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4 Réseau des modalités liées au possible

5.1 Introduction d’une tripartition

Dans un carré logique, les propositions sont opposées par des relations de subalternation, contradiction ou contrariété86. Ce type de relation permet de n’opposer que deux propositions à la fois. Or, comme cela a été remarqué notamment dans (Jespersen, 1917), un autre type d’opposition tout aussi important pour l’organisation des concepts doit être pris en compte : la tripartition.

Pour (Jespersen, 1917), repris dans (Blanché, 1966), il existe trois systèmes élémentaires d’opposition :

1°) les couples de contraires : blanc/noir ; doux/amer ; timide/hardi ; etc.

2°) les couples de contradictoires : blanc/non-blanc ; possible/impossible ; etc.

3°) les tripartitions, appelées triades dans (Blanché, 1966), comportant un terme intermédiaire entre deux extrêmes : tous/quelques/aucun ; toujours/parfois/jamais ; etc.

R. Blanché (Blanché, 1966, p.43) reprend cette proposition et propose d’y ajouter la contrariété-diamétrale qui permet d’opposer symétriquement deux termes autour d’un médian sans que le contraste ne soit nécessairement poussé à son plus haut degré, ce qu’il illustre par l’exemple des termes souvent et rarement dans leur opposition au terme médian quelquefois.

Les relations entre les modalités présentes dans notre réseau peuvent être exprimées en ces termes d’opposition. Les modalités aléthiques s’opposent deux à deux comme des couples de contradictoires : possible/impossible d’un côté et nécessaire/contingent d’un autre, modalités qui s’excluent mutuellement. Pour les modalités épistémiques, nous proposons une tripartition quasi-certain/possible/impossible, ainsi qu’une tripartition probable/seulement possible/improbable, qui rend compte d’une contrariété diamétrale des modalités quasi-certain et impossible autour de la modalité médiane possible et des modalités probable et improbable autour de la modalité médiane seulement possible.

86 Ce point est présenté en détail au chapitre 1.

Prendre en compte l’existence d’une opposition sous forme de tripartition n’est pas directement compatible avec une organisation sous forme de carré logique, comme le montrent notamment (Blanché, 1966) et (Horn, 1989). C’est sur ce point que s’ancrent leurs critiques respectives.

L. Horn reprend les termes formant les tripartitions présentées par O. Jespersen et tente de les organiser en terme d’opposés présents dans le carré logique, à savoir en termes de contraires, subalternes, subcontraires et contradictoires. Il en ressort que les termes de chacune des tripartitions mises en exergue par O. Jespersen constituent les sommets A, E et I du carré logique, laissant pour le sommet O une place systématiquement vacante, comme l’illustrent les exemples présentés dans (Horn, 1989, p.263) que nous synthétisons comme suit :

A

I

E

O

contraires

subalternes

Sommet non lexicalisé contradictoires

Sommet Quantificateurs Modalités aléthiques

Valeurs déontiques

Tout x

Quelques x Aucun x

Non (tout x) Quelques x (ne…pas)

Nécessaire

Possible Impossible

Non nécessaire Possible que non

Obligatoire

Permis Interdit

Non obligatoire Permis que non

A E I

O non lexicalisés

Figure 29 : Carré logique repris dans (Horn, 1989)

L. Horn remarque qu’à sa connaissance, aucune langue ne lexicalise l’opposé contradictoire de A, également subalterné de E et subcontraire de I.

Dans le cadre des modalités aléthiques, si le sommet O ne renvoie à aucun élément lexicalisé, point de vue que nous partageons également pour le français, aucune place n’est faite au contingent, modalité pourtant lexicalisée, comme nous l’avons vu, par

l’expression il est possible que dans des contextes bien précis. L’organisation de L.

Horn nous semble donc à cet égard incomplète.

R. Blanché propose quant à lui une organisation plus complexe que le carré logique. Il ne prend pas le parti de réduire à trois les quatre sommets, mais au contraire d’en ajouter deux, afin de constituer une hexade logique permettant de rendre compte de relations ternaires supplémentaires.

L’hexade logique présente ainsi trois types d’opposition (Blanché, 1966, p.44) :

« Entre deux termes opposés nous pourrons donc reconnaître deux degrés d’incompatibilité – et même trois si l’on dépasse le cas des seuls contraires : l’incompatibilité simple, jouant entre un nombre quelconque de termes, et dont notre triade offre un exemple élémentaire ; l’incompatibilité avec contraste, qui joue entre deux termes opposés, avec omission des intermédiaires, comme dans les opposés diamétraux et, par excellence, dans les opposés extrêmes comme ceux qui figurent dans le couple classique des propositions contraires ; enfin une incompatibilité qui, combinée avec la disjonction, devient une alternative, excluant expressément la possibilité d’un tiers, et transformant les contraires en contradictoires. »

Aux oppositions du carré logique en termes de contraires/subcontraires et contradictoires, et à la relation de subalternation, vient s’ajouter la triade des contraires.

Deux nouveaux sommets Y et U sont introduits à côté des quatre sommets A, E, I et O, permettant de former les triades AEY et IUO. Le sommet U se définit par la disjonction A ou E ; le sommet Y par la conjonction I et O :

subalternes subalternes

Figure 30 : Du carré logique à l’hexade logique d’après (Blanché, 1966)

On obtient ainsi, en plus des relations d’oppositions du carré logique classique : - un triangle de contraires : AEY

- un triangle de subcontraires : IUO

- un nouveau couple de contradictoires : UY

R. Blanché adapte cette organisation hexagonale aux modalités aléthiques. Le sommet U renvoie alors au concept déterminé, le sommet Y au bilatéralement possible, ce qui complète l’organisation quadrangulaire généralement admise en logique :

subalternes

Figure 31 : Hexade logique d’après (Blanché, 1966)

Une telle organisation ne correspond pas totalement à notre point de vue. Il est vrai que nous pouvons établir un rapprochement entre le concept déterminé qui occupe le sommet U et le concept absence d’alternative que nous avons introduit pour notre réseau. Le concept situé en U se définit comme la disjonction des concepts situés en A et E (A ∨ E). Le concept déterminé renvoie ainsi à nécessaire ou impossible ; et dans notre réseau, le concept absence d’alternative entre dans les définitions des modalités nécessaire et impossible. Cependant, il existe une divergence dans l’approche des modalités possible et contingent.

L’hexade logique reprend ici l’organisation quadrangulaire des modalités aléthiques généralement admise en logique. Nous nous accordons sur le fait que la modalité contingent doit être clairement distinguée de la modalité possible. Mais les points de vue divergent dans la définition accordée à contingent. Dans l’hexade, tout comme dans le carré, contingent occupe le sommet O. Le contingent est ainsi l’opposé contradictoire

du nécessaire, relation également présente dans notre réseau. Le problème vient de la relation proposée dans l’hexade entre :

1°) le contingent et le possible

Les modalités contingent et possible sont présentées comme des subcontraires, alors que dans notre réseau nous nous approcherions plutôt d’une relation d’implication : ce qui est contingent est possible, le contingent étant défini comme une spécification éventuelle de la modalité possible.

2°) le contingent et l’impossible

Les modalités contingent et impossible sont présentées comme des subalternes : l’impossible implique le contingent. Or, dans notre réseau, impossible et contingent n’entretiennent aucune relation directe, le contingent étant posé comme une spécification du possible, et le possible étant défini comme le contradictoire de l’impossible.

3°) le contingent et le bilatéralement possible

La bilatéralement possible est défini par R. Blanché (Blanché, 1966, p.77) comme « ce qui peut être mais aussi ne pas être », ce que nous pouvons rapprocher de la définition proposée pour le contingent dans notre réseau (p est contingent est défini comme p et non p sont compatibles avec le monde référentiel). Le problème peut-il être résolu si l’on place contingent au sommet Y ? Dans ce cas, on assignerait au sommet O un élément non lexicalisé en français, ce qui est compatible avec la remarque de L. Horn, et qui renverrait à l’opposé contradictoire du nécessaire (le non nécessaire), au subcontraire du possible (le possible que non) et au subalterné d’impossible.

Cette solution n’est cependant pas satisfaisante puisqu’on perdrait alors la relation qui définit le contingent comme l’opposé contradictoire du nécessaire, relation admise en philosophie et qui ressort également de notre étude linguistique.

C’est sur ce point fondamental qu’est le délicat problème de la place du contingent parmi les modalités aléthiques, que notre approche diverge de celle présentée dans (Blanché, 1966), et se rapproche de celle proposée dans (van der Auwera, 1996).