tout poète ou créateur, au risque dřy laisser sa raison, requiert sa part dřimagination, quřimporte sa provenance, pour créer. Le passage à lřacte en est garant. Or voilà, il appert quřil y a péril à laisser ainsi son imagination libre de vaguer à tous vents. Le bruit court chez les aliénistes que lřexcès de la pernicieuse faculté pourrait bien être fatal pour le poète trop aventureux et ignorant les mises en garde, au risque de sombrer dans une redoutable fureur poétique. Prudence est de mise. La folie guette. Philippe Pinel, à la toute fin du XVIIIe siècle, décrit ainsi la situation :

Je ne crois pas décourager les vrais talents, mais leur donner un avis salutaire que de leur montrer dans lřexcès de sensibilité qui les caractérise une des causes propres à produire lřégarement de la raison. Les divers ordres des savants et des artistes, les orateurs, les poètes, les géomètres, les mécaniciens, les peintres et les sculpteurs payent presque chaque année leur tribut à lřhospice des fous. Il mřest arrivé plus dřune fois de mřarrêter devant la loge dřun insensé qui discourait quelquefois sur les affaires du temps, en termes les plus recherchés et avec la plus vive énergie. Lřimagination exaltée des poètes finit aussi quelquefois par la manie et je suis souvent obsédé par un fabuliste qui me presse de lire ses productions et pour qui je vois seulement la nécessité urgente de le soumettre au traitement de la folie. Je viens de voir succomber dans lřhospice des fous un des sculpteurs les plus distingués du Panthéon. Un des horlogers les plus habiles de Paris, et qui sřétait infatué de la chimère du mouvement perpétuel vient dřy faire un long séjour et il est maintenant rendu à sa famille. Le patriotisme gémit dřy voir renfermé un ingénieur qui a été employé au siège de la ville de Condé et qui sřest épuisé de travail et de veille. Presque jamais lřhospice des fous nřest sans renfermer quelques peintres célèbres et il sert encore de retraite à deux artistes habiles qui portent le nom de lřimmortel Le Sueur. Je donne aussi des soins assidus à un homme exercé aux méditations les plus profondes des mathématiques dont la raison a été altérée par les frayeurs sans cesse renaissantes que le vandalisme inspirait au vrai savoir. Que de talents perdus pour la Société et quels efforts ne doit- on point faire pour les lui rendre !4

1. Cf. Platon, La République, livre VII, 514b-517c [allégorie de la caverne], Paris, Flammarion, 1964 [écrit vers 375 avant J.-C.].

2. Cf. Nicolas Malebranche, « De lřimagination », in De la recherche de la vérité, livre second, Paris, Chez André Pralard, 1675, p. [145]-151.

3. Cf. Jean-Paul Sartre, L’imagination, Paris, PUF, 1981 [1936] et L’imaginaire. Psychologie

phénoménologique de l’imagination, Paris, Gallimard, 1986 [1940].

4. Philippe Pinel, « Mémoire sur la manie » [1794], in L’aliénation mentale ou la manie. Traité

Méninges en feu

Le tableau est classique et même mythique : cette idée voulant que que le poète est animé par une sorte de puissance créatrice surnaturelle ou irraisonnée remonte à Platon et à Hésiode, voire au-delà. Comme lřexpose Platon dans Phèdre [244 a- c] et Ion [533d-536] par exemple, la fureur poétique, au même titre que les trois autres fureurs quřil distingue, à savoir les fureurs prophétique, mystique et amoureuse, est en quelque sorte une forme de folie ou de mania pour être plus juste. Transmise par les muses aux âmes délicates et pures, elle est dřorigine divine. Le principe est simple, les muses nřayant pour fonction que de les exciter et les troubler par leur chant et leur poésie. Ainsi, suivant Platon, il nřy a de poésie possible que par lřintermédiaire des muses, qui plus est, de la folie. Cřest ce qui se produit avec Hésiode par exemple, qui reçoit ses leçons de poésie des muses elles- mêmes5. Le tableau est dřautant plus prégnant pour Pinel que le poète inspiré, par son exaltation qui, précisons-le, échappe au contrôle de sa volonté propre, est le portrait type du maniaque. Il est dominé par ses passions, mû par une sorte de souffle divin qui nřa dřautre conséquence que dřexalter sa sensibilité, soumis aux forces dřune puissance extraordinaire qui nřa dřautre résultat que de surexciter ses facultés intellectuelles et dřenflammer son imagination. Les influences délétères de ces forces insanes ayant eu raison de sa santé mentale, le tableau clinique de la manie, de Pinel au DSM-IV, lřinscrit dřemblée en tête de liste des candidats à la maladie mentale. En effet, en dépit de lřévolution nosographique du trouble de lřhumeur aux XIXe et XXe siècles, les symptômes généralement observés chez les poètes (au sens large) atteints de ce trouble de lřhumeur (excitation nerveuse, surexcitation des facultés intellectuelles, fuite des idées, graphorrhée, tachypsychie, entre autres) sont récurrents dřun aliéniste à lřautre, depuis la description de lřaccès de manie par Pinel (1800 et 1809)6 et Esquirol (1818)7, à

5. Cf. Platon, Phèdre et Ion, Hésiode, Théogonie et Travaux et les jours [cf. particulièrement les prologues].

6. Ph[ilippe]. Pinel, Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie, Paris, Richard, Caille et Ravier, An IX [1800] et Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale.

Seconde édition, entièrement refondue et très-augmentée, Paris, Chez J. Ant. Brosson, 1809.

7. Étienne Esquirol, « Manie », in Dictionnaire des sciences médicales, tome 30, 1818, p. 437-472 [Réédition in Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-

son intégration, avec la mélancolie dans tout ce quřelle a de dépressif, au sein dřun seul et même trouble bipolaire (aux sens premier et nominatif), de Jean- Pierre Falret (1851 et 1854)8 et Jules Baillarger (1854)9 à Kraepelin (1899)10 et à Leonhard (1957), Angst (1966) et Perris (1966)11. Il importe ici de noter que Falret nřest pas le premier à avoir rapproché manie et mélancolie. Wilhelm Griesinger lřa précédé de quelques années en précisant que cette alternance entre mélancolie et manie était fréquente12. Lřunion des deux termes est cependant beaucoup plus ancienne. On pense quřelle pourrait bien remonter jusquřà Arétée de Cappadoce, au IIe siècle, qui notait : « Il est absolument nécessaire de réduire

8. Jean-Pierre Falret, « Marche de la folie. Forme circulaire des maladies mentales », in Gazette

des Hôpitaux, 14 janvier 1851, p. 19-23 et « Mémoire sur la folie circulaire, forme de maladie

mentale caractérisée par la reproduction successive et régulière de lřétat maniaque, de lřétat mélancolique, et dřun intervalle lucide plus ou moins prolongé », in Bulletin de l’Académie de

médecine, séance du 14 février 1854, tome XIX, 1854, p. 382-415 [Réédition in Des maladies mentales et des asiles d’aliénés. Leçons cliniques & considérations générales [chapitre VII : De la

folie circulaire, ou forme de maladie mentale caractérisée par lřalternative régulière de la manie et de la mélancolie], p. 456-475], Paris, 1864.

9. Jules Baillarger, « Note sur un genre de folie dont les accès sont caractérisés par deux périodes régulières, lřune de dépression et lřautre dřexcitation », in Bulletin de l’Académie de médecine, séance du 31 janvier 1854, tome XIX, 1854, p. 340-352 [Republication intégrale en deux livraisons in Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, tome 1, no 18, 3 février 1854,

p. 263-265 et no 19, 10 février 1854, p. 279-281. À nouveau reproduit intégralement sous le titre

« Folie à double forme » in Recherches sur les maladies mentales, Paris, G. Masson, 1890, p. [143]-157], « Discussion sur la folie circulaire », in Bulletin de l’Académie de médecine, séance du 14 février 1854, tome XIX, 1854, p. 401-414, « De la folie à double forme » in Annales

médico-psychologiques, 2e série, tome sixième, juillet 1854, p. 369-391, « Pathologie de la folie à

double forme », in Annales médico-psychologiques, 6e série, tome quatrième, juillet 1880, p. [5]-

36, « Folie à double forme. Historique et question de priorité », in Recherches sur les maladies

mentales, Paris, G. Masson, 1890, p. 675-686.

10. Emile Kraepelin, Psychiatrie. Ein Lehrbuch fur Studierende und Aerzte [Psychiatrie. Un

manuel pour étudiants et médecins], 6th ed., vol.2: Klinische Psychiatrie, Leipzig, Barth, 1899.

Cřest dans cette édition que Kraepelin distingue la psychose maniaco-dépressive (das manisch- depressive Irresein : appelée aujourdřhui trouble bipolaire) de la démence précoce (dementia praecox : appelée aujourdřhui schizophrénie) : cf. p. 359. Jusquřen 1913, où il publiera la huitième et dernière édition de son ouvrage, il nřaura de cesse de raffiner le cadre nosographique du trouble en question : cf. Psychiatrie. Ein Lehrbuch, 8th ed., vol.3: Klinische Psychiatrie, 2 Teil, Leipzig, Barth, 1913, p. 1353-1358.

11. Cf. Karl Leonhard, Aufteilung der endogenen Psychosen [La classification des psychose

endogène], Berlin, Akademie-Verlag, 1957, Jules Angst, Zur Ätiologie und Nosologie endogener depressiver Psychosen. Eine Genetische, Soziologische und Klinische Studie [Étiologie et nosologie des psychoses dépressives endogènes.Une étude génétique, sociologique et clinique],

Berlin und New York, Heidelberg und Springer, 1966 et Carlo Perris, ŖA study of bipolar (manic- depressive) and unipolar recurrent psychoses (I-X)ŗ [« Étude des psychoses bipolaires (maniaco- dépressives) et unipolaires récurrentes »], in Acta Psychiatrica Scandinavica Supplementum, 194, p. 1-189.

12. Cf. Die Pathologie und Therapie der psychischen Krankheiten, fûr Äerzte une Studierende, Stuttgart, Krabbe, 1845 [Seconde édition en 1861. Cette même édition fut traduite en français sous le titre Traité des maladies mentales. Pathologie et thérapeutique à Paris chez Delahaye en 1865].

la mélancolie et la manie à une seule espèce de maladie13 ». Ajoutons aussi que Leonhard et Perris distinguent deux formes de psychose affective au sein de la psychose maniaco-dépressive : les formes unipolaires (dépressives) et bipolaires. Les DSM-III et IV ainsi que le CIM-10 retiendront la dichotomie, malgré le changement de dénomination : la forme unipolaire sera remplacée par le trouble de dépression majeure ou dépressif récurrent (selon le manuel). On notera également que le trouble maniaque (sans épisode dépressif), qui figurait dans le DSM-III, nřapparaît pas dans le DSM-IV. En bref, il demeure manifeste que les grands poètes, artistes, philosophes de ce monde sont les premiers touchés, à en croire plusieurs études ŕ et non des moindres : citons par exemple Frederick K. Goodwin et Kay Redfield Jamison qui suggèrent dans leurs travaux que les liens entre créativité artistique et trouble bipolaire sont indéniables, cřest-à-dire que le trouble affecte de manière beaucoup plus significative les créateurs14. Signalons aussi Jacques Rogé qui, de façon assez convaincante, tente de montrer en parcourant les divers écrits de Nietzsche dans Le syndrome de Nietzsche15, que le philosophe en question souffrait du trouble bipolaire. Il est cependant dřautant plus fascinant dřobserver que pour nombre dřaliénistes au XIXe siècle, les aliénés ont également accès à ce privilège, si cřen est un. Dřabord, parce que vivre avec le trouble bipolaire nřest pas de tout repos, ensuite, parce que, qui dit surexcitation intellectuelle ne dit pas nécessairement génialité. Maximien Parchappe de Vinay16 semble être un des premiers à le signaler en 1844. Appelé à devenir inspecteur général des asiles dřaliénés en 1848, puis, par cumul de fonctions, inspecteur sanitaire des prisons en 1853, il est alors médecin chef de lřasile de Saint-Yon,

13. Cf. Huber, « Aretée de Cappadoce et la psychose maniaco-dépressive », L’information

psychiatrique, 61, 1985, p. 1375-1386. Cf. également sur ces questions Jackie Pigeaud, Folie et cures de la folie chez les médecins de l’antiquité gréco-romaine, Paris, Les Belles Lettres, 1987.

14. Cf. notamment Frederick K. Goodwin et Kay Redfield Jamison, Manic-Depressive Illness.

Bipolar Disorders and Recurrent Depression, New York, Oxford University Press, 1990

[réédition en 2007, revue et augmentée] et Kay Redfield Jamison, Touch with Fire. Manic-

Depressive Illness and the Artistic Temperament, New York, Free Press, 1993.

15. Jacques Rogé, Le syndrome de Nietzsche, Paris, Odile Jacob, 1999.

16. Sur la vie et les travaux de Parchappe, cf. Lucile Grand, Maximien Parchappe de Vinay (1800-

1866). Inspecteur général des asiles d’aliénés et du service sanitaire des prisons, Thèse de lřÉcole

près de Rouen. Le raisonnement quřil tire de lřobservation des aliénés quřil côtoie est troublant :

La puissance et lřactivité de lřimagination sont très fréquemment augmentées dans la folie. Les fous dont lřintelligence est demeurée active, vivent surtout de la vie intérieure de lřâme. Leur tendance à sřisoler révèle la prédominance de lřélément imagination, dans les phénomènes psychiques qui leur sont propres.

Lřexaltation de la puissance de reproduire par la mémoire et par lřimagination les états antérieurs de lřâme, et lřactivité surabondante de lřexercice de cette faculté, se manifestent avec les caractères de lřévidence dans la prodigieuse multiplicité dřidées qui se produisent et se succèdent avec une étonnante rapidité chez les fous atteints de délire maniaque, multiplicité dřidées qui sřexprime au dehors par lřintarissable loquacité et par les incessants monologues de ces malades.

Lřénergie de leur faculté imaginative se révèle souvent dřune manière encore plus curieuse, par ce que supposent de fécondité et dřhabileté dans lřinvention des circonstances et lřassociation des idées, les romans de leur existence, quřils composent pendant leur délire, et qui sont, ou lřhistoire, ou le sujet de leurs aberrations.

Il nřest pas rare quřalors ils atteignent, ou par lřinvention, ou même par lřexpression, des effets qui sembleraient ne pouvoir être attribués quřau talent. Cřest ainsi que, hors de lřétat morbide, la passion fait quelquefois spontanément sortir dřune nature inculte, ce quřen fait dřéloquence et de poésie le génie nřobtient que par les efforts dřune savante réflexion17.

Véritable apoiêsigenèse en apparence, si le lecteur, nřen déplaise à Daniel M. Oppenheimer18, veut bien accepter le néologisme que nous formons à partir des termes grecs poiêsis (création) et genesis (naissance)19, le processus créatif, en situation dřaliénation, est complètement déréglé. Aussi, il importe de le spécifier, lřétat dřaliénation dans lequel est plongé lřaliéné, justement, participe du processus en question. Mieux, il lřaccélère, ou pour ainsi dire, il le favorise, contribue à son bon développement, à son plein épanouissement. Lřeffet obtenu, sous lřempire de la passion, est parfois remarquable ; au point que Parchappe

17. Parchappe, « De la puissance intellectuelle dans lřétat de délire », in Revue de Rouen et de la

Normandie. Littéraire ŕ historique ŕ industrielle, 12e année, 1844 ŕ IIe semestre, p. 149-150.

Le texte en question sera repris avec quelques menus changements et inséré dans « Symptomatologie de la folie » [publié en quatre livraisons], in Annales médico-psychologiques.

Journal de l’aliénation mentale et de la médecine légale des aliénés, 2e série, t. II, janvier 1850,

p. [1]-54 ; avril 1850, p. [232]-267 ; t. III, janvier 1851, p. [40]-97 et avril 1851, p. 236-290. La citation est reproduite avec quelques changements mineurs à la p. 48 de la première livraison. 18. Cf. son étude ŖConsequences of erudite vernacular utilized irrespective of necessity: problems with using long words needlesslyŗ, Applied cognitive psychology, no20, 2006, p. [139]-156.

concède à lřaliéné frappé par cet éclair de génie une espèce de talent, pour le moins inattendu. Parmi les cas recensés par lřaliéniste qui méritent une attention particulière à ses yeux, citons celui-ci, qui sera repris par certains de ses successeurs20 :

Une mélancolique, femme dřun pauvre instituteur de campagne, sachant à peine écrire, dans une lettre où fourmillent les fautes dřorthographe, sřexprimait en ces termes :

« A mon mari.

Pourquoi le maître de lřunivers ne mřa-t-il pas ouvert mon tombeau, quand jřétais dans ma brillante jeunesse ? Pourquoi, dans ce même temps, ne mřa-t-il pas éloignée de toi, puisque tu ne mřaimais pas et que je fais ton malheur ? Pourquoi suis-je devenue mère ? pour être malheureuse, plus que malheureuse, abandonner mes enfans qui me sont si chers !

Pourquoi me hais-tu ? Quand je serais les pieds dans lřhuile bouillante, je dirais encore : je třaime…

Pourquoi ne mřas-tu pas laissé mettre près le père… tu serais heureux, et moi, mes maux auraient été finis ! Mes chers enfans, avec leurs jeux, sřasseoiraient sur ma tombe ! Je serais encore près dřeux ! je les entendrais encore dans le sombre tombeau dire : Voilà notre mère ! »21

Mais le cas est dřespèce, et si Parchappe y perçoit une certaine qualité esthétique, il nřy a pas lieu de généraliser le phénomène : libre à lui, malgré ce quřen penseront certains lecteurs ; le propos de la présente étude nřest pas de juger si telle ou telle œuvre est, dřun point de vue esthétique, estimable ou non. En outre, que le créateur en question ait des prédispositions artistiques ou non, prédispositions qui auraient pu, en lřoccurrence, être camouflées par la maladie mentale, puis ravivées par une crise, une surexcitation soudaine, le résultat nřest guère mieux ; du moins, au regard de lřautre, plus détaché de lřœuvre que celui du créateur lui-même. Il note :

Si la suractivité intellectuelle qui accompagne la folie peut faire rencontrer accidentellement à quelques insensés, dans la manifestation parlée ou écrite de leurs

20. Cesare Lombroso et Marcel Réja, notamment. Cf. Cesare Lombroso, p. 210 et Marce Réja,

L’art chez les fous, 1907, p. 227-228. On y reviendra.

21. Parchappe, « De la puissance intellectuelle dans lřétat de délire », op. cit., p. 150. Repris dans « Symptomatologie de la folie », Annales médico-psychologiques. Journal de l’aliénation mentale

idées, de leurs sentimens et de leurs passions, une sorte de talent dřexpression qui nřappartenait pas à leur portée intellectuelle antérieure, originelle ou acquise, il est infiniment plus ordinaire que cette suractivité ne produise que les plus médiocres résultats, même lorsque les malades se trouvent poussés, par suite de leur délire, à concentrer vers les sciences ou les arts tout ce quřils ont de facultés. Et lřon peut même admettre que, pour ceux chez lesquels une éducation libérale avait développé les germes du talent, lřétat de folie, tout en augmentant leur activité, diminue réellement leur puissance effective.

Les poètes, les artistes, les savans, les philosophes, les publicistes, ne sont pas rares dans les asiles dřaliénés ; et, bien que là plus encore quřailleurs ils se complaisent dans lřadmiration de leurs propres œuvres, il faudrait le plus souvent une grande dose dřindulgence pour éprouver, en examinant ces œuvres, un sentiment autre que la pitié22.

Et Parchappe de citer, à titre dřexemple, « quelques échantillons de poésie, empruntés à la littérature de Saint-Yon23 ». Citons, parmi dřautres, les deux premiers cas évoqués :

Un malade qui se croyait Napoléon II, inspire un autre malade qui se croyait poète ; celui-ci écrit, au dos dřune proclamation du Fils de lřhomme, une pièce de vers qui commence ainsi :

« Amis, fidels guerriers du grand Napoléon, Adorez constamment la gloire de son nom. Vainqueurs de lřunivers, héros des plus fameux, Sřimmortalisèrent par des combats nombreux. Cřest alors quřen combattant avec un grand courage Des rangs de lřennemi mirent le ravage… »

Un autre malade, possédé du démon de la poésie, composait avec une extrême abondance des vers tels que ceux-ci :

« O trop aimable et belle poésie ! Ma seule compagnie dans la rêverie. Forcée des jours et des longues nuits, De lřasile de Saint-Yon où je suis. O Saint-Yon ! mon horrible cauchemar ! […]

On dit que tu es une maison de santé,

Et quřil faut sřy jouer afin de se mieux porter. »

22. Parchappe, « De la puissance intellectuelle dans lřétat de délire », op. cit., p. 152. Repris dans « Symptomatologie de la folie », op. cit., p. 49-50.

23. En référence à lřasile du même nom où Parchappe a travaillé, rappelons-le, à titre de médecin chef.

On peut voir que ce poète nřétait difficile, ni sur la rime, ni sur la mesure, et quřil pratiquait lřenjambement avec une certaine hardiesse24.

Parchappe ne semble pas particulièrement renversé par la génialité des quelques productions exceptionnelles des aliénés qui lřentourent. Il sřempresse dřailleurs dřinsister sur leur rareté dans tout le lot qui lui est offert. Il nřen faut pas plus, cependant, pour convaincre plusieurs de ses disciples de lřintérêt que suscitent ces manifestations extraordinaires. Henri Sentoux, qui dédie (aux sens figuré et par