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Vérité et sincérité en linguistique .1 La notion de vérité

1 Approches privilégiées pour le travail

1.1 Linguistique de l’énonciation /vs/ philosophie du langage

1.1.3 Vérité et sincérité en linguistique .1 La notion de vérité

1.1.3 Vérité et sincérité en linguistique

L’analyse se complique encore au point de vue linguistique. En effet, tout énonciateur construit par son discours un monde référentiel. Ce monde référentiel est totalement subjectif et dépendant de l’énonciateur en présence de son co-énonciateur. Il ne renvoie pas nécessairement à la représentation de la réalité que se fait l’énonciateur. La langue se détache de la réalité dans la mesure où elle permet de construire un nombre infini d’expressions, sans contrainte liée au monde extérieur, comme le remarque (Blanchet, 1995, p.83) :

« Décalé par rapport à l’univers tangible, le langage se construit un autre univers, celui des signes, où la réalité est perçue et conceptualisée à travers le prisme du langage. Mais, en même temps, il permet d’appréhender cette réalité et d’y faire référence. »

Celui qui ment, par exemple, propose, par son discours, à son co-énonciateur un monde référentiel qui n’est pas en rapport avec la représentation qu’il se fait du monde extérieur. Mais un énonciateur peut tout aussi bien se référer au monde réel en situant, par exemple, un fait à une date précise (référence au temps du calendrier), ou par l’énonciation d’un performatif (qui permet de modifier un état du monde par un acte de parole35).

On peut donc attribuer à l’énonciateur deux mondes distincts pour l’analyse : un monde renvoyant à la représentation qu’il se fait du monde extérieur qui l’entoure, construit par la perception, et un monde référentiel construit par le discours :

35 Sur ce point, se référer à (Austin, 1962).

Figure 8 : Monde réel, monde perçu et monde référentiel construit par le discours

Ces deux mondes co-existent ; ils ne se confondent pas, même s’il est bien entendu possible de les faire correspondre en certains points.

Une telle conception de la réalité remet en cause la notion de vérité, puisque traditionnellement, la vérité est définie relativement à la réalité. De même que l’on refuse pour l’analyse linguistique de concevoir l’existence d’un monde « objectif » représentant la réalité, on refusera l’existence d’une vérité « objective » et « absolue ».

Ce problème lié à l’existence d’une vérité « objective » a été au centre de débats en philosophie, mais aussi en pragmatique. Pour les pragmaticiens, il n’est pas évident de décider si la vérité est ce qu’on croit ou ce qui est vrai dans un idéal absolu, comme le remarque (Blanchet, 1995, p.81) :

« Dans la pratique, pragmatiquement, ce qui est vrai c’est ce que l’on croit.

Quant à démontrer qu’il y a une vérité universelle et quelle est cette Vérité… L’observation du langage ordinaire fait plutôt pencher la balance

vers des vérités relatives, résultats toujours provisoires de processus interprétatifs variés et variables. »

En linguistique, on parlera ainsi de vérité relative (relative non seulement au temps (vérité qui peut être éphémère) mais encore à chaque individu), alors qu’en logique ou en philosophie, on parlera de vérité « objective », vérité unique et indépendante des individus.

La logique choisit de décider « objectivement » de la valeur de vérité des propositions étudiées, ce qui implique une certaine omniscience. La valeur de vérité n’est plus relative à un sujet mais découle d’un savoir global sur l’ensemble des choses, comme s’il s’agissait d’un observateur omniscient capable d’un point de vue objectif sur le monde. Cette conception de la vérité est éloignée des préoccupations linguistiques.

L’analyse linguistique place l’énonciateur au centre de l’étude, dans l’approche dialogique de la théorie de l’énonciation. Ainsi, comme chaque énonciateur construit par son discours son propre monde référentiel et possède sa propre perception de la réalité, il ne peut proposer qu’une vérité relative, contextualisée. Différentes vérités peuvent ainsi être exprimées, ce qui nous permet d’avancer que différentes vérités peuvent co-exister dans l’analyse linguistique, pour une ouverture vers une négociation dialogique par exemple. Sur ce point, nous rejoignons (Dendale, 1991, p.150)36 :

« […] il est parfaitement concevable d’avoir des vérités qui se contredisent, notamment lorsque deux propositions contraires sont énoncées par deux énonciateurs distincts ou lorsque deux propositions contraires sont énoncées par le même énonciateur à deux moments différents dans le temps. »

La vérité d’une proposition peut alors être relativisée puisqu’il ne s’agira plus d’une vérité absolue, valable pour tous, mais d’une vérité relative à un énonciateur et

36 Nous renvoyons également à (Dendale, 1990) concernant la vérité linguistique.

contextualisée ; on ne dira donc pas d’une proposition qu’elle est « vraie (absolument) » mais « vraie pour un énonciateur donné », comme le note (Martin, 1983, p.37) :

« Le propre de la vérité langagière - constatation banale mais qui n’en est pas moins décisive – est une vérité prise en charge par un sujet. Un énoncé est vrai pour quelqu’un. »

C’est sur ce point que la vérité logique ou philosophique se distingue très nettement de la vérité linguistique, comme le remarque (Dendale, 1991, p.154) :

« […] la vérité logicienne est une vérité absolue, inconditionnelle, de validité non restreinte. La vérité linguistique, langagière ou communicative par contre est une vérité relative. La relativité de la vérité linguistique se manifeste surtout sur le plan de sa validité restreinte […] :

- validité limitée à un énonciateur individuel - validité limitée au temps de l’énonciation - validité limitée au critère de vérité invoqué »

(Dendale, 1991, p.164) propose ainsi, pour rendre compte de la vérité en linguistique, un prédicat ternaire X-vrai-Crit(p), qui se lit la proposition p est vraie pour un locuteur X, pour autant qu’elle est fondée sur le critère de validité Crit. Ce critère de validité Crit pouvant renvoyer à la perception, la preuve etc. Cette proposition rejoint à plusieurs égards l’analyse de l’assertion présentée dans (Desclés et Guentchéva, 2000) qui introduit l’opérateur méta-linguistique EST-VRAI afin d’obtenir l’expression JE DIS(EST-VRAI(ce qui est dit)). Dans cette expression, l’opérateur EST-VRAI porte sur « ce qui est dit », mais dépend de l’énonciateur JE. La vérité est donc bien une vérité relative à un individu, contextualisée par rapport à un moment d’énonciation donné37.

37 Le critère de validité Crit n’est pas présent dans l’expression JE DIS(EST-VRAI(ce qui est dit)). Ce critère est pris en compte dans les enrichissements théoriques que nous proposons au chapitre 7.

Comme nous venons de le voir, les notions de vérité et de monde référentiel sont fondamentalement distinctes en linguistique (dans une approche énonciative) et en logique ou philosophie. Le monde construit par la langue peut coïncider avec le monde réel, tel qu’il est perçu par l’énonciateur. Il est également possible de s’y référer comme avec l’emploi d’un verbe performatif, puisqu’un énoncé performatif n’a de valeur que si la personne qui le profère est en mesure d’exécuter l’acte en question. Je vous déclare mari et femme n’a de valeur que si l’énonciateur détient, dans le monde « réel » le pouvoir nécessaire à la concrétisation de l’union. Cependant, le monde construit peut être en contradiction totale avec le monde externe. Il est par exemple possible d’affirmer il fait beau alors qu’il pleut en réalité. Ce problème renvoie également à la condition de sincérité proposée par J. R. Searle et J. L. Austin.

1.1.3.2 Le critère de sincérité

Si J. L. Austin ne prend pas en considération la condition de vérité, il garde, comme nécessaire à la réussite de l’assertion, la sincérité de l’énonciateur. Si l’énonciateur ment, l’acte d’assertion perd sa valeur, puisque les règles du langage ne sont plus respectées, comme le remarque également R. Martin (Martin, 1987, p.46) :

« On observera […] que l’assertion de p suppose, chez celui qui parle, le savoir de p, du moins dans le fonctionnement ordinaire du langage, fondé sur la présomption de sincérité : p , je sais p.

Naturellement, il n’en est pas ainsi dans le mensonge, ni dans le discours à vide de celui « qui dit n’importe quoi ». Mais le langage est alors perturbé dans son fonctionnement même : le mensonge consiste à fausser les règles du jeu. »

Pour Ch. Bally, en revanche, même si l’assertion est « mensongère », elle doit tout de même être considérée comme assertion, car l’intention de l’énonciateur, dans sa communication, est de la faire passer pour telle. Il distingue ainsi « ce qui est pensé » de

« ce qui est dit » et propose de focaliser l’analyse linguistique sur « ce qui est dit », sans aucune considération de « ce qui est pensé » (Bally, 1932, pp.37-38) :

« Il faut prendre garde de confondre pensée personnelle et pensée communiquée. Cette distinction est de la plus haute importance, et s’explique par la nature et la fonction du signe linguistique lui-même. En effet, le sujet peut énoncer une pensée qu’il donne pour sienne bien qu’elle lui soit étrangère. Il s’agit alors d’un véritable dédoublement de la personnalité. Le mensonge en est la forme la plus caractéristique. Un témoin dit au tribunal : « Cet homme est coupable » tout en sachant parfaitement qu’il est innocent. Ce fait n’est pas particulier au langage, mais est propre à tout système de signes […] Cela nous amène à une conception particulière de la réalité en matière de sémiologie : le signe porte en lui-même sa signification (son signifié), et c’est celle-là seulement qui compte pour la communication. Elle peut être en contradiction avec la pensée de celui qui emploie le signe, et ne recouvre donc pas la notion de réalité. »

Dans le cadre dialogique d’une linguistique énonciative, ce qui est important, c’est « ce qui est dit », ainsi que « la personne qui le dit ». Nous avons ainsi choisi de ne traiter que ce qui est textuellement marqué, sans nous soucier des présupposés ou des conditions de réussite.

Afin de mener notre étude linguistique dans ce cadre théorique, il nous a également semblé important de travailler à partir d’un échantillon d’exemples attestés, extraits de différentes bases textuelles.

1.2 Linguistique des opérations